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L’eût-il examinée qu’il ne l’eût sans doute pas reconnue. Originale mais pas idiote, Nelly Parker avait remplacé les couleurs éclatantes de son béret écossais par une cloche de feutre marron qui engloutissait entièrement ses cheveux de flamme. Quand Morosini eut disparu, elle revint vers le voiturier :

— Cet homme a la bougeotte ! Où est-ce qu’il court encore ?

— Chez les cops !

— En taxi et à cette allure ? Qu’est-ce qui lui arrive ?

— Je n’en sais rien. Tout ce que je peux vous dire, miss Parker, c’est qu’il va chez un boss puisqu’il est en route pour Baxter Street.

— Ah ! Qu’est-ce qu’il peut bien aller y faire ?

Le voiturier haussa des épaules fatalistes tandis que la réflexion fronçait le petit nez couvert de taches rousses de la journaliste. Finalement elle soupira :

— Bouh !… Je l’ai suivi tout l’après-midi, ça ne servirait à rien de recommencer. Si ça tombe à pic il sera déjà reparti quand j’arriverai. Autant l’attendre ici ? Qu’en pensez-vous Willie ?

— C’est sûr qu’il finira par revenir à un moment ou à un autre mais si vous me permettez, il m’est pénible de vous voir vous fatiguer de la sorte. Il est si intéressant ce type ? Plutôt pas mal de sa personne d’accord mais…

— Ce n’est pas ce qui compte encore que… Et pour être intéressant vous pouvez être certain qu’il l’est ! Il ne se déplace jamais sans faire des vagues et avec lui, je suis sûre d’avoir une mine de papiers sensationnels !

— Comment se fait-il alors qu’il n’y ait ici aucun de vos confrères ?

— Parce qu’en dehors du cinéma, du base-ball et de la politique ils ne connaissent rien à rien. Bon ! Qu’est-ce que je fais ?

— Entrez donc vous asseoir dans le hall ! Vous serez aux premières loges pour le voir rentrer…

— Au fond pourquoi pas ? Je vais aller m’offrir une tasse de café !… Et merci de m’aider, Willie !

— C’est naturel, Miss Parker ! Ça me rappelle le vieux temps et ça c’est toujours agréable…

Tout l’appareil administratif de la ville était groupé au nord de Foley Square dans un agglomérat de buildings, bâtis pour la plupart à la fin du XIXe siècle dans le style néoclassique. Plus au nord encore les New York Police Headquarters se trouvaient dans un bloc délimité par Hester Street, Grand Street, Brome Street et Baxter Street où était l’entrée principale flanquée d’énormes lanternes de bronze (16).

Le taxi qui déposa Aldo devant la porte accepta d’autant plus volontiers de l’attendre que, bavard et curieux comme à peu près les trois quarts de ceux de sa corporation, il avait vainement cherché à savoir ce que son élégant client venait faire chez les flics.

Sans avoir le côté monumental du Municipal Building avec sa base à colonnades, ses quatorze étages et son sommet à trois tambours – toujours à colonnades ! – lui donnant l’air d’un gâteau de mariage sommé d’une statue de la Gloire Civique, le quartier général de la Police était un bâtiment imposant dont la courbe d’un grand escalier occupait une partie du rez-de-chaussée. Quant à l’atmosphère, c’était la même que celle respirée à Scotland Yard ou au Quai des Orfèvres : allées et venues rapides, légère fièvre, fumées de tabac et mauvaise humeur chronique. Où les choses différaient quelque peu c’était au niveau des dimensions des bureaux, celui de Phil Anderson se révélant plus vaste que ceux de Langlois et Warren réunis. Il est vrai qu’il s’agissait là du grand patron, ce que n’était encore aucun des deux autres. Les murs étaient couverts de bibliothèques plus ou moins en désordre alternant avec des trophées, des fanions et le drapeau des États-Unis. Un énorme bureau occupait le centre sous un épais nuage de fumée au milieu duquel, tel Bouddha surgissant des volutes de l’encens, trônait le chef aux yeux mi-clos derrière de larges lunettes d’écaille.

Un cigare d’une main, il réussit à extraire sa vaste personne du fauteuil tournant qui la contenait et tendit l’autre, large comme une assiette, à son visiteur avec une cordialité à laquelle aucun de ses confrères n’avait habitué Morosini. Sur le sous-main de cuir posé devant lui, était posée la carte de Warren que l’on venait de lui faire passer.

