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— Vous connaissez cette dame ?

— Elle est célèbre… ou presque ! Alice Astor, la fille d’Ava qui est encore plus cinglée qu’elle. Je ne peux pas la souffrir. Offrez-moi votre bras et allons chez le radio !

— Vous voulez lancer un S. O. S. ? plaisanta Morosini.

— Il ne faudrait pas me pousser beaucoup ! Non, nous allons faire changer votre réservation : vous ne pouvez descendre qu’au « Plaza » ! Le seul convenable pour un homme de votre qualité. D’ail­leurs notre ami Vauxbrun a déjà retenu…

C’était incontestablement une raison plus valable que les antipathies de la baronne et Aldo se laissa emmener assez content au fond de voir la tête que ferait Adalbert quand leurs couples se croiseraient…

Le fait dépassa largement ses espérances. Quand il passa auprès de lui en bavardant à bâtons rompus avec sa compagne, Adalbert ouvrit des yeux comme des soucoupes, s’arrêta pile et même se retourna tandis que les deux femmes échangeaient un regard glacial, l’une avec une moue dédaigneuse – Pauline ! – l’autre avec un haussement d’épaules qui l’était tout autant. Aldo lui se contenta d’un sourire narquois que la baronne était trop fine pour ne pas remarquer :

— Vous connaissez cet homme ?

— C’est même d’habitude mon meilleur ami.

— Pourquoi d’habitude ? Il ne l’est plus ?

— C’est la question que je me pose. Depuis qu’il connaît la princesse Obolensky j’ai l’impression qu’il n’a plus envie de me voir.

— Parce qu’il est amoureux de cette dinde et qu’il est beaucoup moins séduisant que vous ? Que fait-il dans la vie ?

— C’est un très brillant égyptologue…

La main sur la poignée de la porte de la radio, la baronne Pauline éclata de rire :

— Eh bien vous pouvez faire une croix sur votre belle amitié ! Alice se prend pour la réincarnation de Cléopâtre ou quelque chose d’approchant. Elle n’en fera qu’une bouchée…

Elle riait encore en pénétrant dans l’habitacle mais Morosini n’en avait plus envie. Cette curieuse femme possédait l’art de décortiquer l’âme humaine et même si l’idée ne lui serait jamais venue qu’Adalbert pût voir en lui un rival éventuel, ce qui était grotesque, il était à craindre, au cas où elle aurait raison, que leur quasi-fraternité eût du plomb dans l’aile. Et ça ce n’était pas supportable, surtout dans l’état d’esprit où il était en ce moment. Conséquence logique : il fallait une bonne explication franche, face à face, dans les yeux et en privé !

En attendant, quand la baronne en eut terminé avec ses radiogrammes il la laissa se rendre au bar avec un couple d’artistes qui avaient embarqué dans la nuit et s’en alla prendre des nouvelles de Gilles Vauxbrun. Elles n’étaient pas fameuses : il trouva le malheureux gisant sur son lit toujours en tenue de sport et toujours aussi vert en compagnie de son steward (12)qui lui appliquait sur le front des compresses froides. En dépit des hublots ouverts, il régnait dans la chambre une odeur aigrelette peu agréable. À son entrée, le malade tourna vers lui un regard mourant que sa vue n’éclaira pas, bien au contraire.

— Ça n’a pas l’air d’aller ? constata Morosini.

— Toi, en revanche, ça va on ne peut mieux ! grogna Vauxbrun. Tu as une mine répugnante alors que je ne suis plus qu’une larve… Et j’ai horreur qu’on me voie dans cet état !

Aldo voulait bien le croire : lui aussi avait horreur d’être vu malade.

— Je ne suis pas « on » mais un vieux copain qui comme toi a fait la guerre. Qu’est-ce que t’a donné le médecin ?

— Une potion au chloral censée me faire dormir mais que je n’ai pas gardée deux minutes…

— Il t’a traité en jeune fille ! Pas étonnant d’ail­leurs si tu l’as regardé avec ces yeux-là ! Tu devrais manger…

— Tais-toi malheureux !

— … du pain grillé, des brioches… et puis essaie donc le whisky soda bien glacé !

