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« Pietro alors prit peur et, pour se mettre à l’abri ainsi que ses parents – peu satisfaits, surtout la mère, de ce mariage insensé ! – il eut l’idée de demander la protection du prince François de Médicis, fils et héritier du Grand-Duc Cosme Ier. Un petit calcul assez infâme car, de notoriété publique, François était un grand amateur de jolies femmes toujours prêt à se lancer aux trousses de beautés inconnues. Si Bianca lui plaisait, non seulement sa protection serait assurée au couple mais le mari obtiendrait peut-être quelques avantages substantiels, le prince passant pour être très généreux…

— Pouah ! Le vilain bonhomme ! émit la marquise.

— Je vous concède qu’en dehors de son physique Pietro ne valait pas cher. Cependant il obtint un succès complet. François de Médicis le reçut et même l’accueillit avec empressement : les rares personnes ayant pu entrevoir la jeune recluse de la piazza San Marco en disaient merveilles. Et comme il fallait avant tout que le prince pût voir Bianca, on décida que la jeune femme pourrait, à un moment donné, prendre le frais à sa fenêtre. Le risque serait mince : dès la veille, François ferait veiller par ses gardes à la sûreté de la maison. Au jour dit, le prince passa et repassa sous les fenêtres de Bianca et put la contempler dans tout l’éclat de son épanouissement car elle venait de donner le jour à une petite fille. Sur-le-champ François prit feu car elle était vraiment très belle, ses yeux sombres contrastant avec le blond de sa chevelure le tout mis en valeur par des traits d’une pureté et d’une finesse extrêmes. François se prit pour elle d’un violent amour et n’eut de cesse de se la faire présenter…

Lisa s’interrompit un instant pour tremper ses lèvres dans le vin pétillant, avala une gorgée et reprit :

— Une grande dame, la marquise de Mondragone, se chargea de l’agréable corvée. Elle entra en relations avec Bianca, l’attira chez elle où comme par hasard François venait souvent. La rencontre eut lieu et la jeune femme n’eut guère de peine à s’éprendre du prince. Il faut dire qu’à vingt-trois ans François était fort séduisant sans être vraiment sympathique. De sa mère, Eléonore de Tolède, il tenait un physique élégant, un visage régulier et surtout de très beaux yeux mais, de son père, le redoutable Cosme Ier, un caractère difficile, une cruauté profonde pouvant aller jusqu’à la franche sauvagerie, un orgueil intraitable et le goût prononcé des femmes. Malheureusement il n’avait ni son intelligence froide et lucide, ni son sens politique. Quoi qu’il en soit ce fut entre Bianca et lui un double coup de foudre et quelques jours plus tard, le mari étant allé faire un tour opportun à la campagne, François vint piazza San Marco et prit possession de la belle. Bientôt leur liaison devint publique. Fier de sa maîtresse, François l’étala avec une insolence qui n’eut d’égale que la servile complaisance du mari. C’est alors que Cosme Ier s’en mêla : que son fils eût une maîtresse de plus il n’y voyait pas d’inconvénients sinon que pour se rendre chez elle, il lui fallait traverser la ville nocturne avec tous les dangers que cela comportait. En outre il désirait lui voir épouser l’archiduchesse Jeanne d’Autriche.

— Et en conclusion il lui conseilla de rompre ? intervint la marquise qui suivait l’histoire avec passion. C’est classique !

