— Tout simplement ? Vous vous trompez d’adresse je ne suis pas un prestidigitateur et je croyais que vous le saviez ! Madame… mes hommages !
Il tournait déjà les talons quand elle l’arrêta :
— Oh non, je vous en prie ! Ne m’… nous abandonnez pas !
C’était plus qu’une supplication : un cri de douleur. Un regard dans les beaux yeux où montaient des larmes fit comprendre à Aldo que Violaine risquait de faire les frais de son mouvement d’humeur. Le mari d’ailleurs marmottait de vagues excuses :
— Désolé !… conçu de grands espoirs !… recommandation notre cousine… Dépassé ma pensée !
Visiblement très déçu surtout et Aldo décida de lui accorder une chance uniquement pour que s’apaise l’angoisse de la jeune femme mais sans leur laisser tout de même trop d’espoirs.
— L’amitié de Mademoiselle du Plan-Crépin a toujours eu tendance à exagérer mes talents. Je veux bien essayer de chercher au moins une trace de ces joyaux dès que je les aurai identifiés à coup sûr.
— Vous avez une idée ? demanda Dostel.
— Peut-être. Il faut que je vérifie. Si c’est ce que je pense, il me paraît incroyable que des pièces aussi illustres eussent appartenu à quelqu’un d’autre qu’un musée, la cassette d’une très haute maison ou le coffre d’un grand collectionneur.
— Et notre tante n’entre dans aucune de ces catégories. Vous oubliez qu’une femme belle et astucieuse peut posséder assez d’envergure pour se faire offrir n’importe quoi par un imbécile amoureux ?
— C’est en effet une hypothèse. Si c’est le cas, la parure a pu être volée puis bien cachée pour attendre que les remous s’apaisent chez vous ou encore remise discrètement à un amateur aussi riche que peu délicat contre une lessiveuse de billets de banque. L’appartement de votre tante a-t-il été soigneusement visité ?
— Sur ma plainte, le notaire s’en est chargé et je dois dire que les nouveaux propriétaires ont laissé faire par crainte sans doute de la police…
— Ne dites pas cela, Evrard ! plaida son épouse. D’après Maître Bernardeau, ils ont montré beaucoup de bonne volonté au contraire tant ils étaient désolés qu’on pût les prendre pour des voleurs alors que notre tante s’est montrée si généreuse. Et sa demeure a été fouillée de fond en comble par le notaire et ses clercs. Il nous l’a dit.
— Oh vous, ma chère, vous êtes assez sotte pour croire le premier chien coiffé qui pleurniche !
— Maître Bernardeau est moins sensible et il a dit être persuadé de leur sincérité.
— Il est peut-être comparse ! Cessez donc de dire des âneries…
Peu désireux d’assister à un nouveau chapitre de « la triste vie de Madame Dostel », Morosini coupa court :
— Donnez-moi donc son adresse pour commencer ! J’ai l’intention de lui rendre visite…
— Pour quoi faire ? s’insurgea le mari. Je ne vois pas ce qu’il pourrait vous apprendre que nous ne sachions déjà ?
— Les relations avec les notaires font partie de ma profession. Aussi, en ayant une longue habitude, je sais poser les bonnes questions.
— Comme vous voudrez ! Et… vous pensez aboutir rapidement ?
Cette fois Morosini ne put s’empêcher de rire :
— Qui peut savoir ? Des années ou quelques jours selon que la chance est avec ou contre moi. La quête de ce genre d’objets s’avère délicate la plupart du temps…
— Et… cela va me coûter cher ?
Le sourire d’Aldo se fit dédaigneux :
— Un pourcentage sur la vente des joyaux car je suppose qu’il n’entre pas dans vos projets de les garder ? Je ne suis pas détective privé et n’ai pas l’intention d’interrompre mes affaires pour vous consacrer tout mon temps. Il vous faudra être patient…
— Je vois ! Eh bien, je patienterai avec ce que me rapportera ceci, soupira Dostel en refermant le coffret pour le loger sous son bras.
Sa femme émit, alors, un petit gémissement qui atteignit Morosini au plus sensible.
— Si vous ne me donnez pas votre parole de n’en rien faire je renonce dès à présent à vous aider. Le collier-de-chien est une pièce à conviction. En outre c’est pour que Madame puisse garder ces babioles que je m’engage dans cette affaire… et aussi pour faire plaisir à Mademoiselle du Plan-Crépin.
On n’aurait su faire entendre plus clairement que, s’il n’y avait eu que Dostel, on l’aurait laissé à ses cogitations et à ses regrets. L’intéressé ne s’y trompa pas. Quant à Aldo il déchiffra sans peine le coup d’œil mauvais que l’autre lui adressa tout en marmottant qu’il ferait ce qu’on lui demandait. Il avait l’air d’un molosse à qui l’on vient de retirer son os…
Dans l’intention louable de détendre une atmosphère chargée d’électricité, la petite Madame Dostel osa demander :
— Marie-Angéline nous a dit que vous êtes vénitien, pr… Monsieur ? Cela paraît tellement extraordinaire !
