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C’est écrit en arc de cercle sur une tôle rouillée : « Camping de la Maugréance ».

A l’entrée, une petite bicoque peinte en vert et jaune. Au-delà il y a un champ, cerné par la forêt maritime, sur lequel fourmillent une quantité de constructions précaires, style clapier, d’une chambre ou deux avec, à côté de chacune, un emplacement pour la bagnole sans lequel l’affaire serait inexploitable. Le vacancier ne sait pas vivre éloigné de sa tire. C’est elle qui, bien davantage que sa femme, sert de pivot à sa pauvre vie de chaussette trouée.

De-ci, voire de-là, les occupants de ces cages à nœuds profitent de l’air nocturne. On perçoit un rire de femme chatouillée, et qui sait : baisée peut-être, car il y a des pétasses que ça fait marrer ! Plus loin, des jeunâstres s’essaient à la guitare et chantent des trucs anglais avec l’accent de Belleville.

Laissant ma tire hors de ce camp de concentration, je marche vers la maisonnette bicolore qui porte en fronton un écriteau marqué « Ofice » avec un seul « f » par souci d’économie. La porte est vitrée. Elle donne sur un local incertain comprenant un bureau, des sièges d’osier, et un poste de télévision du treizième siècle. Devant l’écran plein de mon cher Patrick Sébastien, y a un kroume mal rasé (ou mal barbu, au choix), vêtu d’un chandail couleur pisse froide qui se gratte les testicules.

Je toque à la lourde.

— Mouais ? dit l’individu du ton affable d’un policier de la route dont tu viens d’embugner la moto.

Prenant ces deux brèves syllabes pour une invite, je pénètre dans « l’ofice » au moment où ça se marre dru dans le poste.

Le téléspectateur me propose l’une des plus sales gueules qu’on ait jamais vues sur l’île d’Oléron. Il a les joues creuses sous sa malrasance, un regard rouge aux cils farineux, une bouche dégueulasse dans laquelle t’oserais même pas introduire un thermomètre et qui pue encore à trois mètres pis qu’un chiotte bouché.

— Je suis complet ! fait cet être délicat.

— Vous avez déjà reloué le bungalow de la petite Romandie ? demandé-je avec amabilité.

Il embrume, puis renaude :

— Qu’est-ce vous racontez ?

— Eve Romandie est l’exquise jeune fille blonde que vous voulûtes violer, déclaré-je, et que vous finîtes par virer ce matin comme une malpropre.

Sans attendre sa réaction, je traîne une chaise face à la sienne.

— Eve est ma nièce, assuré-je, et je l’aime beaucoup. Les gens qui s’en prennent à elle deviennent automatiquement mes ennemis d’enfance et cessent d’être heureux pendant un certain temps.

Cette aimable tirade, quelque peu ampoulée (elle vous est offerte par Mazda), ne laisse pas que de le troubler. Il tarde à la décrypter. Y étant parvenu, il renaude :

— Votre nièce est une petite pute, foutez-moi la paix sinon j’appelle la police.

Ma réaction pourrait convenir à un sanguin de l’espèce béruréenne : je lui allonge une tatouille qui le fait chanceler sur son siège. Il en méduse, le vilain. Se demande s’il convient de crier au secours ou, au contraire, de laisser enfler sa joue en silence. Une lueur de haine, mêlée de trouille bleuâtre, fait ressembler son regard aux anneaux des jeux olympiques.

— Je porte plainte ! balbutie-t-il.

Je sors ma brème de ma vague et la place devant son pique-bise. Médusé, il en prend connaissance.

— Je vous écoute, fais-je, déposez votre plainte. Lorsque je l’aurai enregistrée, je vous arrêterai pour tentative de viol sur une mineure et vol d’effets personnels et d’argent. Ça ne va pas faire de la pub à votre camp de concentration, ni hâter la guérison de votre rombiasse, croyez-moi…

Son regard battu par l’océan fait de plus en plus songer à deux glaves de tubard parvenu en phase terminale.

— Je proteste contre ces accusations mensongères ! parvient-il à articuler malgré l’importante fluxion qui le défigure à toute pompe.

