Elle essuie larmes et morve d’un même revers de manche.
— Ces types, à ce qu’il paraîtrait, portaient des blouses grises et des cagoules noires, poursuit la pauvre femme dont la sœur, l’époux et la demeure sont gravement déprédés ; d’après mon mari, le plus costaud des deux lui a mis un coup de boule dans le portrait en guise de se présenter. Mon Broisy en est tombé cacao. Les deux types l’ont alors placé dans son fauteuil et ont continué de lui flanquer des coups dans sa figure. Voyez comme ils me l’ont laissé. Toutes ses dents de devant y sont passées ; sa bouche, vous croyez le derrière d’un babouin. Ils lui ont arraché la boucle d’oreilles que je lui ai offerte pour nos dix ans de mariage, et coupé sa queue de cheveux qui datait de notre séjour en Inde. Tout ça sans dire quoi que ce soit. Un massacre organisé ! A la fin, le pauvre a perdu connaissance. Quand il avait tendance à revenir à lui, boum ! Un nouveau gnon ! Lorsque je suis rentrée de l’hosto, ce matin, je l’ai trouvé dans l’état que vous voyez ; tout avait été ravagé. Il geignait sur le sol, au milieu des décombres ; la joie, hé ? Vous pouvez regarder dans notre chambre et notre salle de bains, c’est le même tabac ! Du vandalisme, monsieur le directeur ! On peut appeler ça comme ça, non ?
— On peut ! agréé-je. Je suppose que ses agresseurs cherchaient quelque chose. De l’argent ?
— On n’en a presque pas, fait la demi-sœur de la double Berthe. Un peu à la banque, pour payer les factures et, ici, la recette des derniers jours, c’est tout.
— Ils l’ont volée ?
— Vous pensez qu’ils se sont gênés, les salopards !
— Il y avait beaucoup ?
— Dans les trois mille, hein, Broisy ?
— Rgrrevv tcholuiir ! répond le tuméfié, lequel devra remettre sine die sa conférence à l’O.N.U. sur le désarmement.
— Qu’ont-ils dérobé encore ? insisté-je.
— Faut voir, répond la sister, prudente. Au milieu de ce bordel, c’est difficile à dire.
— Vous possédiez des bijoux de valeur ?
Elle hausse les épaules.
— En dehors de ma montre en or que je porte au poignet et de ma bague de fiançailles que je garde au doigt, je n’ai que des trucs fantaisie.
— Croyez-vous qu’ils aient pu chercher autre chose ?
— Quoi donc, monsieur le directeur ?
— Je vous le demande. Pensez-vous détenir des objets susceptibles de présenter un intérêt quelconque pour des coquins ?
— Seigneur ! On n’a que les dettes qui restent à courir sur le motel ! Nous sommes pauvres, archipauvres ! J’ai presque rien à me foutre sur le cul, monsieur le directeur, et pour Broisy c’est pareil !
Un instant de silence avec, en contrepoint, les geigneries du motelier dont les fluxions continuent de croître sans embellir et qui constate d’un médius timoré la branlaison de ses chailles encore en position. Son futur alimentaire se présente mal et c’est pas demain qu’il va s’attaquer à des entrecôtes.
— Je vais essayer de nous faire du café, décide la pauvre femme.
Elle se rend dans la cuisine où elle pousse des cris de putoise en dressant l’inventaire des destructions commises.
Je fais signe au Déglingué de m’accompagner dehors. Le soleil arrose à tout-va. Les zizes, indifférents, balancent leurs charmants trilles à tous les échos, y compris celui de la mode.
Le banc.
J’y installe ce que les plumitifs qui croient avoir de l’humour nomment « la partie charnue de mon individu ». Mon Dieu, si Vous me permettez, je vais Vous faire un reproche : Vous avez créé une écrasante majorité de glandeurs dont la masse inerte risque de déstabiliser la planète des singes. Un jour, l’unique coin à vivre de l’Univers basculera et nous retournerons à l’époque glaciaire.
Je tapote le siège près de moi.
— S’ils t’ont laissé l’usage du prose, assieds-toi, mauviette.
