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Pinaud-le-féal, hoche la tête, n’osant se prononcer. Lui, c’est un conforme, un classique. Les singularités de la nature le troubleraient plutôt.

Dans un angle de la pièce, l’humble Grabote, qui n’a pas de petits pois sous la main, égrène un chapelet. Jamais elle n’a autant eu l’air d’une vieille Cosette que Jean Valjean ne serait pas venue chercher chez les Thénardier.

Elle sait que pour elle, c’est la déroute complète : son époux neurasthénique jusqu’à en être devenu suicidaire ; son pauvre motel définitivement déprécié de par les drames qui s’y sont déroulés ; sa ruine consommée, sa santé précaire ; c’est la faillite intégrale de sa pauvre petite vie. Elle est battue, rejetée, annulée par l’existence.

Le brigadier de gendarmerie, un grassouillet pâle, dit au médecin :

— Cette barbe, docteur, vous pensez qu’elle est acquise définitivement, ou bien s’agit-il là d’un phénomène temporaire ?

Le praticien hoche la tête.

— En l’état actuel de la médecine, il est difficile de se prononcer, avoue-t-il.

Le père Pinaud a attiré la mignonne infirmière dans le fond de la chambre et lui demande, avec des formes, si, en échange d’une montre Cartier en or, elle consentirait à se laisser déguster le triangle des Bermudes. Il se dit grand amateur de foufounes, prétend qu’une longue expérience de la craquette a rendu ses prestations uniques. Depuis peu (et j’ignorais la chose), il appartient à la confrérie très fermée des « Taste-chattes » où l’on parle de le nommer Grand Chancelier du Con. C’est lui qui fait passer le concours d’admission des nouveaux postulants.

La gentille enfant feint de rire, mais paraît néanmoins très intéressée par la perspective d’une montre de la fabuleuse maison Cartier qui règne sans partage sur la joaillerie internationale, voire française. César lui donne rendez-vous dans sa Rolls, laquelle est garée dans le parkinge de l’hosto. Les vitres en sont fumées et onc ne peut voir de l’extérieur ce qui s’opère dans l’habitacle. Il descend l’y attendre de ce pas. Elle ne peut se tromper : la voiture est de couleur bronze, immatriculée à Paris, et puis d’ailleurs, c’est l’unique Rolls-Royce qui stationnât jamais dans cet hôpital provincial.

Béru murmure à sa Baleine :

— Et si on dirait aux z’aut’ de se barrer et qu’tu m’fisses une bonne manière, mon bijou ?

La Baleine pileuse étudie la propose.

— Ecoute, Sandre, finit-elle par déclarer, avec les minauderies en usage chez la plupart des connasses convoitées, j’veuille bien t’éponger l’aubergine, mais faut qu’tu vas m’promett’, n’ensute, d’aller enterrer l’hache d’guerre av’c c’pauv’ Ambroise qu’agonise pratiqu’ment au bout du couloir. C’t’un garçon qu’a casqué son attribut à la vie, croive-moi. S’il a péché dans les jadis, y l’paye chérot à présent.

Cette requête fige instantanément le Mammouth. Mais sa bourgeoise se montre si lascive, si prometteuse, promenant une langue irrésistible sur ses moustaches à la Cavanna, qu’il fléchit :

— Dès l’instant qu’tu y tiendrais, Berthe, j’voye pas pourquoi j’te donnererais pas satisfaisance. Jockey, ma toute belle, j’vas y accorder ma bénédiction lubie et orbite comme dirait l’pape.

La Grosse en est retournée.

— Sandre, murmure-t-elle, non s’l’ment t’as une énorme bite, mais t’es en outrance un homme d’cœur. J’sus fière d’t’avoir pour époux.

Le couple échange un long baiser passionné.

A présent, ne reste plus dans la chambre d’hôpital que les Bérurier, Grabote et ma pomme.

La Cosette du pauvre ( !) a un sourire ineffable en remisant son chapelet d’extérieur, à petits grains de riz imitation améthyste. Le Seigneur vient enfin, enfin, enfin, de faire quelque chose pour elle.

