Le verdissement de la « pas-de-bol » s’accentue, la voilà chlorophyllisée de fond en comble. Peut-être qu’elle va évanouir, tu crois ?
— Donc, reprends-je, le guet de l’ancien taulard ne vous a pas échappé. Vous avez réalisé le danger et décidé d’en finir sans souffler mot à votre jules. Alors que faites-vous, ma très belle ? Vous prenez le pistolet qu’Ambroise planque en cas de coup dur. Faisant le grand tour et, avec mille précautions, vous gagnez la clairière servant de poste de guet à Proute. Quand vous êtes près de sa planque, vous constatez qu’il dort. Du moins le croyez-vous car, en fait, le digne homme est déjà mort, foudroyé par la capsule qu’il hébergeait dans sa viandasse.
« Votre émotion est bien trop intense pour que vous vous aperceviez de la chose. A votre avis, le truand roupille, simplement. Sans un bruit vous vous approchez de lui et lui logez une bastos dans le corps. Puis persuadée de l’avoir buté, vous rentrez, essuyez soigneusement l’arme avant de la remettre en place. D’après vos aimables perspectives, votre bonhomme sera fatalement accusé du meurtre. On l’enchristera, pour longtemps cette fois, et vous n’aurez plus qu’à aller palper la bonne galette au Québec.
« Tout de même, vous craignez que sa culpabilité ne soit pas réellement évidente. Vous voulez que la chose soit in-dé-niable. La nuit suivante, quand tout repose dans Boz et dans Jérimadet, vous vous levez, prenez la remorque à vélo sous la remise et allez récupérer le cadavre. Peut-être avez-vous administré un somnifère à votre mec pour être plus tranquille ? Toujours est-il que vous ramenez le corps de la forêt et puis, toute faible femme que vous semblez être, parvenez à le hisser sur le toit. Il ne reste plus que d’attendre. Le temps travaille désormais pour vous. Beau boulot, ma petite dame ! »
Je me tais. Le silence qui continue de siffler dans mes baffles va cesser, je pressens. Le ciel est trop chargé d’effroyables orages pour le tolérer davantage.
Effectivement, ça commence, doucettement.
Béru qui murmure, à peine audible :
— Je savais… C’tait fatal… La merde ne peut donner que du fumier…
Posément, il enlève son veston, le jette sur le lit du gâteux agonique. Il paraît désemparé, l’espace d’un bref instant. Comme s’il ne se rappelait plus son nom, ni le lieu où il se trouve. Son regard semble brouillé. De la bave s’écoule de son groin. Et puis, un soubresaut d’électrocuté le fait bondir de lui-même. Il pousse ce hennissement étrange, intense, qu’il émet en éjaculant.
C’est un cri de kamikaze drivant sa torpille sur un destroyer amerlock. Une sorte de clameur dantesque qui fait trembler les vitres de l’hôpital.
Il se jette sur Ambroise, rabat ses caroubles, l’empare à poignées sans que cesse son hurlement de mort. Il le décolle de son matelas, l’élève bien haut et le balance par la fenêtre ouverte. Le chétif joint son cri de détresse éperdue à celui de son bourreau et disparaît.
Incomblé par son acte, le Mammouth cueille ensuite la Grabote « avec sa chaise », et lui fait suivre le même chemin avant que j’aie eu le temps d’interviendre.
On perçoit des clameurs, au-dehors.
En titubant, je gagne la croisée et regarde le désastre.
— Il le fallait, assure le Gros ; il le fallait.
— Oui, je comprends, fais-je. Mais c’est tout de même une chance que nous soyons au rez-de-chaussée.
Je suis entré en contact avec les laboratoires Vissmerbaum et Gotha Inco qui proposent d’acheter le cadavre de Marcel Proute pour récupérer les restes de la substance.
Il s’agirait d’un produit de contamination à effet terrifiant, capable de décimer tout ou partie de la planète. Te tiendrai au courant.