— Un duo, non. Pas encore. J’ai l’impression. Comment dire ? Leur relation a quelque chose de… médiéval… oui : la dame et son chevalier décidé à tout pour la conquérir.
— Je vois ! Des kilomètres à plat ventre pour avoir le droit de lui baiser les doigts. Et vous trouvez que c’est rassurant !
— Calmez-vous ! Ce n’est pas aussi inquiétant ; je vous confierai même que la princesse Alice…
— Elle s’appelle Alice ?
— Alice-Ava-Muriel !... Je crois même qu’à son baptême Ava venait en premier mais sa mère entend rester la seule de l’espèce et ne l’a jamais appelée autrement qu’Alice.
— C’est bien d’elle ! Pardon de vous avoir interrompu ! Vous disiez que la princesse…
— A des soucis que Vidal-Pellicorne veut l’aider à résoudre et pour lesquels il a requis mes lumières. À présent tenez-le-vous pour dit et ne m’en demandez pas davantage : secret professionnel !
Morosini n’insista pas. L’idée lui venait qu’en coinçant Théobald et en le passant à la question, il arriverait peut-être à en apprendre davantage. Il était temps de revenir à ses propres moutons :
— Je comprends. À présent pouvez-vous me dire si l’étude du dossier d’hier vous a appris quelque chose ?
— Pas vraiment. L’assassin est mort, vous le savez, et rien n’a permis de le relier au sieur Ricci. Le seul tort de celui-ci a été de se trouver présent dans la salle quand la Solari a été tuée. On ne peut tout de même pas lui reprocher d’aimer Tosca ?
— Ce doit être Scapia qui le fascine. Ils se ressemblent. Est-ce qu’il a un pied-à-terre en Angleterre ?
— Mieux : un manoir dans les environs d’Oxford mais quand il ne reste à Londres qu’un jour ou deux, il descend au Savoy. Je ne vous cache pas que le personnage me déplaît et que j’aimerais assez l’inculper d’un méfait quelconque mais dans l’état actuel de la question il n’y a rien.
— Et pourtant, soupira Morosini, je mettrais ma main au feu qu’il trempe jusqu’au cou dans cette affaire. Et peut-être même détient-il ce que je cherche.
— Difficile à prouver ! Apparemment il n’y a pas possibilité de l’impliquer dans le crime de Bagheria sinon il aurait les bijoux en sa possession depuis cette nuit-là et, par définition, la Solari ne les aurait jamais eus.
— C’est logique, seulement, il a pu les voir, ce soir-là, et les rechercher par la suite. Sait-on comment ils sont entrés dans l’écrin de la diva ?
— Comment savoir ? Son protecteur de l’époque, un banquier milanais, jurait les lui avoir connus depuis le début de leur relation. Son habilleuse et sa femme de chambre aussi. Ce seraient des bijoux de famille.
— De quelle famille ? Là est la question.
— Ce n’est pas mon avis. Il est normal que vous cherchiez à travers l’Histoire les tenants et les aboutissants mais, à mon sens personnel, la question serait plutôt où sont-ils passés depuis Covent Garden ?
— Évidemment. Pourtant, croyez-moi, leur parcours depuis Florence est loin d’être indifférent. Et Dieu sait si celui-là est difficile à retracer ! J’ai la certitude qu’en venant en France épouser Henri IV, Marie de Médicis les possédait. Cependant ils ne sont jamais entrés dans les coffres des Joyaux de la Couronne de France. Donc la Reine s’en était défait. Au profit de qui et pour quelle raison ? Peut-être vers la fin de sa vie quand elle vivait dans une embarrassante gêne financière.
— Ils ont pu être volés aussi ?
— Pourquoi pas ? Et je n’ai aucun moyen de le savoir.
— Encore une fois ce n’est pas si important !
— Si, parce que souvent les descendants des possesseurs momentanés considérant qu’ils appartiennent à leur héritage, se lancent à leur recherche sans se soucier autrement des moyens de les récupérer. J’en ai eu un exemple chez moi quand feu sir Eric Ferrals décidait de se procurer ce qu’il appelait lui l’Étoile bleue parce qu’au XVIIe siècle elle avait valu les galères à son ancêtre protestant. Mais ma mère a été assassinée par celui qui voulait la lui vendre. Certes ce n’est pas sir Eric qui lui a fait avaler le poison mais il s’est trouvé être le meurtrier indirect. Vous m’avez dit que l’assassin de la Solari avait été retrouvé dans la Tamise où il n’est pas entré de son propre chef : ce qui signe un commanditaire et, même si vous n’avez relevé aucun indice menant à Ricci, vous ne m’enlèverez pas de l’esprit qu’il a donné les ordres. Justement parce qu’il s’appelle Ricci. Vous dites qu’il possède un manoir aux environs d’Oxford ? Où exactement ?
