L’autre partit d’un énorme éclat de rire.
— Est-ce que vous imaginez, par hasard, que je m’en prive ? Comme vous je suis certain que c’est un criminel comme on n’en voit pas beaucoup, même ici et qu’en outre, il trafique l’alcool, l’opium et deux ou trois autres babioles. Alors si grâce à vous je pouvais dénicher une preuve qui me permette de l’abattre, je vous promets une reconnaissance éternelle et peut-être même des funérailles officielles mais n’allez pas vous aviser de demander l’aide de Dan Morris, le shérif de Newport : il lui mange dans la main. Compris !
— C’est on ne peut plus clair ! Merci de vos conseils, Chef Anderson. Je m’en souviendrai…
Difficile à oublier, en effet ! Aldo se retrouvait seul comme devant, aux prises avec un ennemi dont il ne pouvait pas imaginer l’étendue des forces et du pouvoir de malfaisance. Cela n’avait rien de récréatif mais il était malgré tout assez satisfait d’une chose – une seule ! – : Ricci était bel et bien le possesseur des joyaux de la Sorcière et, dans ce cas, il y avait gros à parier qu’il était aussi le meurtrier de la fiancée de Pavignano et de la cantatrice de Covent Garden. Morosini allait peut-être risquer sa vie mais au moins ça en vaudrait la peine. Dommage seulement que les doigts agiles d’Adalbert lui fassent défaut pour récupérer la croix et les pendants d’oreilles. Les doigts mais aussi l’intelligence, la bonne humeur, le courage tranquille et ce qui faisait de lui un incomparable compagnon d’aventures.
Comme chaque fois qu’il pensait à Adalbert ces temps derniers, son humeur s’assombrit et en arrivant à l’hôtel, il n’était pas à prendre avec des pincettes. Ce fut Nelly Parker qui en fit les frais quand elle courut après lui tandis qu’il fonçait vers les ascenseurs :
— S’il vous plaît sir Morosini ! Rien qu’un mot !
Il lui jeta un regard noir. En dépit de son habillement différent il la reconnaissait fort bien et son absurde chapeau cachait la seule chose en elle qui pût inciter Aldo à l’indulgence : ses cheveux roux qui même de loin lui rappelaient Lisa.
— Lequel ? Je ne suis pas certain d’en avoir de polis à votre disposition.
— J’essaierai de m’en contenter, fit-elle avec un sourire timide qui dévoila de petites dents blanches, des dents de gamine évoquant les barres de chocolat et les pots de confitures mangés en cachette. Vous ne voulez pas que nous nous asseyions deux minutes ?
— Si c’est ce que vous vouliez savoir c’est non. Je suis pressé !
— Ça vous reposerait un peu : vous n’avez pas arrêté de courir depuis le lunch.
— C’est gentil de vous intéresser à moi mais je me reposerai beaucoup mieux dans ma chambre et seul ! Alors, ce mot, il vient ? Je suppose que vous ne vouliez pas seulement me demander de m’asseoir ?
Les yeux candides de la jeune fille se firent implorants :
— Confiez-moi les raisons de votre séjour chez nous !
— Je vous l’ai déjà dit : vacances !
— Non : la vraie raison ! On ne commence pas ses vacances en allant chez les flics !
— Pas vous ? Comme c’est bizarre ! Je commence toujours les miennes par une visite à la police locale. Ce sont les gens les mieux renseignés sur les avantages et les inconvénients d’un pays et croyez-moi, ils répondent à vos questions avec une urbanité exquise. Vous devriez essayer la prochaine fois que vous aurez envie d’aller vous détendre quelque part ! Je vous souhaite le bonsoir, Miss !
