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Au fil des ans, Mikael et William Borg s'étaient croisés régulièrement, mais ils ne s'étaient véritablement brouillés qu'à la fin des années 1990. Mikael avait écrit un livre sur le journalisme économique et avait puisé plus d'une citation aberrante dans des articles signés Borg. Selon Mikael, Borg était le poseur qui avait compris de travers la plupart des données et avait ainsi porté aux nues des start-up qui ne devaient pas tarder à sombrer. Borg n'avait pas apprécié l'analyse de Mikael et, lors d'une rencontre fortuite dans un bar à Söder, ils avaient failli en venir aux mains. Là-dessus, Borg avait abandonné le journalisme et il travaillait maintenant comme consultant, avec un salaire considérablement plus élevé, dans une entreprise qui, pour couronner le tout, appartenait à la sphère d'intérêts de l'industriel Hans-Erik Wennerström.

Ils se dévisagèrent un bon moment avant que Mikael tourne les talons et s'en aille. Venir au palais dans le seul but de s'en payer une tranche, voilà qui ressemblait bien à Borg.

Mikael s'apprêtait à marcher quand le 40 arriva et il monta dans le bus, avant tout pour quitter les lieux. Il en descendit à Fridhemsplan, resta indécis à l'abribus, tenant toujours son jugement à la main. Pour finir, il décida de rejoindre à pied le café Anna, à côté de l'entrée du garage du commissariat.

Moins d'une minute après qu'il avait commandé un caffè latte et un sandwich, les informations de midi débutèrent à la radio. Ce fut le troisième sujet, après un attentat suicide à Jérusalem et la nouvelle que le gouvernement avait constitué une commission d'enquête sur d'apparentes ententes illicites dans le bâtiment.

Le journaliste Mikael Blomkvist de la revue Millenium a été condamné ce vendredi matin à trois mois de prison pour diffamation aggravée à l'encontre de l'industriel Hans-Erik Wennerström. Dans un article sur la prétendue affaire Minos qui, il y a de cela quelques mois, a frappé les esprits, Blomkvist accusait Wennerström d'avoir détourné des biens sociaux, destinés à des investissements industriels en Pologne, à des fins de trafic d'armes. Mikael Blomkvist a en outre été condamné à verser 150 000 couronnes de dommages et intérêts. L'avocat de Wennerström, maître Bertil Camnermarker, a déclaré que son client était satisfait du jugement. Il s'agit d'un cas de diffamation particulièrement grave, a-t-il déclaré.

Le jugement occupait vingt-six pages. Il présentait les raisons pour lesquelles Mikael avait été jugé coupable sur quinze points de diffamation aggravée à l'encontre du financier Hans-Erik Wennerström. Mikael constata que chacun des points d'accusation qui le condamnaient coûtait 10 000 couronnes et six jours de prison. Hors frais de justice et ses propres frais d'avocat. Il n'avait même pas le courage de commencer à réfléchir à l'étendue de la note, mais il se dit aussi que ç'aurait pu être pire ; le tribunal avait choisi de l'innocenter sur sept points.

A mesure qu'il lisait les formulations du jugement, une sensation pesante et de plus en plus désagréable s'installa au creux de son ventre. Il en fut surpris. Dès le début du procès, il avait su que, à moins d'un miracle, il allait être condamné. Il n'y avait pas eu le moindre doute là-dessus et il s'était familiarisé avec cette idée. Il avait été relativement tranquille d'esprit pendant les deux jours qu'avait duré le procès, et pendant onze jours il avait également attendu sans ressentir quoi que ce soit de spécial que le tribunal finisse de réfléchir et formule le texte qu'il tenait dans sa main. Mais c'était maintenant, le procès terminé, que le malaise s'insinuait en lui.

Il croqua un bout de son sandwich, mais le pain semblait gonfler dans sa bouche. Il eut du mal à avaler et il le repoussa.

C'était la première fois que Mikael Blomkvist était condamné pour un délit — la première fois qu'il avait été soupçonné de quoi que ce soit ou cité à comparaître. Raisonnablement, le jugement était une broutille. Un délit de poids plume. Après tout, il ne s'agissait pas de vol à main armée, de meurtre ou de viol. D'un point de vue économique, la condamnation allait cependant avoir des conséquences. Millenium n'était pas le vaisseau amiral du monde des médias, ni doté de ressources illimitées — la revue fonctionnait sur ses marges — mais la condamnation n'était pas non plus catastrophique. Le problème était que Mikael était l'un des actionnaires de Millenium, tout en étant, bêtement, à la fois rédacteur et gérant responsable de la publication. Il avait l'intention de payer de sa poche les 150 000 couronnes des dommages et intérêts, ce qui en gros allait réduire à zéro son épargne. La revue se chargerait des frais de justice. En naviguant avec perspicacité, ça devrait aller.

L'idée l'effleura de vendre son appartement, hypothèse qui lui resta quand même en travers de la gorge. A la fin des joyeuses années 1980, à une époque où il avait bénéficié d'un emploi fixe et d'un salaire relativement élevé, il était devenu propriétaire. Il avait visité des appartements à la pelle qu'il avait tous refusés jusqu'à ce qu'il tombe sur un grenier, soixante-cinq mètres carrés au tout début de Bellmansgatan. L'ancien propriétaire avait commencé à l'aménager en quelque chose d'habitable, mais avait été engagé dans une boîte d'informatique à l'étranger, et Mikael avait pu acheter son projet de rénovation pour une bouchée de pain.

Mikael n'avait pas voulu des plans conçus par les architectes, il avait préféré terminer lui-même le chantier, consacrant l'argent à la salle de bains et à la cuisine et laissant tomber le reste. Plutôt que de poser un parquet et monter des cloisons pour créer deux pièces, il ponça le plancher, passa directement à la chaux les murs grossiers d'origine et couvrit les plus gros défauts avec quelques aquarelles d'Emanuel Bernstone. Le résultat fut un loft aéré, avec une partie chambre derrière une bibliothèque, un coin repas et un salon avec une petite cuisine américaine. L'appartement avait deux fenêtres mansardées et une fenêtre sur pignon avec vue sur les toits, le bassin de Riddarfjärden et la vieille ville. Il apercevait même un coin d'eau de Slussen et un bout de l'hôtel de ville. Compte tenu des prix pratiqués, il ne pourrait plus se payer un tel appartement à l'heure actuelle, et il avait très envie de le conserver.