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C'était la Rolls des ordinateurs portables, mais ce qui avait surtout titillé l'envie de le posséder de Lisbeth Salander était l'astuce que le clavier avait été pourvu d'un rétroéclairage, permettant de voir les lettres des touches même dans l'obscurité totale. Simple, non ? Pourquoi est-ce que personne n'y avait pensé avant ?

Ce fut le coup de foudre dès qu'elle le vit.

Il coûtait 38 000 couronnes hors taxes.

Là, sérieux, y avait un blême.

Elle passa quand même commande chez Macjesus, chez qui elle achetait toujours tous ses accessoires informatiques et qui du coup lui accordait une ristourne raisonnable. Quelques jours plus tard, Lisbeth Salander fit ses comptes. L'assurance de son ordinateur accidenté couvrirait une bonne partie de l'achat, mais compte tenu de la franchise et du prix élevé de la nouvelle acquisition, il lui manquait quand même un peu plus de 18 000 couronnes. A la maison, elle gardait 10 000 couronnes dans une boîte à café pour avoir toujours du liquide accessible, mais cela ne couvrait pas toute la somme. Tout en le maudissant, elle se décida à appeler maître Bjurman et à lui expliquer qu'elle avait besoin d'argent pour une dépense imprévue. Bjurman répondit qu'il n'avait pas le temps de la recevoir dans la journée. Salander répliqua qu'il lui faudrait vingt secondes pour faire un chèque de 10 000 couronnes. Il expliqua qu'il ne pouvait pas rédiger un chèque avec si peu d'éléments, mais il finit par céder et, après un instant de réflexion, il lui fixa rendez-vous après la journée de travail, à 19 h 30.

MIKAEL RECONNAISSAIT qu'il n'avait pas la compétence pour juger une enquête criminelle, mais il tira quand même la conclusion que l'inspecteur Morell avait été exceptionnellement consciencieux et qu'il avait remué ciel et terre bien au-delà de ce qu'exigeait son boulot. L'enquête de police formelle mise de côté, Mikael voyait revenir Morell dans les notes de Henrik ; une amitié s'était développée et Mikael se demanda si Morell était devenu aussi obsédé que le chef d'entreprise. Il tira cependant la conclusion que Morell n'était pas passé à côté de grand-chose. La solution de l'énigme Harriet Vanger ne pouvait se trouver dans une enquête de police pratiquement parfaite. Toutes les questions imaginables avaient déjà été posées et tous les indices avaient été vérifiés, même les plus absurdes.

Il n'avait pas encore lu toute l'enquête, mais plus il avançait dans ce qui s'était passé, plus les indices et les pistes explorées devenaient obscurs. Il ne s'attendait pas à trouver quelque chose que son prédécesseur aurait loupé et il ne voyait pas sous quel nouvel angle on pouvait attaquer le problème. Une conclusion s'imposait progressivement : la seule voie carrossable qu'il pouvait emprunter était d'essayer de trouver les motivations psychologiques des personnes impliquées.

Le point d'interrogation le plus manifeste concernait Harriet elle-même. Qui était-elle réellement ?

De la fenêtre de sa maison, Mikael avait vu la lumière à l'étage de la maison de Cecilia Vanger s'allumer vers 17 heures. Il frappa à sa porte vers 19 h 30, au moment où la télé donnait les titres du journal. Elle ouvrit en peignoir, les cheveux mouillés sous une serviette-éponge jaune. Dès qu'il la vit ainsi Mikael s'excusa de la déranger, et il s'apprêtait à repartir quand elle lui fit signe d'entrer dans la cuisine. Elle brancha la cafetière électrique et disparut en haut de l'escalier pendant quelques minutes, puis redescendit vêtue d'un jean et d'une chemise en flanelle à carreaux.

— Je commençais à me dire que tu n'osais pas venir. On peut se tutoyer, peut-être ?

— Entendu. Oui, j'aurais dû appeler avant, mais quand j'ai vu la lumière, j'ai soudain eu envie de passer.

— Et moi j'ai vu que ça reste allumé toute la nuit chez toi. Et que tu sors souvent te promener après minuit. Monsieur est un oiseau de nuit ?

Mikael haussa les épaules.

— C'est le rythme que j'ai pris ici. Ses yeux se portèrent sur quelques manuels scolaires empilés au bord de la table. Tu enseignes toujours, madame le proviseur ?

— Non, en tant que proviseur je n'en ai pas le temps. Mais j'ai été prof d'histoire, de religion et d'éducation civique. Et il me reste quelques années à tirer.

— A tirer ?

Elle sourit.

— J'ai cinquante-six ans. Bientôt la retraite.

— Franchement, je te donnais la quarantaine.

— Flatteries, tout ça. Et toi, quel âge ?

— Un peu plus de quarante, sourit Mikael.

— Et hier encore tu n'en avais que vingt. Ça va tellement vite. La vie, je veux dire.

Cécilia Vanger servit le café et demanda à Mikael s'il avait faim. Il répondit qu'il avait déjà mangé ; ce qui était vrai à un détail près : il s'enfilait des sandwiches au lieu de préparer de vrais repas. Mais il n'avait pas faim.

— Alors, qu'est-ce qui t'amène ? L'heure est venue de poser ces fameuses questions ?

— Sincèrement... je ne suis pas venu pour poser des questions. Je crois que j'avais simplement envie de te voir. Cécilia Vanger sourit soudain.

— Tu as été condamné à la prison, tu quittes Stockholm pour Hedeby, tu te plonges dans les dossiers favoris de Henrik, tu ne dors pas la nuit, tu fais de longues promenades nocturnes quand il fait un froid de canard... j'ai loupé quelque chose ?

— Ma vie est en train de se casser la figure. Mikael lui rendit son sourire.

— Qui c'était, la femme qui est venue te voir ce week-end ?

— Erika... c'est la patronne de Millenium.

— Ta petite amie ?

— Pas exactement. Elle est mariée. Je suis plutôt un ami et un « amant occasionnel ». Cécilia Vanger éclata de rire.

— Qu'est-ce que tu trouves si drôle ?

— La façon dont tu as dit ça. Amant occasionnel. J'aime bien l'expression. Mikael rit. Cette Cécilia Vanger, décidément, lui plaisait.

— Moi aussi j'aurais bien besoin d'un amant occasionnel, dit-elle.

Elle se débarrassa de ses pantoufles et posa le pied sur le genou de Mikael. Machinalement il mit la main sur son pied et toucha la peau. Il hésita une seconde — il sentit qu'il naviguait dans des eaux totalement inattendues et incertaines. Mais il se mit tout doucement à masser la plante de son pied avec le pouce.

— Moi aussi je suis mariée, fit Cécilia Vanger.

— Je sais. On ne divorce pas dans le clan Vanger.

— Je n'ai pas rencontré mon mari depuis bientôt vingt ans.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Ça ne te regarde pas. Je n'ai pas fait l'amour depuis... hmm, disons trois ans, maintenant.

— Tu m'étonnes.

— Pourquoi ? C'est une question d'offre et de demande. Je ne tiens absolument pas à avoir un petit ami, ni un mari légitime, ni un compagnon. Je me sens très bien avec moi-même. Avec qui ferais-je l'amour ? Un des professeurs de l'école ? Ça m'étonnerait. Un élève ? Radio-Caniveau aurait quelque chose de croustillant à se mettre sous la dent. On surveille de près les gens qui s'appellent Vanger. Et ici sur Hedebyön n'habitent que des membres de la famille ou des gens qui sont déjà mariés.

Elle se pencha en avant et l'embrassa dans le cou.