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Vaincue, un chouïe vexée mais impressionnée, elle me filoche le train d’atterrissage jusqu’à la réception où une aimable Vendéenne au regard doux et loyal m’avertit qu’il ne lui reste qu’une seule grande chambre, qui vient de se libérer ; mais, assure-t-elle, on pourra y dresser un lit d’appoint « pour ma jeune fille ».

Là, espère, j’en morfle un coup dans la gueule : « MA jeune fille ! ».

Y aurait des déprédations sur la façade san-antoniaise, ou quoi ?

Je m’accorde un coup de périscope dans une grande glace opportune qui dissipe mon inquiétude.

On est indulgent avec soi-même.

CHAPITRE

Ayant jeté ma valoche sur le couvre-lit, je propose à Eve de nous rendre à la clape tout de suite : je déballerai mes effets mas tarde, comme disent les Espagnols.

La salle à manger vitrée donne sur la Charente, aimable fleuve côtier qui subit le mouvement des marées encore assez loin de son embouchure. De gros bateaux le remontent aux heures propices. Vision surprenante que celle de ces barlus ventrus semblant déambuler à travers la campagne. Surréaliste, je trouve. Moi dont les origines sont alpines, je suis fasciné par cette ambiance océanique aux horizons plats.

Je mate les rives provisoirement nues, me demandant si l’eau continue de baisser ou si, au contraire, elle regrimpe peinardos. C’est un peu comme la lune : je ne sais jamais où elle en est de ses changements de quartier.

La gosse ne moufte pas, gagnée elle aussi par la paix qui nous entoure.

Le maître d’hôtel nous rambine avec son menu grand format qui raconte plein de bonnes choses. Je demande à ma protégée ce qu’elle aimerait manger ; elle me dit n’avoir aucune idée et me laisse décider.

J’opte pour des moules à la crème, la crêpe aux fruits de mer et des côtes d’agneau. Elle récrie que c’est trop. A quoi, en parfait produit de la société de consommation, je rétorque qu’il vaut mieux plus que moins. Une boutanche de muscadet sur lie complétera nos agapes.

Le crépuscule étend ce que le père Hugo appelait « ses voiles », image très forte, même pour un lecteur natif de Bourgoin-Jallieu où il n’est d’autres voiles que les chemises des petites Berjalliennes. Le ciel ballonné s’obscurcit langoureusement, en déclinant des lueurs allant du rose crevette à l’indigo.

— Bien, attaqué-je, avec cette brusquerie qui m’a empêché de devenir horloger ou artificier comme j’en ai caressé le dessein (des seins, j’en ai caressé d’autres depuis pour me consoler), parlons un peu de vous, ma gentille amie. Quelles tribulations vous ont amenée sous les roues d’un chauffard, dépourvue de tout viatique ?

Elle y va de son récit. Il est bref, assez banal, mais incite à la révolte :

— Mes parents sont divorcés. Mon père, qui est huissier de justice, s’est remarié avec une avocate dont il a un enfant. Ma mère travaille comme assistante chez un médecin, et tout me porte à croire qu’elle est devenue sa maîtresse, ce qui me fait mener une existence assez solitaire. Je me suis organisée dans ce demi-isolement. J’ai la passion de l’écriture et quand j’ai trop de vague à l’âme, je confie ma peine à un cahier à reliure spirale que je ne ferai jamais lire à personne. (Elle ne tient pas compte de mon amorce de geste protestataire et enchaîne :) Cet été, j’ai eu envie d’aller passer un mois dans une île. A défaut des Bermudes ou des Antilles, je suis venue à Oléron. N’étant pas fortunée, j’ai fait la route à vélo en trois étapes. Parvenue à destination, j’ai loué un bungalow d’une pièce dans un campement tenu par un affreux bonhomme qui, illico, a essayé de me sauter. Le genre de sadique-hydre, avec des tentacules répugnants qu’il promenait sur tout mon corps à la fois. Je lui ai déclaré que s’il insistait j’irais le dire à sa femme qui travaille avec lui. Il a laissé tomber ses privautés pendant quelques jours, mais sa pauvre épouse a dû se faire hospitaliser et, du coup, l’horrible personnage s’est déclenché et m’a vraiment persécutée.