Docile, il se dépose à mon côté tel un cacatoès déplumé sur un barreau de son perchoir.
— Tu es embarqué dans une drôle de galère sans rames, Ambroise.
— Je sais, geint-il un peu plus audiblement que lors de ses précédentes prestations, à moins que mon oreille se fasse à ses suçotements ?
— A mon opinion, comme disent les Anglais, la seule façon que tu aies de t’en sortir c’est de ne rien me cacher.
— Je ne vous cache rien !
— Es-tu absolument certain de ne pas avoir eu le moindre signe de vie de ton ex-copain Marcel Proute, ni, a fortiori, de ne pas l’avoir aperçu ?
— Je vous le jure !
Je le défrime à la sceptique, comme tu regardes dans un souk un bijoutier qui essaie de te faire passer un tesson de bouteille pour une émeraude.
— Admettons, finis-je par soupirer. Comment expliques-tu le fait que ton ex-copain de détention t’ait observé avec des jumelles depuis le bois ?
Effarure du pleutrard.
— Il m’observait ?
— Tel l’amiral Kichi Duho Duma observant Pearl Harbor avant de lancer l’attaque ! Il serait arrivé au pays en compagnie d’une femme pilotant une Range-Rover.
Le connard découetté en a l’air sidéré.
— Vous me l’apprenez, zozote-t-il.
— C’était pas un gars courant, ton pote. Figure-toi qu’il a subi une petite intervention chirurgicale, il y a quelques mois. On lui a implanté dans la viandasse un petit truc marrant, tiens, regarde.
Je sors la boîte à conviction, l’ouvre et lui montre la minuscule ampoule qu’elle contient.
— Cette infime chose renfermait du cyanure, tu te rends compte ?
— C’est pas vrai ! il dit, ayant beaucoup d’à-propos et de conversation.
— Authentique. Il vivait avec ce machin dans le corps. Ça ne devait pas trop le gêner, seulement, le hasard a voulu qu’il prenne un coup phénoménal dans le baquet, lequel a crevé la capsule, et il a péri foudroyé. Peu banal, hein ?
— Vous en êtes sûr, monsieur le…
— Rapport du légiste.
Il a l’air franchement à côté de ses santiagues, l’Air-cul, se sent en grande perdition morale et physique. Dans le fond, sa vie aura été une franche tartine de gadoue. Se laisse entraîner à ses débuts dans une sombre foirade : c’est les assises, la taule. Banc de la société. Sœur Teresa et ses vérolés dans son show hindou, les renards du Canada, son motel pour paumés déstructurés, et puis le revoilà à nouveau au cœur d’une affaire criminelle, contre son gré, semble-t-il. On cloque des assassinés sur son toit, on lui met des roustes nocturnes à grand spectacle. C’est pas vraiment bandant comme destin ; j’ai connu des gogues d’Afrique Noire plus huppés que son pedigree.
— Bon ! repars-je-t-il. Il crève en t’observant à la jumelle. Logiquement, sa carcasse devrait pourrir dans la forêt jusqu’à ce qu’un mycologue en mal de cèpes la découvre. Ben non : y a un petit futé qui prend le risque de la trimbaler sur ton toit, histoire de te faire une blague. Moi, flic blasé, je ne puis m’empêcher de trouver la farce drôlette, mec. J’apprécie l’humour macabre qui sous-jacente. Et comme je suis poultock d’un bon niveau, je me dis que cette plaisanterie absolument neuve n’est pas gratuite. Je te développe mon raisonnement, file-moi le train. Ton ex-camarade de gnouf apprend que tu t’es mis motelier à Oléron. Pourquoi l’apprend-il ? Parce qu’il te recherche. Pourquoi te recherche-t-il ? Parce qu’il a besoin de toi. Pourquoi a-t-il besoin de toi ? Là, deux hypothèses : soit il est en quête d’une planque et il compte la trouver ici, soit tu es en mesure de lui apporter un élément très important. Quoi ? C’est la question que je te pose.
Il a la tremblote dans le genre Parkinson en fin d’évolution.