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Il vécut quelques jours et nuits terribles mi-janvier quand le froid descendit jusqu'aux inconcevables moins trente-sept degrés. Il n'avait jamais rien vécu de semblable, même pas au cours de l'année passée à Kiruna pendant son service militaire. Un matin, la conduite d'eau avait gelé. Gunnar Nilsson lui procura deux gros bidons en plastique pour qu'il puisse cuisiner et se laver, mais le froid était paralysant. Des roses de glace s'étaient formées sur les carreaux des fenêtres, côté intérieur, et il avait beau pousser à fond le poêle à bois, il se sentait continuellement gelé. Il passait un long moment tous les jours à fendre du bois dans la remise derrière la maison.

Par moments, il avait envie de pleurer et envisageait de prendre un taxi jusqu'à la ville et de sauter dans le premier train en partance pour le Sud. Au lieu de cela, il enfilait un pull de plus et s'enroulait dans une couverture, assis à la table de cuisine avec son café et de vieux rapports de police.

Ensuite la tendance s'inversa et la température monta jusqu'aux agréables moins dix degrés.

MIKAEL AVAIT COMMENCÉ à connaître des gens à Hedeby. Martin Vanger tint sa promesse et lui offrit un dîner préparé par ses soins — rôti d'élan arrosé d'un vin rouge italien. Ce chef d'entreprise n'était pas marié mais il fréquentait une certaine Eva Hassel, qui leur tint compagnie. Eva Hassel était une femme chaleureuse et distrayante, que Mikael trouva extrêmement attirante. Elle était dentiste et habitait à Hedestad, mais elle passait ses week-ends chez Martin Vanger. Mikael finit par apprendre qu'ils se connaissaient depuis de nombreuses années mais qu'ils avaient commencé à se fréquenter seulement à l'age mûr et qu'ils n'avaient pas estimé nécessaire de se marier.

— Il se trouve qu'elle est mon dentiste, dit Martin Vanger en riant.

— Et me voir mêlée à cette famille de cinglés n'est pas mon truc, dit Eva Hassel en tapotant affectueusement le genou de Martin Vanger.

La villa de Martin Vanger était un rêve de célibataire dessiné par un architecte, avec des meubles en noir, blanc et chrome. Des pièces de design coûteuses qui auraient fasciné Christer Malm, le graphiste de Millenium. La cuisine était équipée pour un cuisinier professionnel. Dans le salon trônait une chaîne stéréo avec le fin du fin côté platine vinyles et une excellente collection de jazz, de Tommy Dorsey à John Coltrane. Martin Vanger avait de l'argent et son foyer était somptueux et fonctionnel, bien que relativement impersonnel. Mikael nota que les tableaux sur les murs étaient de simples reproductions et posters qu'on trouvait chez Ikea — jolis mais pas de quoi pavoiser. Les étagères, au moins dans la partie de la maison que Mikael pouvait voir, étaient soigneusement remplies de L'Encyclopédie nationale et de quelques livres souvenirs du genre que les gens offrent en cadeau de Noël faute d'une meilleure idée. En résumé, Mikael n'arrivait à distinguer que deux passions dans la vie de Martin Vanger : la musique et la cuisine. La première se manifestait dans trois mille albums trente-trois tours, à vue de nez. La deuxième pouvait se lire dans l'embonpoint de Martin Vanger.

En tant que personne, Martin Vanger était un étrange mélange de stupidité, de causticité et d'amabilité. Il ne fallait pas être très doué en analyse pour arriver à la conclusion que le chef d'entreprise était un homme qui avait des problèmes. Tandis qu'ils écoutaient Night in Tunisia, la conversation s'orienta sur le groupe Vanger, et Martin Vanger n'essaya pas de cacher qu'il se battait pour la survie du groupe. Ce choix de sujet rendit Mikael perplexe ; Martin Vanger n'ignorait pas qu'il avait pour invité un journaliste économique qu'il connaissait très peu, et pourtant il discutait les problèmes internes de sa société avec tant de franchise que cela paraissait imprudent. Apparemment, il considérait Mikael comme faisant partie de la famille, puisqu'il travaillait pour Henrik Vanger, et à l'instar de l'ancien PDG il estimait que la famille ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même pour la situation dans laquelle se trouvait l'entreprise. En revanche, il n'avait pas l'amertume et le mépris intransigeant du vieil homme pour la famille. Martin Vanger semblait plutôt amusé par la folie incurable de celle-ci. Eva Hassel hocha la tête mais ne fit pas de commentaires. Ils avaient manifestement débattu de cette question auparavant.

Martin Vanger savait donc que Mikael avait été engagé pour écrire une chronique familiale et il demanda comment le travail avançait. Mikael répondit en souriant qu'il avait du mal à s'y retrouver dans les membres de la famille, puis il demanda à Martin Vanger à pouvoir revenir pour l'interviewer à un moment qui conviendrait. A plusieurs reprises, il envisagea d'orienter la conversation sur l'obsession du vieil homme pour la disparition de Harriet Vanger. Il se disait que Henrik Vanger avait dû tanner le frère de Harriet à plus d'une reprise avec ses théories. Martin savait sans doute aussi que si Mikael devait écrire une chronique familiale, il ne pourrait pas éviter de remarquer qu'un membre de la famille avait disparu sans laisser de traces. Mais Martin ne fit absolument pas mine de vouloir entamer ce sujet et Mikael décida d'attendre. En temps voulu, ils auraient des raisons de discuter de Harriet.

Après plusieurs tournées de vodka, ils terminèrent la soirée vers 2 heures du matin. Mikael était passablement ivre quand il tituba sur les trois cents mètres pour rentrer chez lui. Globalement, ç'avait été une soirée agréable.

UN APRÈS-MIDI, la deuxième semaine de Mikael à Hedeby, on frappa à la porte de sa maison. Mikael posa le classeur de l'enquête de police qu'il venait de sortir — le sixième et tira la porte de la pièce de travail derrière lui avant d'aller ouvrir à une femme blonde d'une cinquantaine d'années habillée pour le pôle Nord.

— Bonjour. Je viens juste faire connaissance. Je m'appelle Cécilia Vanger.

Ils se serrèrent la main et Mikael sortit des tasses pour le café. Cécilia Vanger, fille du nazi Harald Vanger, avait l'air d'une femme ouverte et charmante sous bien des aspects. Mikael se souvint que Henrik Vanger avait parlé d'elle avec estime et qu'il avait mentionné qu'elle ne voyait pas son père, mais qu'elle habitait juste à côté de chez lui. Ils bavardèrent un moment avant qu'elle en vienne à la raison de sa venue.

— J'ai compris que vous alliez écrire un livre sur la famille. Je ne suis pas sûre que ce soit une idée qui me plaise, dit-elle. J'avais envie de voir à quoi vous ressemblez.

— Eh bien, Henrik Vanger m'a engagé. C'est son sujet, pour ainsi dire.

— Et le bon Henrik n'est pas entièrement objectif quand il s'agit de donner son point de vue sur la famille.

Mikael la regarda, ne sachant trop où elle voulait exactement en venir.

— Vous vous opposez à un livre sur votre famille ?

— Je n'ai pas dit ça. Et mon avis n'a sans doute pas d'importance. Mais je pense que vous avez peut-être déjà compris qu'il n'a pas toujours été très facile d'être une Vanger.