— Vous ne pensez pas que cela fait un peu désordre, pour un flic ?
— Je crois que ça plaira aux médias.
Elle bouclarde sa valdingue.
— Vous pensez sérieusement vous en tirer, petite madame ?
— J’en ai l’intime conviction.
— La France va être très petite pour vous, à partir de demain…
— En ce cas, j’irai ailleurs.
— Hum, ailleurs, c’est loin. Prenons le pays le plus proche : l’Espagne ; il vous faudrait trois bonnes heures pour l’atteindre, en admettant que vous disposiez d’une voiture. Et puis même… L’Espagne, si j’ose dire, c’est pas le Pérou. D’autant que nos polices marchent la main dans la main, bien que nos pêcheurs se foutent sur la gueule.
Elle me vote une moue de commisération.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, cher ami.
Mais sa réplique me fait moins d’effet que si la reine d’Angleterre me montrait sa chatte.
— En somme, fais-je, vous abandonnez la partie.
Elle ne rit plus, me mate d’un air glacial.
— Vous croyez ?
— Bédame, comme on disait dans les vieux textes, après des semaines d’affût dans ce motel pourri, à vous plumer consciencieusement, vous déclarez forfait, ou je me goure, belle amoureuse ?
Là, je marque un jeton. Elle encaisse ma remarque de front et ne la trouve pas à son goût. J’en profite pour m’engouffrer par la brèche.
— Voyons, poursuis-je, manière de ne pas laisser refroidir la béchamel, qu’ensuite elle fait la colle ; voyons, ma puce, vous avez mis un bigntz terrible sur pied pour tenter de récupérer ce qui vous manque. Votre complice est mort dans l’aventure, vous vous êtes bassinée plusieurs semaines durant dans cet endroit en comparaison duquel la prison de Fresnes ressemble à Disneyland, et voilà que vous cessez la lutte pour devenir une femme traquée ! Est-ce bien raisonnable, ma jolie petite chatte ?
Mon blabla, sans réellement l’assombrir, arrive en prise directe à son entendement. Moi qui suis plus psychologue que ton psychiatre, je vois bien que, sans vraiment la troubler, il lui est objet de préoccupation.
— Je suis émue par votre sollicitude, répond-elle à ce beau discours. A présent, vous allez m’excuser, mon ami, mais comme je dois disposer de quelques heures de sécurité, il me faut vous neutraliser plus complètement.
— Entendez-vous par là que vous voulez me tuer ? riposté-je-t-il avec tout l’intérêt qu’un individu peut mettre dans une question qui le touche d’aussi près.
Elle se récrie :
— Je ne suis pas une meurtrière, seulement une victime qui se défend comme elle peut et tente l’impossible pour récupérer son bien.
— En ce cas, pourquoi ne ferions-nous pas alliance au lieu de nous combattre ? dis-je paisiblement, avec cette logique qui n’est pas le moindre agrément de ma conversation.
— Impossible ! laisse-t-elle tomber. Et puis d’ailleurs, il est trop tard, vous le savez bien. Ce fameux point de non-retour, mon cher, que vous devez connaître.
Elle va chercher un gros sac à main de peau blanche sur la commode et en extrait une minuscule boîte de carton maintenue fermée par un élastique. Sort d’icelle une petite seringue munie d’une aiguille qu’elle débarrasse de sa gaine protectrice.
— Rassurez-vous : il s’agit d’un banal hypnotique, essaie-t-elle de me rassurer. Il vous procurera simplement un repos sans vilaines séquelles au réveil.
Voilà. Elle est prête. Je me persuade qu’il serait de bon ton que je regimbasse. Hélas, je n’ai plus ma liberté de mouvement ; chiant, hein ?
Alors tu sais quoi, Dubois ? Je me livre à une pauvreté peu usitée dans la police. Quelque chose qui ne va pas redorer le prestige de la Maison Brodequins : je me fous à crier « Au secours ! ».
