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Il est à bord de sa décapotable superbe : mi-Tarass Boulba, mi-Tartarin de Tarascon. Son casque de cuir aux oreilles de basset artésien complète son aspect « Bonhomme Michelin » des anciennes affiches.

— Cette enquête avance ? fait-il en stoppant sa ronfleuse.

Je m’en sors par des onomatopées riches d’évasiveté.

— Y a fallu que je revienne à Oléron, m’explique-t-il, alors que je ne lui demande strictement rien. Figurez-vous que j’avais perdu mon permis de conduire et ma carte d’électeur en bouffant le cul de ma gentille hôtesse. Ces putains de papiers étaient tombés de ma poche revolver et, après minette, la prenant en levrette, ainsi qu’il est d’usage, je les ai envoyés sous le plumard du bout du pied.

— Vous tombez bien ! finis-je par éructer comme un Etrusque brusque.

— Pour quelle raison ?

— Venez avec moi jusqu’au motel de la Barque sur le Toit, Doc, et vous le saurez.

Pas contrariant, il remet sa ronfleuse en marche et m’escorte sans me proposer de monter à son côté ; d’ailleurs y a plus de place.

L’établissement est tranquille. Des chiares jouent à promiscuité. Se peut-il qu’un coinceteau si innocent soit le théâtre de drames ? Bonne question ! Il fallait être San-Antonio pour oser la formuler. Remercions-le de l’avoir posée, mes bien chers frères.

Tu sais que, généralement, c’est jamais ce que l’on avait imaginé qui se propose à ta vue ?

Ben là, si.

Je voyais la scène telle qu’elle est : le beauf à son méchant burlingue, la tronche sur le sous-main réclame (vantant les mérites indiscutables de la prestigieuse Suze dont mon père fit une large consommation en l’additionnant de sirop de citron afin d’en tempérer la riche amertume), un bras pendant, l’autre curieusement recroquevillé et dont la paluche serre encore un vieux pistolet au canon marqué de rouille. Oui : c’était pile commako dans mon imaginaire. Une vision du type « O », à développement instantané.

Je désigne le suicidé à Paranaud :

— Même si vous n’aviez pas perdu votre permis, il vous aurait fallu revenir, Doc.

Le Michelin du scalpel en émet un pet admonestateur qui couperait la chique à une diva d’opéra s’apprêtant à attaquer le grand air de « Marguerite » dans Faust.

— Chié-la-bite ! grommelle l’obéso-scientifique. Qu’est-ce qu’il leur arrive, sur cette île de mes couilles !

Il arrache son casque de cuir râpé et se penche sur le beauf. Tout en l’examinant, il lui parle, selon son habitude :

— Montre un peu, Ducon ! Alors t’as voulu aller à la foire aux asticots. Mais tu vis encore, Tête-de-paf ! Et tu te paies même un quatre-vingt-dix de pulsations tout ce qu’il y a de correct pour un crevard de ton espèce ! Bon, t’as bougé au moment de presser la détente, à moins que ce ne soit l’instinct de conservation, petit drôlet. La balle est partie en biais. Ta portugaise est déchiquetée et a vachement saigné.

« Voyons le temporal… Un sillon peu profond. La bastos a fait péter une partie de l’arcade sourcilière. Faudra que tu portes des lunettes à grosses branches pour masquer la cicatrice, plus tard, mais tu seras pas plus moche pour autant ! Ta tension, Dunœud ?… Quinze, huit ! Putaine, si je pouvais avoir la même, j’en ferais mes choux gras !

« Bon ; quelques jours d’hosto, davantage pour réparer ton moral suicidaire que ton crâne de piaf, et tu redeviendras opérationnel. »

Il va au téléphone et, tout en composant un numéro, me dit :

— Le suicide est un langage, surtout quand il est raté. Ce crapoteux de mes fesses appelle au secours à sa façon, vous en êtes conscient, directeur ?

— Tout à fait, docteur !

— Merci.

— Y a pas de quoi.

* * *

— Tu viens boire un coup avec moi, l’Intello ?

Plus belle gueule de crétin, y a que dans des illustrations de mon vieux Dubout ou de Gustave Doré que t’en rencontres.

