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Je mate en direction du motel et aperçois la jolie dadame qui prenait naguère le soleil. Maintenant, elle se trouve à l’ombre et se fait les griffes, ayant disposé son nécessaire sur une chaise. Avec méticulerie, elle passe un pinceau chargé de vernis pourpre sur ses lunules, en tirant un bout de langue appliqué que je la verrais bien promener sur le filet de mon Explorer number one.

C’est vrai qu’elle est appétissante, cette moukère. Son julot doit la rejoindre en fin de semaine pour la copulation weekendière. Je pourrais peut-être lui assurer un brin d’intérim, va savoir, Charles ? Prendre à mon compte les coïts de semaine en laissant le gala dominical à son cornard. Chatte à suivre. Je la délaisse à mille regrets pour effleurer de la rétine d’autres gerces, vachasses, celles-là, dont la pire tutoie le quintal et demi dans une apothéose de varices, vergetures et bourrelets cascadeurs.

Mon panoramique gauche-droite m’amène enfin à « l’office » du motel. L’auto des Paray ne s’y trouve plus ; je me rappelle que Grabote a déclaré qu’elle allait rendre visite à la Bérurière. Faudrait que je me décide à l’imiter. Lui porter, non pas des fleurs, mais un pot de rillettes, une terrine de gras-double, du sauciflard ou de la tronche roulée, la moindre des choses, quoi.

En immobilisant ma lorgnette, j’avise le gars Ambroise dans son antre. Il est prostré devant son bureau, la tête entre ses mains, l’air d’un qui échangerait volontiers sa vie de cloporte blessé contre une chique de tabac longuement mâchée. M’est avis que la trouille le déminéralise, Fesse-de-rat. Il sent rôder la mort autour de lui et doit souvent changer de slip. S’il a des fautes à expier, il est en train de se mettre à jour, je devine.

Rien de plus pernicieux que la peur qui se promène, qui couve, que tu ne cesses d’appréhender ; qui, à chaque seconde, distille une goutte d’acide prussique et la laisse tomber sur ton système nerveux. C’est corrosif, l’angoisse. Ça ronge.

Je demeure à mon poste d’observance, à visualiser ce panorama cacateux. A l’exception de la gerce en train de se vernir les griffes, il n’y a que chétivité, maussadité, dégueulance.

« Et cependant, songé-je : la vérité est là. » Quelle vérité ? Tu le sais, toi ? Moi, pas. Faut faire quand même. Nous devons toujours avancer, dans ce turf, même lorsque nous ignorons où nous allons.

Et voilà qu’une pensée en béton, que La Bruyère n’aurait jamais eue, fait onduler le dessous de ma coiffe.

Moulant mon poste de matage, je me dirige vers la cabine téléphonique située à quelques pas de la recette auxiliaire des P. et T. J’arrache une page de l’annuaire qui concerne les infortunés abonnés dont le blase commence par « T ». La divise en deux, roule fin chacune des parties pour les glisser entre mes lèvres et mes gencives. Rien de tel pour modifier radicalement ton élocution D’en plus, je me propose de prendre un accent sudien, quelque chose hésitant entre le rital, le corsico et le crouille. J’ai un petit talent d’imitateur assez plaisant. Patrick Sébastien qui m’a conseillé. « Efforce-toi d’aimer ceux que tu contrefais, il me répète, le grand frisé. Si tu n’éprouves pas de la tendresse pour eux, tu les loupes : ils t’échappent. »

Je m’efforce donc. Ce qui ressort est un compromis en Julot Iglésias, Haricot Machiasse et Marcello Masse-trop-Yanni.

Sonnerie brève. Décrochage presque immédiat ; évidemment, « il » est à son burlingue !

— Motel de la Barque sur le Toit écoute.

Bien une tournure de phrase à la pleutre !

— Y a plus de barque sur ton toit, Fesse-de-rat, je lui dis-je en trivialant à l’excès, faudra que tu débaptises ton usine à rabbits.