Warren fronça le sourcil et fit toute une affaire de tapoter sur son bureau les feuillets d’un dossier pour qu’aucun ne dépasse les autres :
— Si je vous le dis, vous allez y courir et vous fourrer peut-être dans un guêpier dont je n’aurai probablement aucun moyen de vous tirer. Surtout si vous vous faites pincer ! Vous vous retrouverez en prison parce que devant la loi, il n’y a pas d’amitié qui tienne…
— Vous me croyez si maladroit ?
— Non. Je crois surtout que vous feriez fausse route parce que Ricci est Américain, qu’il vit outre-Atlantique beaucoup plus souvent que chez nous et que s’il a les bijoux il ne les a sûrement pas laissés sur le sol britannique.
— Pourquoi pas ? Ce ne doit pas être facile de sortir des pièces de cette importance ?
Un sourire féroce étira les coins de la bouche du Superintendant :
— Il a des relations… et nous l’équivalent de votre valise diplomatique ! En outre, je vous rappelle qu’il a fait construire l’équivalent de votre palais Pitti. Ça me paraît le cadre tout indiqué pour la parure d’une grande-duchesse de Toscane.
Morosini ne répondit pas. C’était assez juste et le raisonnement de Warren lui semblait marqué au coin du bon sens mais il ne pouvait s’empêcher de penser que le policier cherchait un moyen élégant de se débarrasser de lui. Surtout si Adalbert et son Américaine lui posaient déjà un problème quelconque. Il choisit de changer de sujet :
— Vous ne voulez vraiment pas me dire ce qui se passe entre Vidal-Pellicorne, sa princesse… et vous ?
— Non. Je regrette. Si vous allez le lui demander gentiment il vous le dira peut-être ?
— Gentiment ? Vous auriez dû le voir hier soir : autant essayer d’arracher son os favori à un molosse ! Allons, je vous ai suffisamment ennuyé ! Il est temps que je vous laisse à vos travaux.
— Vous partez ?
Il y avait dans la voix du policier une lueur d’espoir. Aldo haussa des épaules désabusées. Une attitude qu’il savait très bien prendre pour donner le change.
— Pas dans la minute mais je ne vais pas tarder. Ma femme m’attend à Paris et elle a hâte de rentrer à la maison.
Un grand sourire illumina le visage de Warren traduisant un net soulagement.
— Quand la maison en question est un palais sur le Grand Canal on peut la comprendre. Offrez-lui, s’il vous plaît, mes hommages admiratifs… et vous, je vous souhaite bon voyage !
Ainsi expédié – le terme était à peine exagéré ! – Aldo quitta Scotland Yard sans esprit de retour. Il se sentait plein d’amertume : après Adalbert, Warren lui claquait dans les mains. Il se retrouvait seul et ce n’était pas vraiment agréable ! Cela devint même si pénible soudain que, pris d’un violent désir de retrouver Lisa, la chaleur de son sourire et de son regard violet, il eut envie de tout envoyer promener. Dès l’instant où il ne pouvait plus compter sur Adalbert obnubilé par une Américaine sans doute aussi folle que sa mère, où Warren lui refusait courtoisement son aide il ne lui restait plus qu’à prendre le premier bateau pour Calais, rejoindre la capitale française, son épouse et l’Orient-Express en direction de Venise. La situation dite « intéressante » de Lisa exigeait de lui qu’il lui consacre toute son attention et il repoussa loin de lui le touchant visage de Violaine Dostel condamnée certainement à brève échéance, à voir disparaître le modeste trésor que l’ancienne cantatrice lui avait légué. La vague impression de défaite qu’il ressentait passerait vite. Enfin… peut-être !
D’un pas nerveux, il franchit le seuil du Ritz fonçant dans la direction du comptoir du Courrier qui était l’homme chargé de la préparation des voyages des clients et traversa le hall. C’est alors qu’une jeune femme, assise au fond d’un fauteuil abrité par un palmier nain se leva vivement, le rejoignit, et posant une main sur son bras :