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Donc, l’accident a eu lieu parce que la conductrice se faisait brouter le green. Tu vois, pour moi ça constitue des circonstances éternuantes, comme dit le Mahousse, et m’incite à passer l’éponge ( ?).

Je ne puis me retenir d’évoquer le tableautin : Médème, en pleine dévergondance à son volant, et son cosaque accroupi pour lui grumer le mont de Vénus pendant qu’elle pilote. Pas commode, mais intéressant !

— Votre partenaire doit être jeune pour accomplir un tel exploit, ne puis-je m’empêcher de réflexionner.

— Pensez-vous : il a soixante-quatre ans !

Elle s’amuse de ma stupeur.

— C’est dans cette tranche d’âge qu’on rencontre les meilleurs bouffeurs, assure-t-elle.

— On trouve parfois des exceptions, fais-je en conaissance de cause.

C’est sur ce sous-entendu humidificateur qu’apparaît ma petite Eve. M’apercevant, elle m’accourt contre au sortir de l’ascenseur.

Je procède aux présentations :

— Voici Eve, votre victime ; voilà Solange, votre chauffarde.

Elles se regardent, intimidées.

— Mme Genouillé vous apporte un vélomoteur compensatoire, ajouté-je ; j’espère que vous lui accorderez votre pardon.

Elles finissent par se sourire, un peu gauchement, gênées vaguement d’être sympathiques l’une à l’autre. Nous sommes parfois déroutés par des antagonismes qui capotent parce qu’ils ne trouvent pas assez de rancœur pour se nourrir.

Ces deux ravissantes sortent pour aller chercher le vélomoteur que la députière a amené dans la Range de service.

Le soleil impétueux semble se saisir d’elles, sitôt la porte franchie. Le gros toutou plein de poils lèche sa truffe, puis sa bite et soupire en partant les rejoindre. C’est chiant d’être un saint-bernard de salon.

Je demeure un instant à méditer. J’aimerais volontiers m’attarder avec ces deux jolies fumelles, mais le devoir commande.

Alors je vais à la réception consulter l’horaire des trains pour Pantruche.

PARTIE

SANS LAISSER D’ADRESSE

CHAPITRE

Une étrange atmosphère règne au labo. Ce lieu toujours si grave connaît un relâchement inusité. Les quelques gaziers en blouses blanches constellées de taches jaunasses, vaquent sans entrain. Derrière leurs tubes, éprouvettes, réchauds à gaz, ils ressemblent aux cuisiniers d’un restaurant sans clients. Plus que désœuvrés, ils sont en complète relaxation.

— Mathias n’est pas là ? demandé-je à l’un d’eux : le père Lachibre, un crabe décoloré par les ans et les acides, qui attend la retraite comme un collégien la perte de son pucelage.

— Venu et reparti ! répond le digne homme qui porte le ruban de ses Palmes académiques jusque sur sa blouse initialement blanche.

— Il va revenir bientôt ?

— Dieu seul le sait.

Pressentant du pas clair, je me fais pressant :

— Pourquoi cette voix et cette tête de conspirateur, Lachibre ? Il est arrivé quelque chose au Rouquin ?

Mon énervement ne lui échappe pas. Dans la Grande Taule, on sait que je suis un brave mec dont l’impatience fait rage.

— Peines de cœur, monsieur le directeur, soupire le constellé ; c’est le genre de couillerie qui nous tombe dessus à tout âge !

Ce « nous » qui, implicitement, laisse supposer que ce vieux branleur pourrait tomber amoureux d’autre chose que de ses Byrrh-cassis vespéraux me choque confusément. Je n’en laisse rien paraître car, après tout, même un vieux con biberonneur, au pif étoilé de varices de comptoir qui semblent lui envelopper le tarbouif de crépine, peut connaître le mal d’amour.

Je me dis que, tiens, c’est vrai : l’assistante de Xavier, qui est également sa nièce du côté de sa femme, et sa maîtresse de son côté à lui, est absente.

