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— Puis-je vous parler ?

— Entrez, dit Marie d’une voix émue.

Elle refusa de s’asseoir.

— Accepteriez-vous d’aller travailler à Béziers ? Il y a une place de secrétaire à partir du 1er novembre. Également dans une entreprise de construction. Si vous acceptez, il faudra vous présenter le plus rapidement possible à l’adresse que je vous donnerai.

— Pourquoi faites-vous cela ? demanda Marie tranquillement.

— C’est à la demande du juge pour enfants. Il estime que plus tôt votre fille reviendra vivre avec vous mieux ce sera pour elle. Je ne fais que suivre ses directives.

— Quand devrai-je me présenter ?

Il n’en était pas question, alors que ses recherches ne cessaient de se préciser mais elle ne voulait pas affronter ouvertement tous ces gens qui ne songeaient qu’à faire son bonheur. Bientôt, peut-être, elle pourrait leur prouver qu’ils s’étaient stupidement trompés et elle savourait à l’avance les signes avant-coureurs de cette victoire.

— Prenez rendez-vous par téléphone ainsi vous ne sacrifierez qu’une demi-journée.

— Très bien. Mais cet employeur va faire comme les autres, demander des renseignements à la gendarmerie ? Et il faut croire que ceux-ci ne sont pas très fameux puisque jusqu’à présent je n’ai pu trouver une place.

— C’est à moi qu’on demandera des renseignements, pas aux gendarmes.

— Oh ! dans ce cas, fit Marie sans ironie, ce sera parfait. Je vous remercie infiniment.

Mme Cauteret la regarda comme si elle attendait autre chose d’elle, se dirigea vers la porte mais finit par s’arrêter de marcher.

— Votre petite fille va bien ?

— N’avez-vous vraiment aucune nouvelle d’elle ? demanda Marie. Je croyais que tout s’entrecroisait, que vous étiez même plus informée que moi sur ce qui se passe à l’institution. Ma petite fille m’écrit toutes les semaines. Jamais elle ne se plaint. Mais comme elle remet ses lettres ouvertes cela ne signifie pas grand-chose.

— Mais vous lui rendez régulièrement visite, n’est-ce pas ?

— Régulièrement, en effet. Si mes visites sont comptabilisées, vous pourrez avoir la preuve que je n’ai pas manqué un seul dimanche autorisé. Même lorsque j’étais malade, même lorsque ma voiture donnait des signes de faiblesse. Qu’aurait-on pensé de moi si j’avais, par malchance, sauté un seul de ces dimanches ?

— Vous ne changez pas, dit Mme Cauteret. Vous montrez toujours la même méfiance envers ceux qui essayent de vous aider.

— Je préfère que vous sortiez, maintenant.

Mme Cauteret ouvrit sa serviette, y prit une carte.

— Voici l’adresse en question.

Marie la prit sans y jeter un simple coup d’œil, alla ouvrir la porte.

— Ne désirez-vous pas avoir des nouvelles de votre nièce Gilberte ?

— Non… Je la plains beaucoup mais elle a eu son rôle dans cette malheureuse histoire. Un rôle aussi moche que celui de sa mère et que le vôtre, madame. Vous vous êtes liguées contre nous. Vous parce que je me suis montrée insolente à votre égard, Germaine parce qu’elle se croyait des droits sur moi, sur ma fille, Gilberte par jalousie, par méchanceté. Vous n’acceptiez pas notre façon de vivre, de nous aimer, Julie et moi. Vous ne pouviez supporter qu’à dix ans elle soit indépendante.

Lorsqu’elle referma la porte, elle haletait et avait le front couvert de sueur. Il lui fallut boire un verre d’eau, se laisser aller sur le divan de sa salle de séjour. Elle n’avait pas pu se contenir, une nouvelle fois elle avait vexé cette femme. Mme Cauteret ne l’oublierait pas.

Le vendredi elle reçut un coup de fil du juge pour enfants. Il lui demanda si elle avait pris contact avec cet employeur de Béziers. Elle dut avouer que non, faillit ajouter qu’il savait bien qu’elle ne l’avait pas fait.