Je sens qu’il devient instantanément exsangue et que son souffle ne lui permettrait plus de gonfler une capote anglaise de Japonais.

— Qu… qu… qui êtes-vous ? parvient-il à demander.

— T’as entendu causer des « nettoyeurs de tranchées » de la Grande Guerre, branleur ? Eh bien ça, en quelque sorte.

Sa respiration saccadée fait un bruit de gogues de gare, quand plusieurs voyageurs défèquent simultanément dans les rangées de cabines en froissant leur faf à train (si j’ose dire).

— Tu visualises bien le topo, Niacouet ? reprends-je. T’as dépassé les limites d’usage et nous allons aborder la phase finale. Note qu’on va pas te bousculer : je te laisse cinq minutes pour réfléchir. Passé ce délai, tu mets les pouces, sinon tes funérailles auront lieu avant la fin de la semaine, et t’auras ton zob dans ta bouche pour faire plus rigolo quand tu te présenteras devant ton créateur.

Je raccroche sec.

A cinquante-deux mètres dix de la cabine, se trouve un charmant bistrot où des pêcheurs aux cuissardes crépies d’écailles de poissecaille éclusent du frelaté. Ils parlent à l’éconocroque, par onomatopées d’occasion. Dur métier qui t’apprend à fermer ta gueule et à ne pas penser trop littéraire. Quand tu passes ta vie à t’arc-bouter sur un pont en mouvement, t’es peu porté sur l’échec de la métempsycose dans le christianisme.

Polis, ils m’accueillent d’un hochement de tête prudent et ma qualité de mec venu d’ailleurs les réduit au silence complet.

Je commande une bière et joins mon mutisme au leur. Toujours ce bruit immense et lancinant de l’océan montant inlassablement à l’assaut de la terre. La léchant pour mieux la ronger.

J’essaie de gamberger. Plus je phosphore, plus je me dis que fatalement le petit beauf-grignette du Mastard détient un secret, et que c’est because celui-ci que d’étranges personnages se bousculent au portillon de l’île d’Oléron. Rien n’est jamais gratuit. Hormis un malade mental, aucun homme n’agit sans raison.

J’écluse ma bibine dessoiffante à longs traits, comme disent les charretiers. Il est temps de renouveler mon appel.

Il se tenait aux aguets, car il décroche avant la fin de la première sonnerie.

— Alors, Baratte-à-merde, qu’as-tu décidé ? dis-je d’un ton mutin.

— Ça ! il hurle.

Une forte détonation m’escagasse le tympan droit. Suivie d’un choc sourd.

Puis c’est le silence !

Je m’abstiens de regarder avec hébétude le combiné téléphonique, comme le font les gaziers de cinoche sous le coup d’une forte émotion. Sobrement, je le replace sur sa fourche caudine. Je me sens davantage glacé que le marbre servant d’étal à une poissonnerie. Le cœur du poète que je suis bat à 40 pulsations. Mon sexe est plus recroquevillé qu’un escarguinche à la parisienne au fond de sa coquille.

— Seigneur ! fais-je familièrement à Ce dernier ; pourquoi avez-Vous permis que mon initiative à la con conduise ce paumé au suicide ?

Je m’en vais en tubitant, ou en titubant, je ne sais. J’en oublie de carmer ma bibine, ce que la cabaretière me rappelle d’un hèlement de piroguier depuis sa terrasse.

Je reviens lui fourrer un talbin de cent points dans le pli de sa ligne de vie (elle n’a pas de ligne de chance).

Lui bredouille de « garder la monnaie », ce dont elle s’acquitte avec un étonnement magistral.

M’en vais, du pas lourd des mareyeurs à travers leurs plantations d’huîtres.

CHAPITRE

On m’interpelle.

Une voix de store, dirait Béru (dont la cruelle absence m’est douloureuse).

— Directeur !

Mouvement de tronche de l’apostrophé.

Qui reconnaît l’énorme docteur Paranaud, habillé en vieux motard que j’aimais (« mieux vaut tard que jamais », je te l’ai déjà faite mais je ne m’enlace pas).