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PRÈS D'UN MOIS AVAIT ÉTÉ NÉCESSAIRE pour que la colère d'Erika se calme. A 21 h 30 un des derniers soirs de janvier, elle appela.

— Tu as donc vraiment l'intention de rester là-bas, dit-elle pour commencer. L'appel le prit tellement de court que Mikael ne sut tout d'abord pas quoi répondre. Puis il sourit, et serra la couverture autour de lui.

— Salut Ricky. Tu devrais venir y goûter, toi aussi.

— Pourquoi ? Ça présente un attrait particulier d'habiter à Pétaouchnok ?

— Je viens juste de me laver les dents avec de l'eau glacée. Ça fait chanter les plombages.

— Tu n'as qu'à t'en prendre à toi-même. Mais je t'avoue qu'il fait aussi un froid de canard ici à Stockholm.

— Raconte.

— Nous avons perdu deux tiers de nos annonceurs fixes. Personne n'a envie de le dire clairement, mais...

— Je sais. Dresse une liste de ceux qui se désistent. Un jour nous les présenterons dans un reportage de circonstance.

— Micke... j'ai fait des calculs et si nous n'avons pas de nouveaux annonceurs, nous coulerons à l'automne. C'est aussi simple que ça.

— Le vent va tourner.

Elle eut un rire fatigué à l'autre bout de la ligne.

— Tu ne peux pas te contenter de rester là-haut dans l'enfer lapon et d'affirmer des trucs pareils.

— N'exagère pas, le village sami le plus proche est au moins encore à plus de cinq cents kilomètres d'ici. Erika se tut un moment, puis reprit :

— Je sais. Quand un homme a une mission, il faut qu'il la remplisse, et à vos ordres, mon colonel. Je ne te demande pas de te justifier. Pardon d'avoir été vache et de ne pas avoir répondu à tes coups de fil. Est-ce qu'on peut reprendre au début ? Est-ce que j'ose venir te rendre visite ?

— Quand tu veux.

— Il faut que j'emporte un fusil avec des balles à loups ?

— Pas du tout. Nous engagerons quelques Lapons avec des traîneaux à chiens. Tu viens quand ?

— Vendredi soir. OK ?

La vie parut d'un coup infiniment plus gaie à Mikael.

A PART LE MINCE SENTIER DÉBLAYÉ jusqu'à la porte, le terrain était couvert de près d'un mètre de neige. Mikael fixa la pelle d'un œil critique pendant une minute, puis il alla demander aux Nilsson si Erika pouvait garer sa BMW chez eux pendant sa visite. Ça ne posait aucun problème. Il y avait plein de place dans leur garage et ils lui proposèrent même un chauffe-moteur.

Erika fit le trajet dans l'après-midi et arriva vers 18 heures. Ils se regardèrent chacun sur la réserve pendant quelques secondes et se serrèrent l'un contre l'autre pendant bien plus longtemps.

Il n'y avait pas grand-chose à voir dehors dans l'obscurité du soir à part l'église éclairée, et la supérette Konsum comme le café Susanne étaient en train de fermer. Ils gagnèrent rapidement la maison. Mikael prépara le dîner pendant qu'Erika furetait dans tous les coins, lançant des commentaires sur les Rekordmagasinet des années 1950 et feuilletant ses classeurs dans la pièce de travail. Ils mangèrent des côtes d'agneau avec des pommes de terre à la crème — beaucoup trop de calories — accompagnées de vin rouge. Mikael essaya de reprendre le sujet mais Erika n'était pas d'humeur à discuter de Millenium. Au lieu de cela, ils parlèrent pendant deux heures d'eux-mêmes et des activités de Mikael. Ensuite, ils allèrent vérifier si le lit était assez large pour deux.

LA TROISIÈME RENCONTRE avec maître Nils Bjurman avait été annulée, reportée puis finalement fixée à 17 heures ce même vendredi. Lors des autres rendez-vous, Lisbeth Salander avait été accueillie par une femme d'une cinquantaine d'années parfumée au musc et faisant office de secrétaire. Cette fois-ci elle était absente et maître Bjurman dégageait une faible odeur d'alcool. Il fit signe à Salander de s'asseoir dans un fauteuil et feuilleta distraitement des papiers jusqu'à ce qu'il semble soudain se rendre compte de sa présence.