— D’où sors-tu cette trouvaille ?

— Mon vieil ami lord Killrenan avait beau être un vieux loup de mer, il n’en était pas moins sujet parfois à ce genre de malaise tout comme l’amiral Nelson. Il s’en tirait avec ce remède-là. Remarque, le whisky était pour lui la panacée universelle depuis les maux de tête jusqu’aux cors aux pieds. Cela dit il n’avait pas tort : il m’est arrivé entre Calais et Douvres d’avoir à expérimenter ce truc avec succès. Votre médecin devrait le connaître, ajouta Morosini en s’adressant au jeune steward.

— Peut-être hésite-t-il à l’employer quand il ne connaît pas la personne afin que les autorités américaines ne nous accusent pas de pousser à la consommation d’alcool. En outre si Monsieur a le foie fragile…

— Un peu, admit Vauxbrun mais je préfère mourir que rester ainsi ! Qu’est-ce que la baronne va penser de moi ?

— Le plus grand bien, rassure-toi ! Elle se soucie de toi et c’est déjà une bonne chose, non ? Restez près de lui ! Je vais chercher le remède moi-même, conclut Aldo en rejoignant la porte.

Si vite qu’il bouscula un homme qui se trouvait de l’autre côté, qui s’excusa et fila sans attendre que Morosini en fît autant. Un peu interloqué, celui-ci regarda disparaître au bout de la coursive une gabardine mastic comme il devait en exister plusieurs sur le bateau. Le col en était relevé et la casquette enfoncée jusqu’aux sourcils ne lui avait pas permis de distinguer le visage. Ce qu’il regretta parce qu’il aurait juré que, lorsqu’il l’avait bousculé, le personnage était en train d’écouter à la porte. Il s’élança à sa poursuite mais quand il atteignit l’angle du large couloir, il ne vit plus personne. L’homme avait dû disparaître dans l’une des cabines… mais allez donc savoir laquelle ?

Tandis qu’il gagnait le bar, la question le turlupinait de deviner pourquoi quelqu’un pouvait s’intéresser à ce qui se passait chez un homme malade depuis le début de la matinée et qui, à part son entretien avec le médecin et quelques paroles échangées avec le steward, n’avait guère à émettre que des borborygmes internes guère ragoûtants. À moins que le curieux ne se consacre à lui-même et non à Gilles et ne l’eût suivi ? C’était peut-être plus logique mais pas plus éclairant pour autant.

Muni d’un verre convenablement embué il retourna administrer sa potion personnelle au malade et, annonçant qu’il reviendrait dans l’après-midi, il rentra chez lui pour se préparer en vue du déjeuner. Il était occupé à nouer sa cravate quand on frappa à sa porte mais il n’eut pas le temps de crier « Entrez ! ». Vidal-Pellicorne était là. L’œil sombre et la mèche en bataille il lançait sans préambule :

— Il faut qu’on parle !

Son reflet s’inscrivit aussitôt dans le miroir devant lequel Aldo continua d’opérer comme si de rien n’était :

— C’est aussi mon avis mais tu pourrais commencer par dire bonjour !

— Eh bien, bonjour si tu y tiens !

— Cela me paraît la moindre des choses et je te fais grâce des politesses dans le genre : « Comment vas-tu ? »

— C’est l’évidence même : tu as une mine magnifique !

— Et de deux ! C’est la seconde fois qu’on me la reproche depuis ce matin et comme chaque fois cela vient d’un ami – ou supposé tel ! – cela devient obsédant.

— Qui est l’autre « supposé tel » ?

— Gilles Vauxbrun.

— Il est là lui aussi ?

— Et pourquoi pas ? Tu y es bien ? Maintenant qu’est-ce que tu veux ?

Le nœud de cravate étant parfait, Aldo s’éloigna du miroir pour aller chercher son étui à cigarettes laissé sur la table de chevet cependant qu’Adalbert opérait le mouvement contraire en allant s’adosser à la commode que dominait la glace :

— C’est plutôt à moi de te le demander ? Pourquoi me suis-tu ?

— Où as-tu pris que je te suivais ?

— À Londres d’abord où tu es tombé chez moi comme la foudre…