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Une réponse se présenta à lui, née du nom « Médicis » étalé sous ses yeux mais Hilary – il aurait du mal à l’appeler autrement ! – devait tenir à jour sa liste des collectionneurs de joyaux prestigieux et Aloysius Ricci n’en avait jamais fait partie. Donc elle n’avait aucune raison de s’intéresser à lui…

Une idée soudaine lui traversa l’esprit et le fit sourire : il ne saurait y avoir de bonne « Season » à Newport sans les Astor – un ou deux membres du clan tout au moins ! – et si d’aventure la belle Alice rappliquait avec son nouveau toutou favori, il pourrait être amusant de voir la tête d’Adalbert coincé entre ses nouvelles amours et les anciennes ? Et si par hasard, Hilary était au courant du collier de Tout-Ank-Amon, la conjoncture vaudrait son pesant d’or…

Un chapelet de jurons italiens tira Aldo de ses réflexions. Derrière lui, un homme vêtu de noir mais dont il était impossible de distinguer le visage sortait – ou bien était-il éjecté ? – d’un de ces bars de port, si toniques jadis et où il n’était plus possible de ne boire que du café, du thé, du lait, de la limonade et autres boissons sans alcool. Ce dont, d’ailleurs, l’homme se plaignait :

— Foutu pays !… hic !… On ne peut… même plus… avaler, hic !… un p’tit quelque chose pour… hic !… se remonter le moral !

Si l’on en croyait son discours, l’inconnu l’avait déjà trouvé le « petit quelque chose » et n’était venu chercher là qu’un supplément de cuite. En s’approchant de lui, Aldo vit qu’il brandissait une bouteille vide mais comme son flot d’imprécations était proféré en italien, il alla l’attraper par un bras au moment où une embardée menaçait de l’envoyer se fracasser le crâne contre le mur d’une maison.

— Hé ! Doucement. Où prétendez-vous atterrir ?

Le reflet d’un des rares réverbères lui montra un visage brun et assez beau, mouillé mais plus par des larmes abondantes que par la pluie :

— Boire ! répondit l’homme. Je veux… boire ! Encore… et encore !

— Vous avez déjà bien assez bu et si vous continuez à brailler, vous allez vous faire arrêter. Où habitez-vous ?

— … t’regarde pas !… Et puis j’habite plus… nulle part !

Relevant la tête, il considéra Morosini d’un œil dubitatif mais pas trop glauque :

— T’es qui, toi ?… Un… hic !… Un Sicilien comme moi ?… Non !… T’es pas… Sicilien. Tu parles pointu !

Incontestablement il gardait dans son ivresse une part de lucidité comme tous ceux qui habitués à boire ne perdaient le sens qu’après de fortes libations.

— Je suis Italien quand même, admit Aldo renonçant pour l’occasion à son distinguo préféré. Le fait que son ivrogne soit Sicilien l’intéressait et il demanda « Comment t’appelles-tu ? »

— A… Agostino !… Et je veux boire… et puis foutre le camp… avant qu’ça arrive !

— Quoi ?

— Le… le mariage !… J’veux plus voir ça !

Un trait de lumière, fulgurant comme un éclair au milieu d’un ciel noir, traversa l’esprit d’Aldo, déclenché par ce prénom peu courant. Jacqueline Auger l’avait prononcé au Ritz. C’était celui du valet de Ricci, celui qui l’avait aidée à fuir en lui donnant un peu d’argent. Et c’était lui à présent qui voulait prendre le large ? Sa décision fut immédiate :

— Viens avec moi ! dit-il en empoignant le Sicilien qui chercha à lui échapper : mollement car il ne possédait ni la taille ni la force nerveuse d’Aldo.

— J’veux… aller nulle part ! J’veux boire !

— Tu auras à boire !