Il va pour se lever, mais je le saisis par son tricot et le maintiens assis d’une poigne de fer.

— Pas tout de suite, monsieur Thénardier. Vous allez entendre ce que j’ai à vous dire.

— Vous me brutalisez ! hoquette le mono-joufflu.

Il est tellement veule dans sa protestation que je ne peux résister au vif plaisir de gifler sa joue disponible où il y avait un emplacement à prendre.

— Ecoute, cancrelat, je te propose un marché inespéré pour toi : tu me rends ce que tu as engourdi à la petite et je tente de t’oublier ; sinon je te passe ces jolies menottes et t’embarque à la gendarmerie. Personne ne t’a jamais fait une offre de cette qualité ; la refuser marquerait pour toi la fin de ta quiétude scélérate.

— Je n’ai rien commis de répréhensible ! zozote le chafouin. Bien que vous soyez policier, vous ne m’en ferez pas démordre et je vais porter plainte contre vous pour coups et blessures.

Au lieu de lui répondre, je tire mes menottes de ma fouille (j’ai la même paire depuis des lustres) et lui emprisonne un poignet de ce geste auguste, sec et précis, du poulardin chevronné. Rien qui modifie plus rapidement la psychologie d’un individu que ces bracelets d’acier, à croire que leurs boucles « étouffent » celui à qui on les passe.

Je tire le bonhomme dans la pièce voisine qui est une cuisine cradoche où s’élaborent des bouffements bizarres à l’usage de ses pensionnaires.

De là, l’un halant l’autre (parce que l’un n’allant pas sans l’autre), je commence une exploration méthodique de la crèche. On visite « l’ofice » de la cave au grenier, ce qui est manière de parler car il n’en comporte pas. Guignant mon lascar à la dérobée, je constate qu’il marque un certain ragaillardissement. De là je conclus que je gèle.

Dès lors, l’incomparable San-Antonio fait la tournée de ses méninges. Il se dit : « Je suis cet affreux mec. Je veux faire croire qu’on a cambriolé le bungalow d’une fille avec qui j’ai eu des démêlés. Je ne suis pas assez con pour planquer son petit bazar chez moi. Alors ? Le plus prudent serait évidemment de m’en débarrasser en le jetant à la mer, voire de l’enterrer en forêt. Seulement je suis un sombre grigou qui ne se résout pas à détruire des effets et objets d’une certaine valeur… Conclusion : je les planque ! Mais achtung, je ne dois pas être vu. »

De guerre lasse, je reviens à « l’ofice ».

Le gars ne me perd pas de vue. Avec mon sens divinatoire bien connu, je m’efforce de percer ses pensées. Celles-ci sont de deux sortes. D’une part il est rassuré par l’échec de mes premières investigations ; d’autre part, il redoute mes initiatives suivantes. Il s’agit d’entretenir savamment son tourment.

Je le pousse dans le fauteuil d’osier qu’il occupait naguère.

— Tu vois, bonhomme, murmuré-je-t-il, il est évident que je vais trouver. Ma première perquise n’était qu’un galop d’essai, histoire de m’assurer que tu es plus rusé que ton air con ne le laisse supposer. A présent, on passe la vitesse supérieure.

Mains aux fouilles, je me prends à arpenter le burlingue. T’as aucune idée de l’électricité que dégage mon cerveau réacteur. Une pile électronique.

Je considère la pièce en rêvassant. Patrick Sébastien poursuit son show dans une délirade endiablée. Il ouvre un coffre et en sort une clé grosse comme une arquebuse.

— « Et voici la clé des songes ! » déclare le fantaisiste (ô combien !).

« Non, me fais-je familièrement car je suis demeuré très simple avec moi-même : c’est la clé de l’énigme ! »

CHAPITRE

A vrai dire, je ne vois pas très bien pourquoi je change de chapitre pour continuer une même action avec le même personnage. Il s’agit là d’une licence passablement hardie que seul un écrivain de ma qualité, intrépide de partout, peut s’autoriser, n’ayant aucun souci du camp-du-raton.