Aldo nota qu’elle s’était retenue au moment de lui donner son titre afin, sans doute, de ne pas exciter l’humeur atrabilaire d’un époux qui les détestait. Son sourire n’en fut que plus compréhensif :
— Pourquoi donc, Madame ? Nous sommes un peu plus de trois cent mille à partager ce privilège sans compter ceux qui sont nés chez nous et n’y résident pas.
— On dit que c’est si beau !
— Sans doute suis-je un peu partial mais je ne peux pas dire le contraire. C’est aussi la ville des lunes de miel, ajouta-t-il malicieusement…
— Nous avons passé la nôtre à Romorantin ! coupa le mari indisposé sans doute par cette parenthèse touristico-sentimentale. Je ne sais pas si vous le savez mais c’est aussi une ville sur l’eau avec un château et de belles demeures. Pourquoi chercher si loin ce que l’on a chez soi ?
— Le charme de l’une n’enlève pas celui de l’autre… et si j’ai la chance avec moi vous pourrez peut-être venir comparer. Comme avec d’autres cités aquatiques. Bruges aussi est magnifique !
Heureux de laisser un peu de lumière dans les yeux noisettes Morosini prit congé, toucha une main molle, en baisa une autre infiniment plus agréable, gagna le palier pour dégringoler les quatre étages (sans ascenseur) et se retrouva dans la rue de Lyon à la recherche de soleil dont l’appartement des Dostel, exposé au nord, manquait tristement bien que l’artère fût assez large et bien construite. Malheureusement ses habitants coincés entre la gare de Lyon et la ligne de la Bastille voyaient leur atmosphère souvent obscurcie par les fumées de chemin de fer et leurs oreilles offensées par les sifflets de locomotives mais les loyers en étaient modérés et, surtout, Dostel – lui avait-on dit ! – avait choisi cet endroit à cause d’une certaine proximité avec le Ministère des Pensions sis quai de la Râpée. Elle lui permettait de gagner son bureau à pied et d’en revenir de même ce qui constituait une appréciable économie (1).
Cela ressemblait bien au personnage de ne penser qu’à lui-même sans se soucier d’imposer à sa jeune femme le voisinage de la gare la plus propice aux rêves parisiens puisque l’on s’y embarquait pour des pays de soleil, de douceur de vivre comme la Côte d’Azur, la Riviera italienne, Venise et bien d’autres lieux susceptibles de parler à une imagination éprise de beautés auxquelles Violaine n’avait aucun droit sinon celui de respirer de nauséabonds effluves…
Un taxi en maraude passant à cet instant, Morosini le héla et, après avoir consulté sa montre, lui demanda de le conduire rue Alfred-de-Vigny : il avait promis de rentrer pour déjeuner et il ne lui restait pas assez de temps pour le notaire. On verrait ça cet après-midi !
Chemin faisant, il repassa dans son esprit les moments qu’il venait de vivre chez les Dostel en se livrant à un examen de conscience. Tout à l’heure, il s’était donné les gants de la galanterie en consentant quelques recherches pour faire plaisir à une charmante créature empêtrée d’un mari impossible mais il était bien obligé, face à lui-même, d’admettre qu’aucune force humaine ne l’aurait empêché de se lancer à la chasse d’ornements aussi extraordinaires que ceux qu’il venait de voir. Il était sûr de les avoir déjà vus, peut-être bien sur un autre portrait. Mais quand et où ? L’époque de création et la provenance ne faisaient aucun doute pour lui : le XVIe siècle et très certainement Florence mais sa mémoire, si fiable habituellement, se refusait à l’emmener plus loin. Peut-être parce qu’elle était encombrée par l’affaire qui l’avait amené à Paris ce printemps à la demande du Commissaire Langlois dont il avait fait la connaissance l’année précédente lors du vol de la « Régente (2) » : la découverte ! de l’activité occulte d’une personnalité en vue de la haute société parisienne morte dans les réjouissantes conditions qui avaient fait la gloire du Président Félix Faure. À cette différence près que la dame était une demi-mondaine des plus douteuses dont les accointances avec la pègre ne faisaient aucun doute. On s’était aperçu alors que la demeure de ce célibataire élégant, disert, cultivé, riche et introduit dans les meilleures maisons servait de cadre à une collection de bijoux glanés un peu partout en Europe et qui, tous, sans la moindre exception, avaient disparu un beau jour ou une belle nuit de leur domicile habituel. Certains – et non des moindres ! – posant problème, le chef de la Sûreté Nationale avait fait appel aux connaissances approfondies de son ancien suspect, Aldo Morosini, avec lequel il entretenait à présent les meilleures relations. Et, de fait, Aldo avait pu identifier certaines pièces disparues depuis fort longtemps quelquefois d’écrins augustes ou amis. Mais cela l’avait contraint à une gymnastique cérébrale assez éprouvante. D’où ce trou de mémoire désagréable au possible…