— Où… où qu’tu m’emmènes ?…

— À la Taverne !… Tu y trouveras ce qu’il faut ! Je vais te soutenir mais essaye de marcher droit…

Injonction superflue. S’il avait résisté Aldo était prêt à l’endormir d’un coup de poing et à le porter sur son dos. C’était un cadeau du Ciel que cet Agostino et il fallait le mettre à l’abri avant que ses confrères ne se mettent à sa recherche. Quelques minutes plus tard, tous deux faisaient à la Tavern une entrée, circonspecte de la part de Morosini. Par chance, le mauvais temps avait déjà renvoyé chez eux les derniers consommateurs et il n’y avait pratiquement personne. Ted n’était pas non plus en vue mais pensant qu’il s’était retiré en son privé, Aldo y transporta son intéressant ivrogne, frappa un coup bref et entra sans attendre la permission. Ted, en effet, était là, rêvassant en fumant une cigarette et se leva pour protester mais Aldo le prit de vitesse :

— Je m’excuserai plus tard ! Ce garçon est saoul comme toute la Pologne bien qu’il soit Sicilien mais il dit des choses passionnantes !

Sans grands ménagements, il laissa choir son fardeau sur le divan où il s’avachit avec un soupir béat, puis il demanda :

— Vous n’auriez pas quelque chose de fort à lui donner ?

— Vous venez de dire qu’il est saoul ? Ça ne vous paraît pas suffisant ?

— Juste un petit peu d’alcool pour que je puisse tenir ma promesse. Après on pourra le récurer au café !

Tandis que Ted servait un fond de verre de son précieux whisky, Aldo lui raconta ce qu’Agostino avait laissé échapper, sa terreur évidente et son désir de fuir. Au mot « mariage » l’aubergiste changea de couleur :

— Ce qui voudrait dire que Ricci a l’intention de convoler une troisième fois ?

— À votre avis ? Et… qui, selon vous, aurait-il l’intention d’épouser ?

Le hâle de Ted vira au gris cependant qu’une véritable angoisse montait dans son regard :

— Oh ! non ! s’écria-t-il. Pas elle ?

— J’ai peur que si. Ce n’est pas parce qu’elle n’habite pas le Palazzo qu’elle n’a pas l’intention d’y vivre ? Une Anglaise ne saurait respirer sous le toit de son fiancé avant le mariage. C’est valable d’ail­leurs pour d’autres nationalités.

— Mais les précédentes habitaient là avant !

— Ça ne veut rien dire ! Celle-là doit tenir d’autant plus au respect des bons usages qu’elle n’est pas – et de loin ! – l’innocente ingénue que vous imaginez. Elle est certainement décidée à épouser Ricci…

— Qu’est-ce qui vous le fait croire ?

— La couleur de ses cheveux. Au naturel votre Mary Forsythe est d’un joli blond Scandinave, légèrement argenté…

— Vous la connaissez donc ?

— Oh oui ! Pardon de ne pas vous l’avoir révélé plus tôt mais je n’avais jusqu’ici aucune raison de le faire. Simplement parce que je ne pensais pas qu’avec ce qui va remplir Newport dans les jours prochains, Margot la Pie eût jeté son dévolu sur Ricci.

— Margot la Pie !

— Oui. La Pie voleuse ! C’est le surnom dont l’ont rebaptisée les diverses polices européennes qui n’ont encore jamais réussi à mettre la main dessus. Seule celle de Palestine, il y a trois ans, avait pu s’en emparer mais elle leur a échappé je ne sais trop comment. J’ajoute que sa spécialité ce sont les bijoux, de préférence anciens et historiques car ce n’est pas n’importe quelle chapardeuse : elle est très cultivée, très habile et froide comme glace pour ce qui est de la lucidité. À la limite, si je ne savais ce que nous partageons vous et moi, je serais enclin à plaindre Ricci de tomber dans ses filets : elle est capable de le dépouiller jusqu’à l’os !

Le malheureux Ted était effondré au milieu des éclats de son rêve démoli mais l’œil qu’il releva sur son étrange client recelait une méfiance que celui-ci n’aima pas.

— Comment pouvez-vous en savoir si long ? articula-t-il. Ça n’a pas grand-chose à voir avec la guerre d’Indépendance, le détachement français et le reste ?

— En effet, je l’avoue. Si je descends bien par ma mère d’un des officiers de Rochambeau, si j’aime dessiner et même peindre, je ne crois pas avoir le temps ni l’intention décrire un bouquin sur ce sujet.