Pas reluisant, pour un chef perdreau, t’es d’ac. D’autant que je le fais dans les règles. Je hurle d’une voix de centaure (dirait qui tu sais) :
— Au secou… ou… ou… rs ! Au secou… ou… ou… ou… ou… rs !
Je la prends un tantisoit à la dépourvance, la dame-de-la-notte. Elle s’imaginait que ma langue ne servait qu’à lui titiller le clito. Affolée, et histoire de parer au plus pressé, elle saisit ce qui se présente, en l’occurrence sa valise pleine, l’élève aussi haut qu’elle le peut et l’abat sur ma hure. Du coup, je remise mes appels vu que le bagage m’atteint en pleine poire. J’ai la consternante impression de manger mes ratiches, mes lèvres, et aussi ma langue, pour compléter le panier de la ménagère.
— Sale salaud ! elle grince. Je vais te la faire boucler, moi, ta grande gueule !
Tu te rends compte d’un langage ? Une personne à qui je ratissais la pelouse y a pas un quart d’heure ! La reconnaissance se perd, de nos jours. Une frangine, t’as pas fini de lui bricoler un lâcher de glandes qu’elle est prête à te trucider en te traitant de vilains noms ! Merde, à la fin ! Et les bonnes manières, dis, radasse !
Qu’au moment où elle re-soulève sa valoche pour une seconde estocade, j’opère un rush si formide que le lit à bon marché bascule et que me voilà transformé en tortue de mer avec un sommier de fer en guise de carapace. Dans ce chambardage, la mégère est renversée. Mon cher Dubout serait encore de ce monde, tu verrais comment il traiterait la scène ! La façon dont il camperait son inextricabilité.
— Mais que se passe-t-il ? lance une voix dont je crois la reconnaître, dirait Sa Majesté.
Quelques contorsions opportunes me permettent d’apercevoir le député Maurice Genouillé dans le cadrement de la porte. Mon pain dans sa gueule a proportionné d’abondance.
Il regarde cette scène picaresque. Sa figure endommagée laisse paraître sa perplexiterie.
— Eh bien, qu’arrive-t-il ? demande l’édile.
— Empêchez cette femme de sortir ! lui enjoins-je.
Je dis, biscotte la môme « Tu-me-broutes » marche en direction de la porte. Lui, n’écoutant que son courage et ma requête, s’interpose.
— Laissez-moi passer ! dit la garce en le braquant avec sang-froid et un pistolet sorti je ne sais d’où.
— Ceinturez-la ! crié-je. Au besoin, mettez-lui une patate au menton. Elle ne tirera pas !
Fort de mon ordre péremptoire, le représentant du peuple se jette sur la donzelle.
Brève chauffourée et une détonation retentit, dégageant une odeur de poudre.
Madoué ! comme disaient les Bretons de jadis dans les albums de Bécassine. Voilà mon député dépité qui pousse un grand cri de Christ agonisant et s’affaisse. Moi, j’en suis saisi. Et pas par le bon bout, espère !
Ainsi donc, contre toute estimation, c’est bien à une tueuse que j’ai affaire ? O Seigneur, quel sombre con Tu as produit en ma personne !
— Salope ! égosillé-je à m’en écorcher la gargante.
Et puis ça se corse. Un nouveau venu se présente. Tu sais qui ? L’adjudant Narguilé.
— Arrêtez-la, Francis ! clamé-je d’une voix de stentor vénitien.
J’ose pas poursuivre mon reportage, mec, car t’émettras des doutes. Tu vas gueuler que c’est too much ; que je sors de l’admissible. Et putain, ce qu’on est encore loin du compte, voire du vicomte !
Magine, mon cher pote que cette furie, affolée par son acte précédent, réitère et vote une quetsche d’Alsace à mon pote poulardoche, lequel s’écroule comme une bite après l’éjaculation.
Dis, le bungalow commence à devenir exigu. Toi, gland comme un képi de général, tu te dis que c’est fini, le rodéo. Zob ! mon frère. On se croirait dans la baraque foraine de la mer Glandaille. Quand y en a plus, y en a encore ! V’là un nouveau, nouveau, nouveau venu.