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Je ne sentais que trop que ce terrible discours ne me laissait aucune ressource, mais n’eussé-je pas été coupable de ne point employer celle que m’indiquait mon cœur et que me laissait encore la nature? Je me jette aux pieds de Raphaël, j’emploie toutes les forces de mon âme pour le supplier de ne pas abuser de mon état, les larmes les plus amères viennent inonder ses genoux, et tout ce que mon âme peut me dicter de plus pathétique, j’ose l’essayer en pleurant, mais je ne savais pas encore que les larmes ont un attrait de plus aux yeux du crime et de la débauche, j’ignorais que tout ce que j’essayais pour émouvoir ces monstres ne devait réussir qu’à les enflammer… Raphaël se lève en fureur:

– Prenez cette gueuse, Antonin, dit-il en fronçant le sourcil, et en la mettant nue à l’instant sous nos yeux, apprenez lui que ce n’est pas chez des hommes comme nous que la compassion peut avoir des droits.

Antonin me saisit d’un bras sec et nerveux, et entremêlant ses propos et ses actions de jurements effroyables, en deux minutes il fait sauter mes vêtements et me met nue aux yeux de l’assemblée.

– Voilà une belle créature, dit Jérôme, que le couvent m’écrase si depuis trente ans j’en ai vu une plus belle.

– Un moment, dit le gardien, mettons un peu de règle à nos procédés: vous connaissez, mes amis, nos formules de réception; qu’elle les subisse toutes sans excepter aucune, que pendant ce temps-là les trois autres femmes se tiennent autour de nous pour prévenir les besoins ou pour les exciter.

Aussitôt un cercle se forme, on me place au milieu, et là pendant plus de deux heures, je suis examinée, considérée, palpée par ces quatre libertins, éprouvant tour à tour de chacun ou des éloges ou des critiques. vous me permettrez, madame, dit notre belle prisonnière en rougissant prodigieusement ici, de vous déguiser une partie des détails obscènes qui s’observèrent à cette première cérémonie; que votre imagination se représente tout ce que la débauche peut en tel cas dicter à des libertins, qu’elle les voie successivement passer de mes compagnes à moi, comparer, rapprocher, confronter, discourir, et elle n’aura vraisemblablement encore qu’une légère idée de tout ce qui s’exécuta dans ces premières orgies, bien légères pourtant en comparaison de toutes les horreurs dont je devais bientôt être encore victime.

– Allons, dit Raphaël dont les désirs prodigieusement irrités paraissaient au point de ne pouvoir plus être contenus, il est temps d’immoler la victime; que chacun de nous s’apprête à lui faire subir ses jouissances favorites.

Et le malhonnête homme m’ayant placée sur un sopha dans l’attitude propice à ses exécrables plaisirs, me faisant contenir par Antonin et Clément… Raphaël, Italien, moine et dépravé, se satisfait outrageusement, sans me faire cesser d’être vierge. ô comble d’égarement! on eût dit que chacun de ces hommes crapuleux se fût fait une gloire d’oublier la nature dans le choix de ses indignes plaisirs. Clément s’avance, irrité par le spectacle des infamies de son supérieur, bien plus encore par tout ce à quoi il s’est livré en l’observant.

Il me déclare qu’il ne sera pas plus dangereux pour moi que son gardien et que l’endroit où son hommage va s’offrir laissera de même ma vertu sans péril. Il me fait mettre à genoux, et se collant à moi dans cette posture, ses perfides passions s’exercent dans un lieu qui m’interdit pendant le sacrifice le pouvoir de me plaindre de son irrégularité. Jérôme suit, son temple était celui de Raphaël, mais il n’arrivait pas au sanctuaire; content d’observer le parvis, ému d’épisodes primitives dont l’obscénité ne se peint point, il ne parvenait ensuite au complément de ses désirs que par des moyens barbares dont vous m’avez vue prête à devenir la victime chez Dubourg et le devenir tout à fait dans les mains de Bressac.

– Voilà d’heureuses préparations, dit Antonin en se saisissant de moi, venez, poulette, venez, que je vous venge de l’irrégularité de mes confrères, et que je cueille enfin les prémices flatteurs que leur intempérance m’abandonne…

Mais quels détails… grand Dieu… il m’est impossible de vous les peindre; on eût dit que ce scélérat, le plus libertin des quatre quoiqu’il parût le moins éloigné des vues de la nature, ne consentît à se rapprocher d’elle, à mettre un peu moins d’inconformité dans son culte, qu’en se dédommageant de cette apparence d’une dépravation moins grande par tout ce qui pouvait m’outrager davantage… Hélas, si quelquefois mon imagination s’était égarée sur ces plaisirs, je les croyais chastes comme le dieu qui les inspirait, donnés par la nature pour servir de consolation aux humains, nés de l’amour et de la délicatesse; j’étais bien loin de croire que l’homme à l’exemple des bêtes féroces ne pût jouir qu’en faisant frémir ses compagnes; je l’éprouvai, et dans un tel degré de violence que les douleurs du déchirement naturel de ma virginité furent les moindres que j’eusse à supporter dans cette dangereuse attaque, mais ce fut au moment de sa crise qu’Antonin termina par des cris si furieux, par des excursions si meurtrières sur toutes les parties de mon corps, par des morsures enfin si semblables aux sanglantes caresses des tigres, qu’un moment je me crus la proie de quelque animal sauvage qui ne s’apaiserait qu’en me dévorant. Ces horreurs achevées, je retombai sur l’autel où j’avais été immolée, presque sans connaissance et sans mouvement.