Il est vachement primate, cézigue-pâte, avec ses longs bras au bout desquels pendent deux mains dont la mission essentielle est de demeurer inertes, avec sa frime de singe, aux yeux enfoncés, sa bouche pleine de grosses dents faites pour bouffer des bananes non épluchées, sa bibite qu’il sort pour un rien de son bénoche et pétrit d’abondance. Il conserve en permanence un rictus étrange qui, tout à la fois exprime la surprise et la crainte. Et cependant c’est un homme. Pour grimper encore sur mon éternel dada, laisse-moi te dire que ce demeuré, sur Pluton, Mars ou Neptune, il ferait un malheur ! Car ça reste un jules, tu piges ? Il « EST », nom de Dieu ! C’est pas rien, d’être. Faut le faire !

On se rend au troquet que je viens de quitter ; là où la bistrote a cru que je lui faisais de la grivèlerie. Me voyant reviendre, elle cesse de me mater d’un œil suce-pisseux (comme dit Bérurier).

Cette fois, je néglige la bière pour commander une boutanche de vin blanc que je règle à la livraison.

— T’es heureux ? m’enquiers-je auprès du décoiffé de la matière grise.

Il opine avec la véhémence du juste. Ça doit être reposant dans sa tronche. C’est tout bon : le soleil, sa bite, le pinard, une tranche de lard sur son pain. Il bouffe, dort, se pogne. La vie de château ! Que ne suis-je né crétin, moi qui pense l’être déjà à moitié !

— Ça t’ennuierait qu’on parle du bonhomme de la forêt, celui que tu as tué d’un coup de poing ?

Il secoue la tête, m’indiquer que, tout ce que je veux du moment que je paye à boire.

Il boit. Cul sec. Dès que son godet est plein, il le vide. Fastoche à soûler, un zigus comme lui. Suffit de connaître le principe sacré des vases communicants.

L’ennui, avec un mecton tel que le videur de chiottes du motel d’Ambroise Paray, c’est qu’on arrive mal à cerner son point d’imperception. Faut le tester.

— Dis voir, l’Intello, tu connais l’histoire des deux mouches sur une merde ?

Il secoue lentement sa boîte à philosopher.

— Y en a une qui pète, poursuis-je, et sa copine s’écrie : « Ah ! non, pas en mangeant ! »

Cette aimable historiette du premier degré le laisse de marbre. Ce que constatant, je m’abstiens de lui faire réciter le théorème de Pichetegorne (le Gravos dixit).

— Ecoute, le grand, tu m’as dit que tu as rencontré le mort de la barque dans le bois ; mais je ne me souviens pas t’avoir demandé si tu l’avais déjà vu auparavant. Je crains un instant que ce dernier adverbe ne lui cause un blocage : sa manière de joindre ses sourcils et d’attraper sa bite à pleine main me le donne à penser. Et puis non. Ma question, après avoir serpenté dans les méandres de ses méninges, arrive à bon port.

— Si, il admet, la nuit, avec la dame.

— Quelle nuit ?

— Je sais plus.

— Quelle dame ?

— La dame qui me laisse voir son cul.

— C’est intéressant, admets-je en emplissant son glass pour la énième fois ; parle-moi de cette femme.

Une expression de gravité teintée d’effroi apporte un semblant de vie à sa face idiote.

Il écluse. Le flacon commence d’être à marée basse.

— Elle te le fait voir souvent son cul, l’Intello ?

— Tous les jours.

— Et il est beau ?

— Oh ! oui, avec du poil.

— De quelle couleur ?

— Jaune.

— Tu veux dire qu’elle est blonde ?

— Oui.

— Où se trouve-t-elle, cette jolie ?

Il a l’air terrorisé.

— Je peux pas dire.

— Pourquoi ?

— Elle me laisserait plus regarder.

— Elle te l’a dit ?

Acquiescement de mon pote au cerveau fusé. Je tente de le circonvenir, lui promettant monts, merveilles et fric ; mais il tient trop à son jeton quotidien pour s’affaler. Comprenant qu’en insistant je ne ferais que le braquer, je laisse quimper le sujet. Ce n’est qu’à la fin de la deuxième boutanche que je le rambine :