— Bienvenue ! tonna-t-il d’une voix de basse taille. C’est un plaisir de recevoir un ami de Warren ! Comment va le cher vieux crocodile ?

— Au mieux quand je l’ai vu, il y a quelques semaines, répondit Aldo amusé par l’appellation : il semblait qu’on ne pût comparer le Surintendant qu’à des animaux préhistoriques.

— Parfait ! Asseyez-vous et racontez-moi votre histoire ! Warren m’écrit que vous avez à vous plaindre de cette crapule de Ricci ?

Anderson cracha le nom plus qu’il ne le prononça. En même temps son visage épanoui, jovial et bien nourri dans lequel les petits yeux noirs ressemblaient à des pépins de pomme, s’assombrissait.

— Jusqu’à présent, je n’ai pas eu à m’en plaindre personnellement. Je me suis seulement trouvé mêlé à une vilaine affaire dans laquelle je suis persuadé qu’il a joué un rôle déterminant. Cela dit, ajouta Aldo avec un sourire, je ne voudrais pas que vous me preniez pour un Latin imaginatif et agité…

— Ne vous tourmentez pas pour ça, mon garçon ! Je sais qui vous êtes !

— Ah oui ! Vous m’en voyez surpris… et flatté !

— À plusieurs reprises j’ai séjourné en Europe et je me suis toujours intéressé à ses trésors comme nombre de mes compatriotes. Dans le monde de la joaillerie, en particulier dans la partie des bijoux anciens et de leurs aventures, vous faites autorité. Comme il arrive parfois que certains fassent parler d’eux ici, cela fait partie de mon job autant que de mes goûts. Et maintenant dites-moi ce que vous savez de Ricci ! Où l’avez-vous rencontré ?

— À Paris alors que je déjeunais au Ritz avec un compatriote, le peintre Giovanni Boldini…

Anderson tourna la tête pour postillonner une particule de cigare.

— Lui aussi je connais ! Content de savoir qu’il est toujours vivant.

— Certes mais il décline et le récent incendie qui a failli détruire sa maison l’a beaucoup affecté…

— Signé Ricci ?

Morosini eut un geste évasif :

— Je le pense… sans en avoir la preuve.

— Il n’y a jamais de preuves avec lui. C’est l’une de ses forces. Mais poursuivez ! Je ne vous interromprai plus !

Il tint parole, se contentant de souffler de furieuses bouffées à certains moments du récit et, à d’autres, de laisser la fumée s’exhaler lentement de sa bouche ouverte comme d’un cratère de volcan. On en était là quand Aldo termina sur son départ de Newhaven avec le corps de Jacqueline et un instant, Phil Anderson resta la tête appuyée à son haut dossier de cuir noir, les yeux au plafond. Morosini respecta cette méditation en allumant lui-même une cigarette, ce qui n’arrangea pas l’atmosphère de la pièce mais c’était une assez bonne détente. Enfin le chef de la police new-yorkaise émit, pensant tout haut plus que s’adressant à son visiteur :

— N’importe comment, cette malheureuse n’aurait pas vécu longtemps si elle avait suivi Ricci dans ce pays. Un mariage avec lui ne porte pas bonheur et à cette heure, il serait sans doute veuf pour la troisième fois…

— Que voulez-vous dire ?

Avant de répondre, le policier sonna pour qu’on lui apporte du café après s’être assuré que Morosini en prendrait avec lui. Sur sa lancée il fit quelques pas majestueux en direction d’une fenêtre qu’il ouvrit en large afin d’évacuer la fumée. C’était simple : il venait de finir son cigare. Jusqu’à ce que le plateau soit servi, il resta devant l’ouverture recevant de plein fouet le vacarme de la rue puis il referma, revint à son bureau, remplit les tasses, en offrit une à Morosini en lui laissant le soin de sucrer à son idée, revint s’asseoir, avala son café d’un trait… et alluma un nouveau cigare dont il avait tranché le bout d’un coup de dents. Une longue bouffée voluptueuse et, se carrant à nouveau dans son siège il déclara :

— À moi maintenant de vous raconter une histoire peu banale. Il y a quatre ans environ, Ricci s’est marié en grande pompe dans son palais de Newport, dans le comté de Rhode Island qui est…