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Un gérant intervient pour aider bénévolement les personnes qui pour diverses raisons ont du mal à assumer leurs activités quotidiennes, payer leurs factures ou s'occuper de leur hygiène. Le gérant désigné est généralement un parent ou un ami proche. Si la personne est seule dans la vie, les autorités sociales se chargent de trouver quelqu'un pour remplir cette fonction. La gérance est une forme modérée de tutelle où la personne concernée garde le contrôle de ses ressources et où les décisions sont prises en commun.

La tutelle est une forme de contrôle considérablement plus stricte, où la personne concernée est privée de la libre disposition de son argent et interdite de décisions en différents domaines. La formulation exacte signifie que le tuteur gère les biens et accomplit tous les actes civiques ou procédures juridiques de la personne concernée. En Suède, près de quatre mille personnes sont ainsi placées sous tutelle. Les causes les plus fréquentes de mise sous tutelle sont une maladie psychique manifeste ou une maladie psychique liée à une forte dépendance à l'alcool ou aux drogues. Une partie moindre est constituée de déments séniles. On peut s'étonner de trouver parmi celles qui sont mises sous tutelle autant de personnes relativement jeunes, trente-cinq ans ou moins. L'une d'elles était Lisbeth Salander.

Priver une personne du contrôle de sa vie, c'est-à-dire de son compte en banque, est l'une des mesures les plus dégradantes auxquelles une démocratie peut avoir recours, encore plus quand il s'agit d'une personne jeune. C'est dégradant même si l'intention de cette mesure peut être considérée comme bonne et socialement justifiée. Les questions de tutelle sont donc une problématique politique qui peut s'avérer très délicate, entourées de dispositions rigoureuses et contrôlées par une commission des Tutelles. Celle-ci dépend du Conseil général, à son tour coiffé par le procureur général.

De façon générale, la commission des Tutelles travaille dans des conditions difficiles. Eu égard aux questions sensibles que traite cette administration, il est surprenant que si peu de réclamations ou de scandales aient été révélés dans les médias.

En quelques rares occasions, on trouve dans les dossiers une action en justice contre un gérant ou un tuteur indélicat qui a détourné de l'argent ou qui a indûment vendu l'appartement de son client pour mettre l'argent dans sa propre poche. Mais ces cas sont relativement rares, et à cela il existe deux raisons possibles : soit l'administration s'acquitte merveilleusement bien de sa tâche, soit les personnes concernées n'ont pas la possibilité de porter plainte et de se faire entendre d'une façon convaincante auprès des journalistes et des autorités.

La commission des Tutelles est tenue de vérifier chaque année s'il y a lieu de demander la levée d'une tutelle. Lisbeth Salander persistant dans son refus obstiné de se soumettre aux examens psychiatriques — elle n'échangeait même pas un bonjour de politesse avec ses médecins —, l'administration n'avait jamais trouvé de raisons de modifier sa décision. D'où un état de statu quo, et d'année en année sa tutelle avait été reconduite.

Le texte de loi stipule cependant que la mise sous tutelle doit être adaptée à chaque cas particulier. Holger Palmgren, du temps où il était responsable, avait interprété ceci à sa façon et avait laissé à Lisbeth Salander le soin de gérer son propre argent et sa propre vie. Il avait méticuleusement rempli les exigences de l'administration et fait un rapport mensuel et une révision annuelle, mais à part cela il avait traité Lisbeth Salander comme n'importe quelle jeune femme normale et ne s'était pas mêlé de son choix de vie ou de fréquentations. A son avis, ce n'était ni à lui ni à la société de décider si cette jeune personne voulait avoir une boucle dans le nez et un tatouage sur le cou. Cette attitude quelque peu laxiste à l'égard de la décision du tribunal d'instance était une des raisons pour lesquelles Lisbeth et lui s'étaient si bien entendus.

Tant que Holger Palmgren avait été son tuteur, Lisbeth Salander ne s'était pas spécialement posé de questions sur son statut juridique. Maître Nils Bjurman interprétait cependant la loi sur la tutelle de manière radicalement différente.

QUOI QU'IL EN SOIT, Lisbeth Salander n'appartenait pas à la catégorie des gens normaux. Elle avait une connaissance rudimentaire du droit — domaine qu'elle n'avait jamais eu de raisons d'approfondir — et sa confiance dans le service du maintien de l'ordre était pratiquement inexistante. Pour elle, la police était une puissance ennemie relativement imprécise, dont les interventions concrètes au cours des années avaient été de l'arrêter ou de l'humilier. La dernière fois qu'elle avait eu affaire à la police était un après-midi de mai l'année précédente. Elle empruntait Götgatan pour se rendre à Milton Security, quand elle s'était soudain trouvée nez à nez avec un gendarme mobile, muni d'un casque à visière, qui, sans qu'il y ait eu la moindre provocation de sa part, lui avait asséné un coup de matraque sur l'épaule. Son réflexe de défense avait été de passer immédiatement à l'offensive avec la bouteille de Coca qu'elle tenait à la main. Heureusement, le policier avait déjà tourné les talons et était reparti en trombe avant qu'elle n'ait eu le temps d'agir. Plus tard, elle avait appris que la Rue nous appartient avait organisé une manifestation ce jour-là dans le quartier.

L'idée de se rendre au QG des casques à visière ou de dénoncer Nils Bjurman pour abus sexuel n'existait pas dans sa conscience. Qu'aurait-elle dénoncé, d'ailleurs ? Bjurman lui avait touché les seins. N'importe quel agent de police jetterait un regard sur elle pour constater qu'avec ses bourgeons miniature cela paraissait invraisemblable, et si cela avait eu lieu elle devrait plutôt être fière que quelqu'un ait bien voulu s'en donner la peine. Quant à cette histoire de pipe — c'était sa parole contre celle de Bjurman et, en général, la parole des autres pesait plus lourd que la sienne. La police n'était pas une bonne alternative.