Son frère n'avait même pas remarqué que chaque mot du père l'atteignait comme un coup de fouet. Birger Vanger s'était contenté de rire et de poser un bras autour de ses épaules, et de désarmer la situation à sa façon en sortant un commentaire du genre on sait bien comment sont les bonnes femmes. Il avait lancé un clin d'œil insouciant à Cécilia et proposé à Harald Vanger de se tenir à l'affût sur un petit relief du terrain.
Il y avait eu une seconde, un instant glacial, où Cécilia Vanger avait regardé son père et son frère et soudain pris conscience qu'elle tenait un fusil de chasse chargé à la main. Elle avait fermé les yeux. C'était ça, ou bien lever le fusil et tirer les deux cartouches. Elle avait envie de les tuer, tous les deux. Puis elle avait laissé tomber l'arme à ses pieds, avait tourné les talons et était retournée à l'endroit où ils avaient garé la voiture. Elle les avait abandonnés sur place et était rentrée seule à la maison. Depuis ce jour, elle n'avait parlé avec son père qu'en de très rares occasions, quand les circonstances l'y avaient obligée. Elle lui avait refusé l'accès de sa maison et elle n'était jamais allée le voir chez lui.
Tu as gâché ma vie, pensa Cécilia Vanger. Tu as gâché ma vie dès mon enfance.
A 20 h 30, Cécilia Vanger souleva le combiné du téléphone, appela Mikael Blomkvist et lui demanda de venir.
MAÎTRE NILS BJURMAN souffrait le martyre. Ses muscles étaient hors d'usage. Son corps semblait paralysé. Il n'était pas certain d'avoir perdu connaissance, mais il était désorienté et n'avait aucun souvenir des événements. Lorsqu'il reprit lentement le contrôle de son corps, il se retrouva nu sur le dos dans son lit, les poignets bloqués dans des menottes et les jambes douloureusement écartées. Il avait des brûlures aux endroits où les électrodes avaient touché son corps.
Lisbeth Salander avait tiré le fauteuil en rotin jusqu'au bord du lit et, ses boots sur le lit, attendait patiemment en fumant une cigarette. Quand Bjurman essaya de parler, il comprit que sa bouche était fermée avec du ruban adhésif large. Il tourna la tête. Elle avait ouvert et retourné un des tiroirs de la commode.
— J'ai trouvé tes joujoux, dit Salander.
Elle brandit une cravache et farfouilla dans la collection de godemichés, de bâillons et de masques en caoutchouc répandus par terre.
— Ça sert à quoi, ce machin ? Elle montra un énorme bijou anal. Non, n'essaie pas de parler — je n'entends pas ce que tu dis. C'est ça que tu as utilisé sur moi la semaine dernière ? Il suffit que tu hoches la tête. Elle se pencha vers lui, se réjouissant d'avance de sa réponse.
Nils Bjurman sentit soudain une terreur froide lui labourer la poitrine, et il perdit le contrôle. Il tira sur ses menottes. Elle avait pris le dessus. Impossible. Il était dans l'impossibilité totale de faire quoi que ce soit quand Lisbeth Salander se pencha et plaça le bouchon anal entre ses fesses.
— Alors comme ça t'es un sadique, constata-t-elle. T'aimes bien enfoncer des trucs dans les gens, pas vrai ? Elle le fixa. Son visage était un masque inexpressif. Sans lubrifiant, c'est ça ?
Bjurman hurla à travers le scotch quand Lisbeth Salander écarta brutalement ses fesses et appliqua le bouchon à l'endroit prévu.
— Arrête de chouiner, dit Lisbeth Salander en imitant sa voix. Si tu fais des histoires, je serai obligée de te punir.
Elle se leva et contourna le lit. Il ne put que la suivre du regard... merde, c'est quoi ça ? Lisbeth Salander avait déplacé sa télé grand écran du salon dans la chambre. Elle avait posé son lecteur de DVD par terre. Elle le regarda, tenant toujours la cravache à la main.
— Est-ce que j'ai ton entière attention ? demanda-t-elle. N'essaie pas de parler — il suffit que tu hoches la tête. Tu entends ce que je dis ?
Il hocha la tête.
— Bien. Elle se pencha pour attraper son sac à dos. Tu le reconnais ? Il hocha la tête. C'est le sac à dos que j'avais quand je suis venue te voir la semaine dernière. Je l'ai emprunté à Milton Security. Elle ouvrit une fermeture éclair dans la partie inférieure du sac. Voici une caméra digitale. Est-ce que des fois tu regardes Insider sur TV3 ? Les vilains reporters utilisent un sac comme celui-ci pour tourner des scènes avec une caméra cachée.
Elle referma la poche.
— L'objectif, c'est ça la question que tu te poses ? Toute la finesse est là. Grand-angle avec fibre optique. L'œil ressemble à un bouton, il est dissimulé dans la boucle de la lanière. Tu te souviens peut-être que j'ai posé le sac à dos ici sur la table avant que tu commences tes attouchements. J'ai bien vérifié que l'objectif était dirigé sur le lit.
Elle montra un DVD, qu'elle glissa ensuite dans le lecteur. Puis elle tourna le fauteuil en rotin et s'installa de façon à pouvoir voir l'écran télé. Elle alluma une autre cigarette et appuya sur la télécommande. Maître Bjurman se vit ouvrir la porte à Lisbeth Salander. Tu ne sais pas lire l'heure, saluait-il hargneusement.
Elle lui passa le DVD en entier. Le film durait quatre-vingt-dix minutes, il prit fin au milieu d'une scène où maître Bjurman, nu et assis contre la tête du lit, buvait un verre de vin tout en contemplant Lisbeth Salander allongée, les mains attachées dans le dos.
Elle éteignit la télé et resta assise dans le fauteuil en rotin sans dire un mot pendant dix bonnes minutes et sans le regarder. Bjurman n'osa même pas bouger. Elle se leva et se dirigea vers la salle de bains. Puis revint et se rassit dans le fauteuil. Sa voix était comme du papier de verre.
— J'ai commis une erreur la semaine dernière, dit-elle. Je m'attendais à ce que tu m'obliges encore une fois à te tailler une pipe, ce qui est absolument dégueulasse, mais qui ne dépasse pas outre mesure mes capacités. Je m'étais dit que j'allais facilement obtenir des preuves impeccables, des preuves nickel pour prouver que tu es un immonde salopard pervers. Je t'avais mésestimé. Je n'avais pas compris à quel point tu es une pourriture de chez pourriture.
Je vais être claire, dit-elle. Ce film te montre en train de violer une fille de vingt-quatre ans, handicapée mentale dont tu es le tuteur en charge. Et tu es loin de soupçonner à quel point je peux être handicapée mentale quand il faut. On passe ce DVD à n'importe qui et il comprendra que tu es non seulement une ordure mais aussi un sadique fou furieux. Instructif, comme film, non ? Je dirais que c'est toi et pas moi qui serais interné. Tu es d'accord avec moi ?
Elle attendit. Il ne réagit pas, mais elle pouvait voir qu'il tremblait. Elle prit la cravache et frappa un coup sec sur ses organes sexuels.
— Tu es d'accord avec moi ? répéta-t-elle d'une voix plus forte.
Il hocha la tête.
— Bien. Comme ça c'est clair pour tous les deux.
Elle tira le fauteuil et s'assit de façon à pouvoir le regarder dans les yeux.