Julie fumait-elle en cachette lorsqu’elle était seule ? Marie laissait toujours des cigarettes. Elle n’attachait aucune importance à ce genre de peccadille mais néanmoins en fut un peu contrariée.
— Quelqu’un avait pu passer près de la maison… Il y a des pêcheurs qui vont à l’étang. Certains viennent demander de l’eau, ou n’importe quoi. Il n’y a pas de limites du terrain et n’importe qui peut longer la maison sans penser pénétrer dans une propriété privée.
— Mme Cauteret est formelle. Il y avait du vent. Aucune trace de fumée de cigarette n’aurait pu subsister… D’autre part, elle n’a vu personne. Elle pense que quelqu’un fumait sur le seuil et que lorsqu’elle est arrivée cette personne est rentrée précipitamment.
— Eh bien ! elle s’est trompée puisque la maison était vide !
Germaine scruta le visage de sa belle-sœur. Sa main tripotait machinalement le ruban du carton mais elle paraissait avoir oublié ce qu’il contenait.
— Julie n’était pas là ?
— Faut-il te le répéter sans arrêt ? Je l’avais confiée à une amie pour la journée.
— Peux-tu me donner son nom ?
— Mais c’est un véritable interrogatoire, cria Marie en se levant. Que veux-tu à la fin ? Me faire parler, m’arracher tout le contraire de la vérité pour le rapporter à Mme Cauteret ?
Elle désigna Gilberte.
— Tu penses qu’elle pourra être utile à ta fille ? Puisqu’elle veut suivre également cette voie ? Et tu lui sers d’indicatrice ?
— Marie, tu vas trop loin.
— Ce n’est pas moi qui exagère, mais toi… Je préfère vous laisser… Buvez votre café, mangez vos pâtisseries, restez ou partez, je m’en moque. Je vais faire un tour dans la campagne.
— Marie, tu deviens folle…
Mais elle était déjà sortie, les laissant toutes les deux interloquées.
— Rattrapons-la avec la voiture, proposa Gilberte.
— C’est incroyable… Pour agir ainsi il faut qu’elle n’ait pas la conscience tranquille… Tu as raison, rattrapons-la mais avant je bois mon café car il sera froid au retour.
Elles allèrent jusqu’au bord de l’étang, mais la petite plage était déserte. Gilberte descendit de voiture pour faire quelques pas sur un vieil appontement tout vermoulu, se hâta de revenir lorsqu’il commença d’osciller.
— Tu es imprudente, lui lança sa mère. Mais Marie a complètement disparu.
— Et l’on ne voit pas trace de Julie.
— Que faisons-nous ? C’est une situation ennuyeuse… Je connais Marie, elle est capable de ne plus chercher à nous revoir… Je voudrais essayer de la calmer…
Gilberte s’installa dans la voiture en souriant presque méchamment.
— Tu penses toujours à la maison. Tu ne désespères pas faire cette affaire, n’est-ce pas ?
— Elles seraient mieux à Sigean qu’ici… C’est une maison faite pour l’été et les vacances…
— D’autant plus que tu possèdes un lot qui fait pièce et qui longe l’étang sur au moins cent mètres. De quoi créer un appontement privé. Marie a dû oublier ce détail… Ou ne l’a jamais su. Elle joue toujours les désintéressées.
La maison était déserte également. Elles appelèrent longtemps avant de songer à repartir.
— Peut-on laisser tout ouvert ? s’inquiéta Germaine.
— Tu ne vas pas te faire du souci pour leur baraque ? Rentrons chez nous maintenant. J’en ai assez de ces deux dingues.
— Attends, dit sa mère.
Elle pénétra dans la cuisine et reprit le carton de pâtisseries.
— Nous les mangerons chez nous… Je me demande d’ailleurs si ça leur fait tellement plaisir.
Elles remontèrent dans leur voiture et Germaine démarra doucement avec regrets.
— Tu vas tout raconter à Mme Cauteret, j’espère.