Raphaël ordonna aux femmes de me soigner et de me faire manger, mais un accès de chagrin furieux vint assaillir mon âme en ce moment cruel; je ne pus tenir à l’horrible idée d’avoir enfin perdu ce trésor de virginité, pour lequel j’eusse cent fois sacrifié ma vie, de me voir flétrie par ceux dont je devais attendre au contraire le plus de secours et de consolations morales. Mes larmes coulèrent en abondance, mes cris retentirent dans la salle, je me roulai à terre, je m’arrachai les cheveux, je suppliai mes bourreaux de me donner la mort, et quoique ces scélérats trop endurcis à de telles scènes s’occupassent bien plutôt de goûter de nouveaux plaisirs avec mes compagnes que de calmer ma douleur ou de la consoler, importunés néanmoins de mes cris, ils se décidèrent à m’envoyer reposer dans un lieu où ils ne pussent plus les entendre… Omphale allait m’y conduire quand le perfide Raphaël me considérant encore avec lubricité, malgré l’état cruel où j’étais, dit qu’il ne voulait pas qu’on me renvoyât sans qu’il me rendît encore une fois sa victime… A peine a-t-il conçu ce projet qu’il l’exécute… mais ses désirs ayant besoin d’un degré d’irritation de plus, ce n’est qu’après avoir mis en usage les cruels moyens de Jérôme qu’il réussit à trouver les forces nécessaires à l’accomplissement de son nouveau crime… Quel excès de débauche, grand Dieu! se pouvait-il que ces débauchés fussent assez féroces pour choisir l’instant d’une crise de douleur morale aussi violente que celle que j’éprouvais, pour m’en faire subir une physique aussi barbare?

– Oh! parbleu, dit Antonin en me reprenant également, rien n’est bon à suivre comme l’exemple d’un supérieur, et rien n’est piquant comme les récidives: la douleur, dit-on, dispose au plaisir, je suis convaincu que cette belle enfant va me rendre le plus heureux des hommes.

Et malgré mes répugnances, malgré mes cris et mes supplications, je deviens encore pour la seconde fois le malheureux plastron des insolents désirs de ce misérable… Enfin on me laisse sortir.

– Si je n’avais pas pris de l’avance quand cette belle princesse est arrivée, dit Clément, elle ne sortirait parbleu pas sans servir de même une seconde fois à mes passions, mais elle ne perdra rien pour attendre.

– Je lui promets la même chose, dit Jérôme, en me faisant sentir la vigueur de son bras à l’instant où je passais auprès de lui, mais pour ce soir allons tous nous coucher.

Raphaël se trouvant du même avis, les orgies furent rompues; il retint près de lui Florette qui sans doute y passa la nuit, et chacun se dispersa. J’étais sous la conduite d’Omphale; cette sultane plus âgée que les autres me parut celle qui était chargée du soin des sœurs; elle me mena dans notre appartement commun, espèce de tour carrée dans les angles de laquelle était un lit pour chacune de nous quatre.

Un des moines suivait ordinairement les filles quand elles se retiraient, et en feutrait la porte à deux ou trois verrous; ce fut Clément qui se chargea de ce soin; une fois là, il devenait impossible d’en sortir, il n’y avait d’autre issue dans cette chambre qu’un cabinet attenant pour nos aisances et nos toilettes, dont la fenêtre était aussi étroitement grillée que celle de l’endroit où nous couchions. D’ailleurs aucune sorte de meuble, une chaise et une table près du lit qu’entourait un méchant rideau d’indienne, quelques coffres de bois dans le cabinet, des chaises percées, des bidets et une table commune de toilette; ce ne fut que le lendemain que je m’aperçus de tout cela; trop accablée pour rien voir en ce premier moment, je ne m’occupai que de ma douleur. ô juste ciel, me disais-je, il est donc écrit qu’aucun acte de vertu n’émanera de mon cœur sans qu’il ne soit aussitôt suivi d’une peine! Eh, quel mal faisais-je donc, grand Dieu, en désirant de venir accomplir dans cette maison quelque devoir de piété, offensai-je le ciel en voulant m’y livrer, était-ce là le prix que j’en devais attendre? ô décrets incompréhensibles de la providence, daignez donc un instant vous ouvrir à mes yeux si vous ne voulez pas que je me révolte contre vos lois! Des larmes amères suivirent ces réflexions et j’en étais encore inondée, quand vers le point du jour Omphale s’approcha de mon lit. – Chère compagne, me dit-elle, je viens t’exhorter à prendre du courage; j’ai pleuré comme toi dans les premiers jours et maintenant l’habitude est prise, tu y feras comme moi; les premiers moments sont terribles, ce n’est pas seulement l’obligation d’assouvir perpétuellement les désirs effrénés de ces débauchés qui fait le supplice de notre vie, c’est la perte de notre liberté, c’est la manière brutale dont nous sommes traitées dans cette infâme maison…