— C’est fini avec le boudin blanc ? fais-je en montrant le coin de labo où, naguère, s’activait la gonzesse.

— Ouais, et vilainement.

— Racontez-moi.

— Elle l’a largué pour se marier avec un fleuriste de son quartier, un veuf qui a vingt ans de plus qu’elle. La garce n’avait rien dit à Mathias. Elle a fait son coup en douce et il a su ces épousailles par un faire-part. Il la croyait en vacances chez sa mère, en réalité elle était en voyage de noces et avait démissionné sans lui en parler. Le choc a été terrible pour notre ami.

Le père Lachibre d’ajouter :

— Une mocheté pareille, avoir tant de succès ! Moi, j’en voudrais même pas pour me faire faire une pipe !

— C’est ce qui fait la grandeur de l’amour, mon cher ami, et assure l’équilibre universel, philosophé-je-t-il. Si seuls les prix de Diane trouvaient chaussure à leur pied, le monde deviendrait un enfer pour les disgraciés.

Je vais au burlingue de l’absent. Des dossiers s’y accumulent. Dans un angle de son sous-main, la photo de la tarderie infidèle. Dieu qu’elle est gerbante ! locdue à t’en faire dégueuler ton quatre heures !

— Vous avez une idée de l’endroit où je peux le trouver ?

— Pas une idée : une certitude, répond Lachibre. La Brasserie Dauphine. Il se farde l’intérieur au Guignolet-kirsch parce que c’est un vieil apéro dont elle raffolait. Il y reste jusqu’à la fermeture et s’en va, pété comme une châtaigne trop mûre. Dernièrement, sa femme est venue le chercher. Vous savez comme elle est autoritaire ? Eh bien, il lui a ouvert la pommette d’un gauche carabiné. Elle parle de divorcer. Avec ses dix-sept chiares, je voudrais pas avoir à douiller la pension alimentaire !

Je hausse une épaule, ce qui est plus significatif que d’en hausser deux et mets le cap sur la brasserie.

* * *

Etrange, la façon dont l’humain se « défait » rapidement quand il est atteint au moral.

Cet être roux, hirsute, que sa barbe poussante fait ressembler à Van Gogh et qui est prostré devant le reliquat d’une boisson fermentée rappelle davantage un clodo qu’un dirlo du laboratoire de police de Pantruche-les-Bains.

Ma venue et mon asseyage le laissent marmoréen. Il a le regard atone et son ventre vide crie famine car il ne s’alimente plus qu’avec ses Guignolet-kirschs.

Casimir, le loufiat blanchi sous le gilet noir, vient s’enquérir de mes désirs.

— Du pareil ! fais-je en montrant la conso de mon pote.

Nous échangeons un long regard, le serveur et moi. Puis il hoche la tronche et s’éloigne. Le Rouquemoute n’a pas desserré les chailles ; probable qu’il est incapable d’en casser une.

Je vide mon verre. C’est vrai que c’est agréable, ce machin quand, comme moi, on aime les alcools doux. Nos vieux se poivraient en délicatesse. Ils s’arrachaient pas la tronche aux alcools brutaux : Picon-grenadine, Mandarin-curaçao, Guignolet-kirsch assuraient des beurranches ouatées. On devenait blindé gentiment. On s’enfonçait dans des langueurs. A présent, c’est le scotch ou la vodka ; on ne nuance plus. Il faut du raide. Du cataclysmique. On se jette dehors en trois gorgeons.

La vie nous presse.

La mort aussi.

Je parviens à extraire le tout-red de son guéridon. Hébété, il me filoche en traînant les godasses, comme le font les idiots. Je ne lui dis rien : il est inapte, l’inepte. La jacasse, ce sera pour après.

Brève hésitation de ton serviteur, au bout de laquelle je le fourre dans ma bagnole et l’embarque pour notre maison de Saint-Cloud.