— Je suis certaine, comme elle, que Julie est restée seule dans la maison jeudi dernier… Marie est complètement folle, si tu veux mon avis. Jamais je ne t’aurais laissée seule quand tu avais cet âge et pourtant nous sommes entourées de voisins.
C’était bien pourquoi la jeune fille détestait sa petite cousine, enviait sa chance de vivre à sa guise, de porter un prénom original et d’avoir une mère aussi indulgente. La sienne ne montrait jamais la moindre faiblesse.
— Je me demande, dit Germaine Marty, si je ne viendrai pas avec Mme Cauteret jeudi prochain… Je dois avoir une clef qui ouvre la porte de derrière. Nous pourrions rentrer et voir si Julie se trouve réellement chez une amie.
Elle souffla de mépris.
— Une amie, tu penses… Bien trop fière pour avoir une amie… Et puis qui voudrait fréquenter une femme pareille ?… Une femme capable de laisser seule sa petite fille… J’en arrive à me demander si la nuit elle ne ressort pas lorsque Julie est couchée et endormie.
— Mais pour quoi faire ? demanda Gilberte qui gardait malgré tout une certaine naïveté que le puritanisme de sa mère entretenait.
— Tu me le demandes, ricana Mme Marty. Mais peut-être pour aller faire la vie, tiens.
Sa fille rougit violemment et se tourna vers la vitre. Son regard de myope ne discernait que des formes floues dans le paysage.
Chapitre VI
Le jeudi suivant, Marie quitta la maison comme une voleuse. Julie dormait paisiblement dans sa chambre. Les trois jours précédents sa fille était venue la rejoindre à son bureau de façon qu’elles puissent rentrer ensemble. Ne restait plus que ce point noir, le jeudi. Elle n’avait trouvé aucune solution satisfaisante, certaine de se heurter au mécontentement larvé de la fillette. D’ailleurs, l’une et l’autre avaient évité de faire allusion à ce jour crucial.
Elle tourna la clef du verrou avec lenteur et lorsqu’elle passa en voiture devant la façade elle y jeta un long regard. Continueraient-elles leur persécution ? Après son esclandre de dimanche dernier elle espérait que sa belle-sœur n’insisterait pas. Mais rien ne l’empêchait d’agir en dessous. Puisqu’elle connaissait si bien Mme Cauteret, qu’elle la proposait en modèle à sa fille et que cette dernière brûlait de devenir aussi assistante sociale.
Désormais tout dépendait de Julie. Si Mme Cauteret allait rôder autour de leur maison, que ferait la petite fille ? Poursuivrait-elle son jeu de cache-cache avec cette bonne femme ou bien finirait-elle par en avoir assez ?
Dans son bureau, elle compta le nombre de jeudis avant les grandes vacances. Dix. Mais il y aurait le mois de juillet, 31 jeudis. Jamais Julie ne pourrait tenir un mois entier contre une adulte expérimentée et rouée. L’approche de l’été pétrifiait littéralement Marie. Que pourrait-elle faire ? La Cauteret allait lui proposer des éventualités inacceptables comme colonies de vacances, placement chez des étrangers. Il y avait bien des garderies pour la journée seulement, mais elle n’avait pas le courage de priver Julie de sa merveilleuse liberté. Lorsqu’elle restait à la maison le dimanche, sa présence ne suffisait pas à conjurer le risque d’accident mais la morale sociale et Mme Cauteret semblaient s’en contenter. Alors que Julie restait livrée à elle-même autant de temps que lorsque sa mère travaillait. Lutter contre de telles absurdités la démoralisait, la rendait vainement agressive.
La petite jeune fille qui occupait la réception pénétra chez elle vers 11 heures, l’air bizarre.
— Ce sont les gendarmes, dit-elle la voix frémissante.
Marie pensa d’abord à cet accident grave survenu sur un chantier de l’entreprise. Ils devaient venir à des fins d’enquête.