— Pourquoi refusez-vous de quitter le pays, madame Lacaze ? Vous savez que dans ces conditions la petite Julie ne pourra pas vous être confiée. On ne peut l’obliger à vivre dans les lieux même du drame. Songez à l’accueil que lui ménageraient les gens, ses camarades d’école. Vous ne pouvez lui infliger cette épreuve.

— J’ai besoin de rester quelque temps. Je dois régler certaines affaires, prendre des dispositions.

— N’avez-vous pas hâte de vivre de nouveau avec Julie ?

Comment pouvait-il le lui demander ? Qu’imaginaient-ils tous ? Qu’elle n’aimait pas sa fille ? Qu’elle appréciait sa nouvelle liberté de femme sans enfants ? Qu’elle en profitait peut-être pour avoir des aventures, mener joyeuse vie ?

— Si, dit-elle en essayant de mesurer son ton. Mais je ne veux rien précipiter.

— J’essaye de vous comprendre, madame Lacaze, et mon vœu le plus cher est de vous rendre votre fille.

On aurait dit qu’ils soupçonnaient tous quelque chose pour la harceler ainsi, comme si brusquement ils avaient peur qu’elle ne découvre la vérité, qu’elle ne dévoile à l’opinion publique qu’ils s’étaient trompés et que Julie n’avait jamais tiré sur sa tante.

— Je sais, monsieur le juge, mais j’ai besoin d’un délai…

— Cette place de Béziers ne vous convenait-elle pas ? Peut-être n’aimez-vous pas cette ville ?

— Si, monsieur le juge… Mais je ne veux rien devoir à Mme Cauteret.

Le juge observa un court silence.

— Vous avez tort de vous buter. Mme Cauteret est une femme consciencieuse et expérimentée. Elle n’a jamais agi que pour le bien de votre fille.

Elle ne répondit pas.

— Comme vous voudrez, madame Lacaze, lâcha-t-il à regret, comme vous voudrez.

Jusqu’à la fin de la semaine elle attendit en vain l’envoi du magazine moto. Elle passait tous les jours chez le dépositaire de presse, se précipitait sur sa boîte aux lettres entre midi et 13 heures. Elle ne songeait plus qu’à cette moto découpée. Parfois, elle cherchait encore dans les affaires de Julie, feuilletait ses livres habituels, les manuels scolaires, les cahiers, fouillait dans ses vêtements, dans les cartons du déménagement.

Le dimanche, elle prit la route de Carcassonne. On lui annonça avec ménagement, et comme si elle était à l’article de la mort, que Julie, grippée, se trouvait à l’infirmerie. Elle la trouva en compagnie de deux autres filles plus âgées.

— Je toussais un peu, dit la petite fille. Ce n’est pas très grave.

Marie s’assit auprès du lit, posa les illustrés et les livres autorisés par l’administration sur la petite table de chevet. Elle eut l’impression que Julie se montrait réticente à son égard.

Au bout d’un moment, elle se rendit compte qu’elle était la seule qui parlait.

— Tu veux dormir, peut-être ?

— Non, dit Julie, je te répète que ce n’est pas grave…

— Y a-t-il autre chose ?

Elle regardait ailleurs, vers le recoin de la chambre où ses deux compagnes chuchotaient en riant. De temps en temps, l’infirmière pénétrait dans la pièce, faisait mine de ranger quelque chose.

— J’ai l’impression que tu m’en veux, dit soudain Marie. As-tu quelque chose à me reprocher ?

— Pourquoi ne veux-tu pas aller à Béziers ?

Scandalisée, Marie se souleva de son siège. Ils avaient donc pris cette liberté d’informer Julie… Ils voulaient faire indirectement pression sur elle.

— Comment le sais-tu ?

— Elle téléphone souvent à la directrice et l’une des monitrices me l’a rapporté.

Marie comprenait bien des choses.

— Et depuis tu as la grippe ?

— J’étais fiévreuse et je toussais, protesta faiblement Julie.