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Astrid refusa de pleurer devant ses enfants, dit d’une voix sourde qu’il fallait récompenser le petit garçon.

— C’est un enfant méritant car il aurait très bien pu conserver la petite voiture. On pourrait lui faire un cadeau ou lui donner de l’argent, proposa-t-elle, incapable comme toujours de décider d’elle-même, regardant les jumeaux et même Ginette.

— De l’argent, dit Julia, et j’irai le lui porter à Bandol.

— Je peux y aller moi, proposa Julien mollement.

Leur mère s’enferma dans sa chambre, ne reparut que pour le dîner. Julia avait préparé des croque-monsieur, une salade de haricots rouges, oubliant la soupe au pistou laissée par Ginette. Lorsqu’elle s’en aperçut, elle eut des remords, agacée de devoir la faire disparaître avant le lendemain.

— Elle était dans quel état, abîmée ? demanda Astrid en versant machinalement du Bourbon dans son verre.

Puis elle parut confuse, avec un air coupable de petite fille, alla le jeter dans l’évier. Depuis quelque temps elle ne buvait plus d’alcool, surveillait son alimentation. De crainte de grossir ?

— Très peu, répondit Julien.

— Mais pas du tout ! Comme sortant du magasin, précisa Julia, pensant que ça désolerait moins sa mère.

— Absolument pas, insista son jumeau. Puisqu’il y avait encore la marque qui ressemble à un 1 inversé.

— J’ignorais qu’il les marquait, s’était étonnée Astrid.

Serge, le petit garçon de Bandol, ne jouait pas les héros. Il conduisit Julia jusqu’au fourré en question, expliqua qu’il essayait d’y aménager un asile.

— Comment ça un asile ?

— C’est mon jeu, j’ai besoin d’un asile pour me retirer et méditer.

Comment en arrivait-on à parler ainsi à son âge, se demanda-t-elle.

— Vous voyez, il suffit de soulever cette branche dont j’ai enlevé les épines pour me glisser à l’intérieur. Je ne l’ai pas dit aux gendarmes mais votre frère s’est certainement enfoncé là-dedans.

— Pourquoi ne pas le dire aux gendarmes ?

— Pour qu’ils le découvrent seuls, c’est leur métier et ils l’ont fait. Ils cherchaient les traces d’une présence mais ne m’ont pas dit s’ils y étaient parvenus.

— Tu aimes les modèles réduits ?

— Pas spécialement. Mais pourquoi votre frère n’avait que des 2 CV dans son sac ?

— Avant son accident il connaissait quelqu’un qui en conduisait une, murmura-t-elle, et c’était la première fois qu’elle en parlait.

Ce gosse lui inspirait une grande confiance. Il n’écoutait pas pour répéter ensuite ce qu’il savait. Il engrangeait pour nourrir son propre monde secret.

— Une fille ?

— Un peu plus âgée que lui. Une femme disons.

Il regarda l’argent qu’elle lui tendait tout en expliquant que c’était sa mère qui tenait à lui exprimer sa reconnaissance. Il finit par secouer la tête, affirma qu’il ne saurait qu’en faire.

— J’aimerais vous revoir, dit-il gravement, et elle en fut émue.

— Je reviendrai, je ne peux de toute façon faire autrement. Manuel est passé par là et c’est la seule piste que nous ayons…

Juste comme elle ouvrait la porte de la maison, Astrid en sortait, quelque peu nerveuse.

— Je suis pressée, nous en reparlons plus tard.

— Tu rentres pour dîner ?

— Non, je suis invitée, excuse-moi, je suis en retard.

— Julien ?

— Je ne sais pas.

Julia resta sur le seuil à regarder la Twingo rouler vers la grille toujours grande ouverte, aux gonds certainement rouillés depuis tant d’années de négligence. Ginette avait proposé l’intervention de son mari mais Astrid avait dit que c’était sans importance, qu’ouvrir et refermer cette lourde grille était une véritable corvée autrefois.