Et sans lui laisser le temps de réaliser, il s’engouffra dans l’ascenseur dont les portes venaient de s’ouvrir devant lui. Tandis qu’elles se refermaient il put apercevoir Nelly plantée toujours à la même place avec la mine déconfite d’une petite fille qui vient de voir s’envoler son ballon rouge. Cela le fit sourire et lui fit du bien. Avant cette rafraîchissante rencontre il était à peu près décidé à laisser Vauxbrun aller dîner seul chez la baronne Pauline mais maintenant il pensait que cette sortie lui changerait peut-être les idées. Ce qui relevait de l’impossible s’il restait seul à tourner en rond dans sa chambre en écoutant la radio. En foi de quoi, il se déshabilla, se doucha longuement, se frictionna avec sa chère lavande anglaise, et se rasa. Ensuite il enfila du linge frais, des chaussettes de soie noire, passa un pantalon de smoking, des souliers vernis, brossa ses épais cheveux bruns dont l’argenture près des tempes lui parut plus accentuée, noua avec la dextérité de l’habitude un papillon de soie noire sous son col à coins cassés après avoir piqué son plastron empesé de minuscules saphirs montés sur or et endossa finalement la veste aux revers de soie dans les poches de laquelle il glissa son portefeuille et son étui à cigarettes en or frappé à ses armes sans lesquels il ne se déplaçait jamais. La douceur de l’air ne justifiant pas le port d’un manteau, il prit un mouchoir propre, un chapeau, des gants et après une dernière chiquenaude à un grain de poussière, un dernier regard au miroir, il descendit rejoindre Gilles Vauxbrun qui devait l’attendre dans le hall. Mais s’il espérait trouver un Vauxbrun épanoui à la perspective de la soirée à venir, il dut déchanter. Si Gilles offrait une image de pure élégance et de grande allure il n’en était pas moins d’humeur chagrine et à peine dans le taxi, il ne fit aucune difficulté pour en confier la raison à son ami. Le fauteuil de bureau de Louis XV venait de partir pour Boston, ce qui ne l’arrangeait pas.
— Autrement dit tu as fait la traversée pour rien ? demanda Aldo.
— Ce n’est pas cela : je n’ai pas perdu mes chances de l’avoir et de toute façon à cause de la baronne jamais je ne dirai que j’ai fait ce voyage pour rien, ajouta-t-il avec une mine extasiée qui donna aussitôt à son compagnon l’envie de lui taper dessus.
Cependant celui-ci se contenta de grogner :
— Je sais. Parle-moi plutôt du fauteuil ! Qu’est-ce qu’il fait à Boston ?
— Il appartient maintenant à Diana, la fille aînée du vieux Lowell, qui y habite. Elle a réussi à le faire entrer dans sa part de succession en disant que son père le lui avait promis.
— Cela veut dire qu’elle ne le vendra pas.
— Tu n’y es pas. Ce qu’elle veut c’est faire monter les enchères. Elle sait que je dois venir et elle a déclaré au notaire qu’elle m’attendait. Il va falloir que j’aille là-bas, émit Vauxbrun avec un soupir aussi lourd que s’il devait s’embarquer pour la Patagonie.
— Et alors ? Ce n’est pas le bout du monde, Boston. Ce ne doit pas faire beaucoup plus de cinq cents kilomètres…
— Je sais et si je pouvais traiter entre deux trains je ne t’en parlerais même pas mais j’ai bien peur d’être obligé de rester beaucoup plus longtemps. J’espérais pouvoir acheter avant que la succession ne soit liquidée mais si mon affaire ne dépend plus que de Diana ça va être toute une histoire. Je vais devoir palabrer pendant des jours et des jours ?
— Tu veux dire marchander ? Mais ça ne te ressemble pas. Quand tu veux quelque chose – en particulier pour ta collection ! – tu paies le prix ! Point final !
— Le malheur c’est que ce n’est pas si simple. La marotte de cette femme c’est le XVIIIe siècle français et comme elle n’a pas souvent un interlocuteur de ma taille elle va en profiter et faire traîner en longueur.
— Mais enfin elle doit savoir que tu as autre chose à faire que t’asseoir, une tasse de thé à la main, pour parler Louis XV à perte de vue ?
— Pas Louis XV, Pompadour ! Elle a pour la marquise une vraie passion. Jusqu’à essayer de lui ressembler !
— Tu n’aurais pas une bricole lui ayant appartenu et que tu pourrais lui proposer comme monnaie d’échange ?
— Si ! fit l’antiquaire morose. J’ai un bonheur-du-jour provenant du château de Choisy… mais il me serait pénible de m’en séparer. Tu dois le comprendre, toi ! En outre, si je le mets sur le tapis, mon joli petit meuble, elle est capable de vouloir venir le chercher elle-même et tout de suite. Tu peux être sûr qu’elle ne me lâchera plus et que je devrai rentrer par le premier bateau. Or…
— Or cela ne t’arrange pas ?
— Pas du tout ! J’aimerais rester à New York deux ou trois semaines. Ma maison de Paris marche presque toute seule avec Bailey et il se peut que je trouve ici une occasion ou deux.