— Pourquoi ne me l’avez-vous pas montrée tout de suite ? dit Aldo surpris.
— Je préférais que vous les voyiez sur le portrait. Et aussi que vous rencontriez la pauvre Violaine !
— Quel nom romantique, fit Lisa mi-figue mi-raisin. Et ça lui va ?
— Pas mal ! riposta son mari désinvolte. Beaucoup mieux en tout cas que la jalousie à une femme aussi éclatante que toi ! Tiens, regarde !
Les connaissances en pierres historiques de la jeune femme étaient presque aussi étendues que celles de son époux. Elle baignait d’ailleurs dans les joyaux depuis l’enfance, son père le banquier zurichois Morris Kledermann possédant l’une des plus importantes collections européennes. Elle étudia l’aquarelle puis se mit à rire :
— Tu as raison, Aldo, tu vieillis ou alors tu travailles trop !
— Ne me dis pas que tu les connais ? Où sont-ils ? Chez ton père peut-être ?
— Où ils sont je n’en sais pas plus que toi mais où « nous » les avons vus, je peux te le dire : chez nous !
— Chez nous ?
— Eh oui ! Pas in casa Morosini bien sûr mais à Venise. Au Palais Ducal ! Souviens-toi ! Un portrait de Bianca Capello que Florence a envoyé au Doge Nicolo da Ponte pour le remercier des somptueux joyaux envoyés à l’occasion de son mariage avec le Grand-Duc Francesco de Médicis. C’était peu après l’incendie qui avait détruit en grande partie notre palais des Doges avec ses plus beaux Titien. Et Médicis apprenant que le Tintoret et Véronèse travaillaient jour et nuit pour redécorer le monument a fait peindre sa Bianca avec les bijoux afin d’apporter sa contribution.
— Mais c’est que tu as raison ! s’écria Aldo en frappant sa paume gauche de son poing droit. Nicolo da Ponte avait fait un gros effort en envoyant cette parure alors qu’il avait tant besoin d’argent. En même temps il déclarait « Fille très particulière de la Sérénissime République » une femme qu’on avait poursuivie depuis des années comme catin meurtrière. Mais les relations diplomatiques n’ont pas de prix, n’est-ce pas ! Cette fois, mon cœur, l’aventure devient carrément passionnante. À tout à l’heure !
Et sans même attendre le café, sans saluer quiconque, Aldo courut récupérer son chapeau, ses gants et le premier taxi qui passerait à sa portée. Un peu suffoquées tout de même les trois femmes assistèrent muettes à cette sortie tumultueuse jusqu’à ce que Lisa dise au bout d’un moment :
— Je me demande si je n’aurais pas mieux fait de me taire ! Je viens de sonner pour lui l’ouverture de la chasse !
— N’importe comment, fit Madame de Sommières, il aurait bien fini par découvrir le pot aux roses ! Vous n’avez fait que hâter le processus, ma chère petite !
— Moi je trouve ça merveilleux ! exulta « Plan-Crépin » en joignant les mains avec extase. Nous allons vivre à nouveau l’une de ces aventures tellement exaltantes pour l’esprit…
— … et tellement dévastatrices pour la sérénité ambiante ! fit la vieille dame.
— Qui donc peut souhaiter la tranquillité quand il s’agit…
— Moi par exemple ! gémit Lisa. Quand j’attendais les jumeaux j’ai failli me faire tuer une demi-douzaine de fois pendant qu’Aldo et le cher Adalbert galopaient dans tous les sens à la recherche de deux cailloux verts échappés de Jérusalem ! Cela n’avait rien d’exaltant !
— Oh, je n’ai pas oublié ! soupira Marie-Angéline. J’aurais tellement voulu que nous restions là-bas nous aussi ! Mais il a fallu repartir ! ajouta-t-elle avec un regard douloureux à l’adresse de la marquise.
Celle-ci saisit sa canne à pommeau de cristal et, du bout, tapota l’épaule de sa lectrice :
— Cessez de délirer, Plan-Crépin ! Même Aldo est capable de se calmer. Surtout sachant notre Lisa dans ce qu’on appelait jadis une situation intéressante !