Comme la petite voiture allait l’atteindre, le basset de Labartin apparut au bout d’une de ces laisses à enrouleur qui peuvent s’étirer sur plusieurs mètres. Et le chien resta piqué là, tournant la tête vers le véhicule qui venait vers lui.

Certaine qu’Astrid allait paniquer, Julia se mit à courir juste comme M. Labartin apparaissait. Elle pensa qu’il avait dressé le chien à rester en attente dans le passage, le temps que lui réenroule la laisse.

L’homme commençait ses mimiques odieuses, tirant la langue, clignant du seul oeil épargné par l’explosion, mais le bruit de la course de la jeune fille le força à poursuivre son chemin. Astrid accéléra comme une folle sur la route où aucun autre véhicule ne circulait heureusement.

Julia, immobile sur le trottoir, suivit la silhouette de leur voisin qui s’éloignait sans se retourner.

Chapitre 5

— Que pense votre père de la disparition de Manuel ? demanda Ginette. Là-bas, dans son Amérique, il doit quand même se faire du souci. Ne fera-t-il pas un saut jusqu’ici ?

Lorsque quelqu’un prononçait ces mots de « père », « votre père », « ton père », Julia, interdite quelques secondes, réalisait qu’il s’agissait bien d’Arthur Herkinson, ancien mari de sa mère et remarié là-bas à Chicago. À plusieurs reprises, il les avait invités, Julien et elle, à venir passer les vacances mais ne voulant pas laisser sa mère seule avec Manuel, elle avait refusé. Julien, lui, y était déjà allé, ne voulait plus y retourner.

Elle ne sut que répondre et demanda plus tard à sa mère si elle avait téléphoné à son ex-mari.

— Il était absent. J’ai laissé un message mais il ne m’a pas rappelée.

Certaine qu’Astrid avait mal compris le fonctionnement de l’enregistreur, elle rappela, obtint la nouvelle épouse de son père, dut s’exprimer en un anglais laborieux à cause de son accent provençal. De l’autre côté de l’océan, Margaret, elle s’appelait Margaret, poussa des exclamations, assura qu’Arthur allait être informé dès que possible. Il voyageait pour sa maison de machines agricoles dans le Middle West et à l’entendre, c’était le désert de Gobi par là-bas. Bien entendu, le message de sa mère n’avait jamais été enregistré.

— Il est absent, dit-elle à Astrid, sans la préoccuper au sujet du message raté. Sa compagne va essayer de le contacter.

— Tu peux dire sa femme, son épouse. Ça ne me fait rien qu’il se soit remarié. Il n’était pas fait pour vivre en France ni avec moi.

Ce même jour, rentrant des courses, Ginette, au lieu de chercher Astrid pour lui rendre les comptes et la monnaie, retrouva Julia sous prétexte d’établir un menu pour le lendemain, mais en vint à lui avouer qu’elle était contrariée.

— J’ai rencontré cet affreux bonhomme avec son chien tout aussi affreux. Vous ne savez pas ce qu’il a fait, il a laissé le chien tirer sur cette maudite laisse avec un moulinet comme une canne à pêche et m’a ainsi barré le chemin. Il a pu s’approcher de moi et me dire des horreurs.

— Il faut le menacer de porter plainte, c’est un obsédé sexuel et d’avoir failli mourir dans cette explosion de gaz ne l’a pas calmé, bien au contraire.

— Ça, je le sais et je m’en fiche, mais il m’a presque craché au visage que cette explosion justement ce n’était pas un accident, que quelqu’un l’avait provoquée et qu’il se doutait de qui il s’agissait. J’ai essayé de le planter là mais il s’est mis à crier et pour le faire taire, j’ai fait semblant de l’écouter.

— Il est du genre à nier sa propre responsabilité pour accuser les autres. Il ne faut pas trop y prêter attention, les voisins le connaissent bien, s’en méfient et le laissent délirer.

— Il a dit quelque chose de terrible au sujet de votre frère.