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Elle avait rarement à faire dans sa pièce de travail et elle y passait peut-être une demi-douzaine de fois par an, avant tout quand elle avait besoin de rester seule et de travailler sur un rapport avant de le remettre. Dragan Armanskij avait insisté pour qu'elle dispose d'un lieu, estimant qu'elle devait se sentir comme appartenant à l'entreprise même si elle travaillait comme free-lance. Pour sa part, Lisbeth soupçonnait Armanskij d'espérer ainsi garder un œil sur elle et se mêler de ses affaires. Au début, elle avait été installée plus bas dans le couloir, dans une pièce plus grande qu'elle était censée partager avec un collègue, mais comme elle n'y était jamais, Armanskij avait fini par la déplacer dans ce réduit du couloir qui ne servait à personne.

Lisbeth Salander sortit le manchon ramené de chez Plague. Elle posa l'objet devant elle sur le bureau et le contempla, tout en réfléchissant et en se mordant la lèvre inférieure.

Il était plus de 23 heures, et elle était seule à l'étage. Elle se sentit soudain très lasse.

Quelques minutes plus tard, elle se leva et alla tout au bout du couloir où elle vérifia la porte du bureau de Dragan Armanskij. Fermée à clé. Elle regarda autour d'elle. La probabilité que quelqu'un surgisse dans le couloir à minuit le 26 décembre était quasi nulle. Elle ouvrit la porte avec un double du passe principal de l'entreprise, qu'elle avait piraté plusieurs années auparavant.

La pièce de travail d'Armanskij était vaste, avec bureau, chaises pour les visiteurs et une petite table de conférence pour huit personnes dans un coin. Propreté impeccable. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas fouillé chez lui, et maintenant que de toute façon elle était dans les locaux... Elle passa une heure au bureau et collecta les derniers éléments d'un dossier concernant un probable espion industriel, d'un autre sur des taupes placées dans une entreprise où sévissaient des voleurs bien organisés, et apprit les mesures secrètes qui avaient été prises pour protéger une cliente qui craignait que son enfant soit kidnappé par son père.

Pour finir, elle replaça tous les papiers exactement à leur place, ferma à clé la porte du bureau d'Armanskij et rentra à pied chez elle dans Lundagatan. Elle était satisfaite de sa journée.

MIKAEL BLOMKVIST SECOUA de nouveau la tête. Henrik Vanger s'était installé derrière son bureau et contemplait Mikael de ses yeux calmes, comme s'il était déjà préparé à toutes ses objections.

— Je ne sais pas si nous saurons la vérité un jour, mais je ne voudrais pas descendre dans la tombe sans faire au moins une dernière tentative, dit le vieil homme. Je voudrais t'engager pour que tu parcoures une dernière fois tout le matériel rassemblé dans cette enquête.

— C'est absolument insensé, constata Mikael.

— Pourquoi insensé ?

— J'en ai assez entendu, Henrik, je comprends ton chagrin, mais je vais rester franc. Ce que tu me demandes de faire est un gaspillage de temps et d'argent. Tu me demandes de trouver comme par magie la solution d'un mystère qui a posé une colle pendant des années à la police criminelle et aux investigateurs professionnels disposant de moyens considérablement plus importants. Tu me demandes de résoudre un crime presque quarante ans après qu'il a été commis. Comment pourrais-je y arriver ?

— Nous n'avons pas discuté de tes honoraires, répliqua Henrik Vanger.

— Ce n'est pas la peine.

— Si tu dis non, je ne pourrai pas te forcer. Mais écoute ce que j'offre. Dirch Frode a déjà établi un contrat. Nous pouvons discuter des détails, mais le contrat est simple et la seule chose qui manque est ta signature.

— Henrik, ceci ne sert à rien. Je ne peux pas résoudre l'énigme de la disparition de Harriet.

— Le contrat ne stipule pas que tu le dois. Tout ce que je demande, c'est que tu fasses de ton mieux. Si tu échoues, ça sera la volonté de Dieu ou — si tu ne crois pas en lui — du destin.

Mikael soupira. Il commençait à se sentir de plus en plus mal à l'aise et il voulait mettre un terme à sa visite à Hedeby, mais il céda quand même.

— Dis toujours.

— Je veux que pendant un an tu habites et travailles ici à Hedeby. Je veux que tu parcoures toute l'enquête sur la disparition de Harriet, document après document. Je veux que tu examines tout avec des yeux neufs, totalement neufs. Je veux que tu remettes en question toutes les anciennes conclusions comme doit le faire un journaliste d'investigation. Je veux que tu cherches ce que moi-même, la police et d'autres enquêteurs avons pu louper.

— Tu me demandes d'abandonner toute ma vie et ma carrière pour me consacrer pendant un an à quelque chose qui sera un total gaspillage de temps ?

Henrik Vanger sourit tout à coup.

— Pour ce qui concerne ta carrière, tu m'accorderas, je pense, que pour l'instant elle est assez tiède.

Mikael n'avait rien à répliquer.

— Je veux acheter un an de ta vie. Un boulot. Le salaire est supérieur à celui de n'importe quelle autre offre que jamais tu auras. Je payerai 200 000 couronnes par mois, c'est-à-dire 2,4 millions de couronnes si tu acceptes et restes une année.

Mikael demeura muet de saisissement.

— Je ne me fais aucune illusion. Je sais que la probabilité que tu réussisses est minime, mais si contre toute attente tu résolvais l'énigme, j'offre un bonus — émoluments doublés, c'est-à-dire 4,8 millions de couronnes. Soyons généreux et disons 5 millions tout rond.

Henrik Vanger se laissa aller en arrière et inclina la tête sur le côté.

— Je peux verser l'argent sur n'importe quel compte en banque de ton choix, n'importe où dans le monde. Tu peux aussi recevoir l'argent en liquide dans une valise, ensuite c'est à toi de voir si tu veux déclarer la somme au fisc.

— Ce n'est pas... sain, bégaya Mikael.

— Et pourquoi ? demanda Henrik Vanger calmement. J'ai plus de quatre-vingts ans et j'ai toujours toute ma tête. J'ai une immense fortune personnelle dont je dispose à ma guise. Je n'ai pas d'enfants, et je n'ai pas la moindre envie de donner de l'argent à des parents que je déteste. Mon testament stipule que la plus grande partie de mon argent ira au WWF. Quelques rares personnes qui me sont proches vont recevoir des sommes conséquentes — entre autres Anna, à l'étage du dessous.

Mikael Blomkvist secoua la tête.

— Essaie de me comprendre. Je suis âgé et je vais bientôt mourir. Il n'y a qu'une seule chose au monde que je désire : une réponse à la question qui me tourmente depuis bientôt quatre décennies. Je ne pense pas que je connaîtrai la réponse, mais j'ai suffisamment de moyens pour lancer une dernière tentative. Dis-moi ce qu'il y a d'extravagant à utiliser une partie de ma fortune à cette fin. Je dois cela à Harriet. Et je me le dois aussi à moi-même.