S'ensuivit un nouvel interrogatoire. Il questionna Lisbeth Salander sur sa vie sexuelle — qu'elle estimait définitivement relever de sa vie privée et qu'elle n'avait pas l'intention de discuter avec qui que ce soit.

Après le rendez-vous, elle sut qu'elle avait mal géré l'entretien. Silencieuse au départ, elle avait évité de répondre à ses questions et il avait interprété cela comme de la timidité, de la déficience mentale ou une tentative de dissimulation, et il l'avait pressée pour avoir des réponses. Comprenant qu'il n'abandonnerait pas, elle lui avait fourni des réponses sommaires et anodines du genre qu'elle supposait coller avec son profil psychologique. Elle avait mentionné Magnus — décrit comme un programmeur en informatique de son âge un peu tocard, qui se comportait en gentleman avec elle, l'emmenait au cinéma et parfois la fourrait dans son lit. Magnus était une pure fiction qui prit forme à mesure qu'elle en parlait, mais Bjurman avait saisi ce prétexte pour dresser une carte détaillée de sa vie sexuelle pendant l'heure suivante. A quelle fréquence est-ce que tu fais l'amour ? De temps en temps. Qui prend l'initiative-toi ou lui ? Moi. Est-ce que vous utilisez des préservatifs ? Evidemment — elle avait entendu parler du HIV. Quelle est ta position préférée ? Ben, sur le dos en général. Est-ce que tu aimes le sexe oral ? Euh, attendez là... Est-ce que tu as déjà pratiqué la sodomie ?

— Non, ça ne m'amuse pas spécialement qu'on me la fourre dans le cul — mais ce n'est pas tes oignons, alors là, pas du tout !

C'était la seule fois où elle s'était laissé emporter en compagnie de Bjurman. Consciente qu'il pourrait se méprendre sur son regard, elle avait fixé le plafond pour que ses yeux ne trahissent pas ses sentiments. Quand elle le regarda de nouveau, il ricanait de l'autre côté du bureau. Lisbeth Salander avait soudain compris que sa vie allait prendre une tournure dramatique. Elle quitta maître Bjurman avec un sentiment de dégoût. Elle n'avait pas été préparée à ça. Palmgren n'aurait jamais eu l'idée de poser ce genre de questions, en revanche il avait toujours été disposé à l'écouter, offre dont elle avait rarement profité.

Bjurman était un blême grave et elle comprit qu'il était même en train de passer au niveau maxiblème.

11

SAMEDI 1er FÉVRIER — MARDI 18 FÉVRIER

PROFITANT DES COURTES HEURES DE JOUR le samedi, Mikael et Erika firent une promenade qui les mena des cabanes du port à la ferme d'Östergården. Bien qu'habitant sur l'île depuis un mois, Mikael n'en avait jamais auparavant visité l'intérieur ; le froid plus diverses tempêtes de neige avaient eu un effet dissuasif sur de tels exercices. Mais le samedi était ensoleillé et agréable, comme si Erika avait apporté un soupçon de printemps à l'horizon. Il ne faisait que moins cinq degrés. La route était bordée de congères hautes d'un bon mètre formées par le chasse-neige. Dès qu'ils eurent quitté la zone des cabanes, ils se retrouvèrent dans une forêt de sapins dense, et Mikael fut surpris de constater que le mont Sud, dominant le port de plaisance, était bien plus haut et plus inaccessible qu'on ne l'aurait dit en le regardant depuis le hameau. Un moment, il se demanda combien de fois Harriet Vanger y avait joué quand elle était petite, puis il cessa d'y penser. Quelques kilomètres plus loin, la forêt prit fin brusquement devant une clôture entourant la ferme d'Östergården. Ils pouvaient voir un bâtiment blanc en bois et une imposante grange rouge. Ils s'abstinrent d'aller jusqu'à la ferme et rebroussèrent chemin.