En grand scientifique de la bouillave, je modifie mon parcours du combattant, passant, sans crier gare, de la menteuse agile au pouce indiscret dans l’œil de bronze, avec participation des autres fingers en déchaînage dans la tranchée des baïonnettes. Là, c’est la phase intense. On s’écarte des sentiers battus pour accéder à l’antichambre du délire. Ma nouvelle partenaire libère des sons très beaux en comparaison desquels ceux d’un violoncelle font penser aux grincements d’un portail rouillé. Je chauffe davantage encore en glissant ma main libre jusqu’à ses seins, généreux puisque j’arrive à joindre les deux bouts. Elle part en pâmade inexorablement. Griffe les draps, tremble de partout, couine, halète, supplie, exige, encourage. Son panard est imminent. Le lui délivré-je séance tenante, ou bien le différé-je davantage pour le lui accorder pleinement par les voies supra-naturelles ?
Elle ne me laisse pas le temps de trancher et se met à madériser d’abondance. En maestro chevronné, je dirige sa prise de fade avec une sûreté impressionnante. La prouesse dépasse celle des flotteurs de bois canadiens qui te livrent une forêt abattue comme ton commis épicier des rouleaux de faf à train.
La dame-donzelle émet un cri en forme de gémissement. Y a de la souffrance dans son panard. C’est un chant d’agonie. Ça remonte les âges.
Ensuite, privée de sa substance, elle glisse du lit et choit sur le plancher, au risque de s’enfoncer des échardes dans les meules.
Je l’entends qui balbutie :
— C’est trop !
Beau compliment, hein ? Tu te le rappelleras ? Sans avoir utilisé mon joker, mec ! Faut le faire !
Je m’assieds en tailleur, près d’elle. Caresse doucement ses cheveux sur ses tempes trempées de sueur.
Quoi de plus sublime qu’une femme anéantie par la jouissance ? Tu vois, des instants de cette intensité, de cette qualité, faudrait pouvoir les garder intacts ; en faire des confitures pour l’hiver.
La lampe de chevet au triste abat-jour de faux parchemin donne une lumière étriquée. Vingt-cinq watts constellés de chiures de mouches ne te permettent pas de tourner un remake des Nuits de Cabiria.
Je me risque à caresser sa poitrine encore drue malgré ses heures de vol.
Et moi, dadais d’homme, de lui susurrer :
— C’était bon ?
On peut pas s’en empêcher, nous tous, les matous. Sitôt que nous faisons mouiller une frelotte, on se prend pour des démiurges, on espère des lancers d’encensoir, les grandes orgues de la cathédrale.
Elle me délivre le satisfecit que j’attends :
— Merveilleux.
Je me penche jusqu’à effleurer sa bouche de mes lèvres.
— Alors vous allez tout me dire, n’est-ce pas, chérie ?
Elle se comporte très bien. Ne crois pas qu’elle sursaute, bondisse, croasse. Non, juste elle soupire, sans abandonner sa voix languissante :
— Que vous dire, grand fou ?
S’il y a une qualification que j’abomine, c’est bien celle-ci. « Grand fou ! » Ça fait con. C’est indigne d’elle.
— Eh bien, mon Dieu, la vérité, rétorqué-je, mutin. La raison de votre séjour dans ce motel pourri, depuis la mort de votre copain Marcel Proute. Vous attendez, vous espérez quoi, ma très belle ? Quelque chose d’important, je gage. Ça ne doit pas être folichon d’exciter tous les soirs un demeuré pour s’assurer de son silence. Vous ne m’empêcherez pas de penser que l’enjeu doit en valoir la peine.
La dame ne répond pas. Ferme les yeux en plaçant son coude replié sur son visage.
J’attends patiemment. La situasse est confortable. Je me dis que nous avons toute la noye pour régler nos petites affaires, elle et moi. Y a pas le feu au lac.
Comme quoi, je peux me gourer, malgré ma vaste expérience…
Au quart de tour (voire au quart de brie), la petite loupiote glaireuse se fracasse sur le plancher, nous plongeant dans l’obscurance la plus complète.
— J’ai fait un faux mouvement, déclare paisiblement la dame en se mettant à genoux. Ne bougez pas, je vais éclairer l’autre lampe.
Elle tâtonne alentour.
— Attendez, la calmé-je, j’ai une pochette d’allumettes.
Mais pendant que je me fouille, elle continue de « bricoler » sur le plancher.
Tout à coup je morfle une décharge électraque carabinée qui me secoue éperdument toute la couennerie. Rien que je supporte moins bien que le 220 volts. Je sais des gonziers qui t’empoignent sans broncher une clôture à vaches électrifiée. Moi, j’en ai des spasmes jusque dans l’épicentre de mes roustons.
Je voudrais crier, ne puis me décrocher les ratiches. On me les a cimentées ! J’en crève. Et d’en plus, je ramasse un monstrueux coup de contondant sur la malle arrière de ma caberle.
Ah ! les jolies colonies de vacances. Merci, papa ; merci, maman !
CHAPITRE
Avec les pains que j’ai dérouillés sur la cafetière au cours de ma prestigieuse carrière, je pourrais ouvrir une boulangerie. Ma grand-mère me répétait toujours qu’on a la tête dure, qu’avec elle c’est « ou tout l’un, ou tout l’autre ». Un petit coup de goume mal placé (ou trop bien) te fait éternuer ta cervelle, mais par contre, tu peux morfler le dôme des seins valides sur l’os qui pue et te retrouver frais comme un gardon après un léger k.-o.
Jusqu’à présent, malgré des années d’encaissements sur la boîte à idées, je continue d’avoir les méninges opérationnelles. Je sais extraire en un temps record la racine carrée de 16 et suis à même de réciter les stances du Cid, et même celles à Sophie.
Donc, malgré sa dureté, le coup ravageur de la gueuse ne me raye pas des listes de l’état civil où je continue de figurer parmi les V.I.P., les baiseurs émérites et les flics surdoués.
Cette vacherie femelle reste d’un calme souverain. Au sortir de ma plongée dans le sirop, je constate qu’elle a utilisé mes propres menottes pour me fixer au montant du lit. La chose est franchement désobligeante, surtout venant d’une faible femme. Un illustre policier neutralisé par une gonzesse à laquelle il a copieusement brouté le green miniature, voilà qui ne fourbit pas la répute de notre Police nationale dont tout un chacun sait qu’elle est la première à gauche en sortant de la Brasserie Dauphine.
La personne ne se hâte pas. Elle achève de se rhabiller très chicos : tailleur noir aux revers de manches rouges. Puis elle sort sa valdingue de sous le lit, y range des vêtements d’été, des maillots de bain, du linge coquin, des produits de beauté, des bouquins. Elle procède sans hâte, avec un calme proche du détachement, kif quelqu’un qui a toute la vie devant soi.
A un moment donné, comme on dit puis dans les quartiers résidentiels de Bourgoin-Jallieu, elle me file un coup de périscope, s’informer d’où j’en suis de ma purée de néant, constate ma lucidité et me virgule un bout de sourire sans joie.
— Navrée que cela ait tourné mal, murmure-t-elle.
— Vous estimez que votre comportement fait avancer le schmilblick ? je lui questionne.
— Pas tellement, mais je préfère que ce soit vous qui ayez ces menottes aux poignets et ces liens aux chevilles.