« De guerre lasse, je suis allée me plaindre auprès de la gendarmerie. Le sale type s’est fait apostropher d’importance. Evidemment, mon premier réflexe a été de quitter son camping, seulement c’était complet partout. A compter de cette intervention policière il a paru se désintéresser de moi ; en fait il cachait son jeu. Aujourd’hui lorsque je suis rentrée de la plage, j’ai trouvé mon cabanon saccagé. On m’avait tout pris : mon argent, ma pauvre médaille de baptême et jusqu’à mes vêtements de rechange. Il a été le premier à porter plainte pour bris de matériel et a prétendu que je recevais des types louches, ce qui est rigoureusement faux. Ecœurée, dépouillée, j’ai décidé de rentrer à la maison. Le reste, vous le savez. »

Elle se tait. Je la contemple, le cœur serré.

Cosette, me dis-je, et le méchant Thénardier. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. »

Nous dînons de bon appétit. On parle d’un peu tout et de n’importe quoi. J’enjoue (du verbe enjouer, ler groupe). L’amuse de mon mieux avec mes traits d’esprit dont certains sont, je trouve, désopilants sur les bords et entre les jambes pour peu que tu écartes un peu les poils. On jaffe avec cet appétit féroce que te donne l’air marin joint à une journée fatigante.

La bouffe expédiée, on fait quelques pas dans la fraîchouille nocturne. Un voilier sans voiles est amarré à deux grosses bittes dans un creux du fleuve. Il geint doucettement dans la brise nocturne. Sous le ciel de velours noir, la Charente a des éclats d’argent. Je peux te faire tremper ton slip avec des descriptions encore plus poussées, mais tes abjectes sécrétions ne m’intéressent pas.

Nous marchons en nous tenant par la main, kif deux enfants sages. Ça s’est fait innocemment, d’un accord commun. On ne parle pas. Je me dis qu’elle a encore comme une odeur d’enfance, Eve. Faudrait peut-être que je la prenne contre moi pour lui rouler un caramel, non ? Tu crois qu’elle serait partante et que, une caresse en amenant une autre, je parviendrais à lui rouler la pelle du soir au bord de l’eau paisible ? Je chique à Perrette et le pote au lait, j’entrevois que, la galoche princière se prolongeant, j’arriverais à lui pratiquer une main tombée au frifri. Pas une brutale ; une qu’effleure seulement, du genre zéphyr. Qui se fait insinuante si pas de résistance trop marquée.

Pourtant, je refrène mes merveilleux bas instincts. Cette ado que j’ai tirée d’embarras, je vais pas lui présenter la note sous forme d’un beau paf à tête chercheuse, tout de même ! Pas déjà ! Pas commak, à l’engouffrage féroce ! Forniqueur, soit, mais en restant gentleman.

Tu vois jusqu’où je pousse la galantine française ? dirait Alexandre-Benoît. Tiens, au fait, que branle-t-il le gros boudeur irascible ? Faudrait le préviendre que sa grosse s’est nazé une guitare en voulant faire de l’alpinisme. Demain je tâcherai de lui passer un coup de grelot pour le mettre au parfum. Ce sera peut-être, et indirectement, le prétexte du rapprochement avec ses beaufs proscrits ?

La chambre est assez vaste et décrit un « L » majuscule d’imprimerie. La partie horizontale constitue une sorte d’alcôve fermée par un rideau. Je déclare à ma protégée que le lit à une place qui s’y trouve me conviendra parfaitement, mais elle refuse énergiquement.

Alors, bon, je la laisse prendre possession de l’endroit et repars pour Oléron où je prétends avoir un rancard nocturne avec mes collègues de la gendarmerie. Chaste bisou sur son front pur. Peau douce, odeur suave, regard lumineux. Tu crois qu’on lui a déjà dégusté le frigounet, à cette exquise ? J’ose pas trop y songer, sinon je vais marcher au pas de l’oie !