— Les Médicis n’ont jamais rien eu de classique, reprit Lisa. Cosme ordonna à son fils d’aller épouser sa princesse et d’installer sa maîtresse dans un petit palais de la Via Maggio, sur la rive droite de l’Arno, donc beaucoup plus proche du palais Pitti qui était la résidence grand-ducale. Ce qui fut fait : Jeanne d’Autriche dûment mariée et enceinte, la grande vie débuta pour le couple Buenaventuri. Bianca devint dame de la princesse et Pietro gentilhomme de la chambre avec une telle pluie d’avantages financiers que le peuple le surnomma rapidement Pietro Cornes d’Or. Il avait le cuir épais et ne s’en offusqua pas en profitant même pour réclamer toujours plus d’or, toujours plus de prébendes, récriminant sans cesse auprès de sa femme, voire auprès du prince pour faire valoir tout ce qu’il avait à souffrir de leur liaison. Tant et si bien qu’un soir, alors qu’il festoyait avec des amis, François déclara qu’il en avait assez de ce perpétuel mécontent qui était bien capable de venir lui réclamer un jour son droit d’héritage sur la Toscane. La phrase fut entendue par Roberto de Ricci qui partageait parfois les débauches où se vautrait Pietro et il vint proposer au prince de le débarrasser du gêneur moyennant une promesse d’impunité totale. Qu’on lui accorda et, dans la nuit du… 24 au 25 août 1572, le gêneur fut proprement assassiné à coups de dague à quelques pas de sa maison où, le jour venu, on le rapporta pour y recevoir les soins dus à la mort. Bianca, toute de noir vêtue et tenant par la main sa petite fille, s’en alla réclamer justice contre les assassins de son époux. Cosme la releva avec bonté, l’assura que tout serait fait pour lui donner pleine et entière satisfaction… et classa l’affaire. D’ailleurs ayant donné ce bel exemple de piété conjugale, Bianca n’eut pas le mauvais goût de revenir à la charge. Elle se hâta d’oublier Pietro pour se consacrer pleinement à ses nouvelles ambitions dont la principale était tout simplement de devenir un jour Grande-Duchesse de Toscane. Pietro n’était plus et la santé de la princesse Jeanne n’était pas des meilleures. Ce qui n’avait rien d’étonnant car depuis son mariage elle passait d’une grossesse à une autre sans interruption.

« Délaissée, bafouée, écrasée par le luxe insolent de sa rivale, la malheureuse finit par ne plus se sentir en sécurité derrière les murs cyclopéens du palais. Surtout après la mort de Cosme Ier qui fit d’elle une Grande-Duchesse. Elle avait perdu son meilleur défenseur et François ne cachait guère son impatience de s’en séparer. Elle avait, en effet, rempli sa tâche puisqu’elle avait donné sept enfants à la couronne… dont une certaine Marie destinée à devenir un jour reine de France en épousant Henri IV…

« Au début de l’an 1578, comme elle attendait le huitième, Jeanne était en si piteux état qu’elle ne pouvait plus se déplacer seule. On la portait d’une pièce à l’autre ou au jardin pour en admirer les cascades dans une espèce de chaise fabriquée exprès pour elle. Or, un matin où elle avait demandé qu’on la mène au jardin pour admirer les jeux d’eau et les nouveaux arrangements, les valets chargés de porter sa chaise la lâchèrent en plein milieu du grand escalier. Elle roula jusqu’au bas des degrés de marbre qui la brisèrent. Quelques heures plus tard elle faisait une fausse couche et mourait dans d’affreuses souffrances. Le chemin était libre devant Bianca et François proclamait déjà son intention de l’épouser. C’est alors que Venise effectua l’un de ces retournements spectaculaires dont le palais des Doges possédait le secret. Après l’avoir honnie, pourchassée, méprisée, la Sérénissime décidait d’adopter Bianca et de la proclamer sa « Fille très particulière ». Elle lui envoya même son père pour conclure la réconciliation mais…

— Ah ! Il y a un mais ! Je commençais à trouver que tout allait trop bien dans le pire des mondes, ronchonna Madame de Sommières.

— Dans ce genre d’histoire, il y en a toujours, sourit Lisa. Celui qui se dressa devant les deux amants était de taille puisqu’il s’agissait du propre frère de François, le cardinal Ferdinand de Médicis. Quand le mariage fut annoncé, une scène violente l’opposa au Grand-Duc auquel il fit entendre que même couvert d’or, un mulet ne peut devenir un pur-sang, que l’adoption de Venise ne changeait rien à la chose et que, d’ailleurs, ni Florence ni l’Autriche n’accepteraient ce monstrueux mariage. Après quoi le cardinal partit pour Rome afin de ne pas sanctionner le scandale par sa présence. L’atmosphère de Florence devenait irrespirable. Les Florentins haïssaient Bianca pour son orgueil et son faste impudent au point que tout ce qui pouvait arriver de fâcheux dans l’État lui était attribué aussitôt. On ne l’appela plus que la Strega… La Sorcière !