— Guidez-moi jusqu’à votre époux, ma bonne, fais-je, et laissons ces amants terribles aux prises avec les tribulations de la chair, comme le disait un éboueur portugais.

Il est temps que nous quittions la pièce : Bérurier, en pleine surexcitation glandulaire est déjà en train d’extraire de ses braies odorantes un mandrin capable de servir également de bitte d’amarrage.

Le couloir de l’hosto est gai comme une vespasienne désaffectée. La présence d’aimables infirmières corrige heureusement la pénibilité de l’endroit.

Près de l’ascenseur, une dame plus que vieille : moribarde, attend d’être conduite aux soins intensifs. Un costaud noir de poil, vêtu d’une blouse sans manches, poireaute devant la cabine en sifflotant la marche de la Légion. Il s’accompagne en imitant un ra de tambour (pléonasme) sur la planchette où est punaisée la feuille de soins de l’agonisante.

Grabote claudique un tantisoit. La fatigue qui se fait d’autant plus sentir qu’elle n’a pas dû changer de slip depuis le dernier téléthon à la téloche.

— Je suis ravie qu’Alexandre-Benoît reprenne des relations familiales avec mon homme, me dit-elle. Une brouille aussi longue, c’est difficile à vivre.

Et d’essuyer une larmichette en voie de développement au bord de sa paupière inférieure.

— En effet, conviens-je, rien ne remplace l’harmonie dans une famille. Les épreuves, quelles qu’elles soient, doivent la souder, non la diviser.

— Vous êtes un homme rare, me félicite cette personne d’abnégation.

C’est sur un tel compliment, dûment mérité, j’en conviens sans cérémonie, que nous atteignons la chambre du gars Paray.

Il la partage avec un chpountz à gueule de ganache fossilisée, dont le dentier macère dans un verre empli d’un liquide rose. Le malade garde les yeux fermés et geint à chacune de ses aspirations. Le frottement de la colonne d’air sur les parois de sa glotte produit un vilain bruit agonique.

Nous passons devant lui pour gagner la couche où le malheureux Ambroise est en train de gésir, farouche et silencieux sous un épais pansement.

M’apercevant, il lui vient la force d’un sourire.

Ses lèvres pâles laissent filtrer un « merci de votre visite » qui me donne envie de pleurer. Il voudrait me tendre la main, mais il est trop faiblard.

— Ne vous agitez pas, mon ami, murmuré-je momentanément compatissant.

Grabote se penche sur son mâle.

— Je t’annonce une visite ! dit-elle.

Puis soucieuse de ne pas faire languir le blessé, elle révèle, très vite :

— Sandre !

Le regard du chétif noircit d’épouvante. Il secoue la tête comme un qui branle le chef et gémit :

— Non ! Oh ! non…

— Affole-toi pas, le calme l’épouse : il vient faire la paix, il l’a promis à Berthy.

— Brrvv brvvv ahouavoufff ! émet la ganache trépassante.

Mais, chacun sa vie, chacun son agonie, et nous passons outre.

— Il a bien fini par comprendre que trop c’est trop, commente Grabote.

Elle se tait car une étrange clameur nous parvient, réverbérée par le grand couloir cavernesque. Je reconnais le vocifèrement pâmoisesque du Mastard en cours de pipe matrimoniale.

— Arrrrvroum ! Ta barbe, ta barbe, chérie ! qu’il lance à tous les échos, l’homme-goret ! Bon gu, mais j’peuve plus r’tiende ma passion ! C’est trop to muche, darlinge ! Comme si c’s’rait le père Tolstoï qui m’taille un calumet ! Vvvvouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

L’immense cri de délivrance se répercute dans les confins de l’hôpital, meurt sans laisser se régénérer un silence mieux approprié à cet endroit où, habituellement, les plaintes et les cris que l’on entend n’émanent pas de gens en rut.

Nous nous dévisageons, indécis. Ce fut si bref et si intense.

Quelques instants s’écoulent et on toque à la porte. Béru se présente, radieux, le sourire large, la braguette béante.