— C’est vous qui rêvez, Tante Amélie ! Je parierais qu’il va la trouver beaucoup moins passionnante que les breloques de Bianca Capello ?
— Sûrement pas ! fit celle-ci en riant. Et je ne parie pas avec vous, j’aurais beaucoup trop peur de perdre. Pourtant cet homme-là vous adore sans le moindre doute !
— Si j’en doutais un seul instant, je ne serais pas en train de lui fabriquer un héritier de plus, conclut Lisa en se servant une deuxième tasse de café. Mais j’ai bien peur de ne pas faire le poids ! Pendant un moment ! Même avec des kilos en plus ! conclut-elle avec mélancolie.
CHAPITRE II
UNE DRÔLE D’HISTOIRE
La visite au notaire n’apprit rien à Morosini qu’il ne sût déjà. Maître Bernardeau le reçut avec toute l’urbanité des tabellions de vieille souche habitués de longue date à une catégorisation quasi infaillible de leurs visiteurs et, même sans son titre princier, il n’eût pas commis l’erreur de prendre Aldo pour ce qu’il n’était pas. D’autant que son nom lui disait quelque chose.
Après les politesses de la porte, il confirma n’avoir jamais eu accès à la fameuse parure et ne l’avoir jamais vue.
— Ce n’est pas faute d’avoir essayé pourtant, soupira-t-il en écartant ses mains soignées dans un geste désabusé mais lorsque je lui en parlais, Madame d’Ostel se contentait de dire que des bijoux de cette importance avaient tout intérêt à rester cachés, qu’elle me les montrerait en temps utile, que rien ne pressait… et toujours avec un sourire bizarre, un peu moqueur que… que je n’aimais pas beaucoup à dire vrai, mais je n’ai jamais pu en tirer davantage. À présent, elle est morte et nul ne sait plus où ils sont !
— Les domestiques-héritiers ?
— Oh non ! Je les ai « cuisinés », comme on dit dans la police. Ce sont de braves gens, simples et plutôt désolés du drame que fait Monsieur Dostel. « Qu’est-ce qu’on pourrait faire d’objets pareils ? » m’a dit Prosper, le mari. « C’est des coups à se faire assassiner si on les avait chez nous ! »
— Il n’a pas tort mais en les remettant à Madame Violaine Dostel, le danger changerait de camp.
— La baronne me les aurait remis à moi d’abord. Non, croyez-moi Prosper et Mathurine jurent ne les avoir jamais vus et je suis persuadé qu’ils disent vrai.
— Ça c’est encore plus étonnant ! La baronne devait bien les mettre pour aller poser chez Boldini ?
— Elle les emportait sans doute dans leur écrin. On ne se promène pas en plein jour avec des pièces pareilles. Même dans sa voiture.
— Bon ! Laissons cela pour le moment ! En sortant d’ici je vais aller interroger le peintre. C’est un ami de longue date, mais j’ai encore une question. Sauriez-vous d’où ou de qui Madame d’Ostel tenait cette parure ?
— Oui. Elle me l’a dit : d’un admirateur au temps où elle chantait sur les scènes d’opéras européens.
— Singulièrement généreux alors !… Elle ne s’est jamais produite en Amérique ?
— Non. Elle redoutait la mer après avoir failli périr d’une tempête en traversant seulement le Pas-de-Calais. Alors l’Atlantique !…
— Elle était italienne, m’a-t-on dit ?
— Oui. De Ferrare.
— Comme Boldini ! C’est curieux… eh bien maître j’ai assez abusé de votre temps !
— Absolument pas ! C’est un plaisir de parler avec vous ! Si je vous ai compris, vous souhaitez faire quelques recherches ?
— Que feriez-vous à ma place ? C’est une énigme comme je les aime… sourit Morosini.
— En ce cas je vous souhaite sincèrement de la résoudre… et si j’osais…
— Il faut toujours oser !
— Non, c’est inutile ! Pardonnez-moi ! Si vous les trouvez les journaux ne manqueraient pas d’en emplir leurs colonnes…