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— Mon frère, John-Augustus ! présenta Pauline. Quand il est ici, il passe la moitié de son temps dans l’eau quelle que soit la température ou dessus. Or comme les fortes chaleurs n’ont pas l’air de s’annoncer, il risque de se retrouver au lit avec une bonne bronchite. Venez, je vais vous montrer votre chambre.

Celle-ci était ce que l’on pouvait attendre dans une telle demeure : vaste, tendue de tapisseries avec lit à colonnes, cabinet florentin, fauteuils à hauts dossiers montant la garde devant une cheminée imposante mais remplie pour l’heure des fusées jaunes d’un genêt fleuri. Par la porte-fenêtre ouverte sur le balcon à balustres on découvrait une autre partie des jardins – qui eux n’avaient rien à voir avec les parterres de Le Nôtre – et ceux de la propriété voisine, une somptueuse demeure, elle aussi dans le goût français, mais avec un siècle de moins. Il y régnait une activité intense au milieu de laquelle se remarquaient des uniformes et deux voitures de police.

Naturellement, Aldo qui avait jeté un coup d’œil machinal au-dehors demanda ce qui se passait.

— Ça, dit Pauline qui l’avait rejoint à la fenêtre, c’est Beaulieu, la propriété d’Ava Astor qu’elle a laissée à ses enfants afin de garder Beachwood qui se situe de l’autre côté. Notre amie Alice y est arrivée hier à bord du yacht fraternel et en compagnie de votre ex-meilleur ami ainsi que des Ivanov dont vous vous souvenez peut-être.

— En dehors du fait que j’ai une excellente mémoire la traversée n’est pas si loin, baronne. Mais pourquoi la présence de la Police ? J’espère, ajouta-t-il avec un bizarre pincement au cœur, qu’il n’est rien arrivé de grave ?

— Pas à ce point-là mais pour Alice c’est une véritable catastrophe : on lui a volé le collier de Tout-Ank-Amon.

— Encore ? Lorsque nous étions tous à Londres, on le lui avait déjà piqué mais Gordon Warren l’a récupéré et c’est pour protéger ce précieux trésor qu’elle a repris le chemin des États-Unis.

— Pour une réussite c’est une réussite mais vous ne savez pas encore tout. Le collier a été retrouvé… dans les affaires de votre ex-meilleur ami et, il y a une heure, le shérif Dan Morris qui, entre parenthèses déteste les Français, s’est fait un immense plaisir de l’arrêter. Il paraît qu’il en pleurait presque de joie…

CHAPITRE X

« NOUS AUTRES, LES BELMONT… »

Les états d’âme du shérif importaient peu à Morosini qui, prévenu contre lui, le détestait d’instinct. En revanche qu’il ait mis les pattes sur Adalbert l’incommodait fort.

— Puis-je savoir comment on en est arrivé là ? demanda-t-il sèchement.

Pauline défaisait les bagages si hâtivement bâclés pour en ranger les différentes pièces dans un dressing-room à faire pâlir d’envie un roi d’Angleterre. Le contenu de ses deux malles cabines y avait déjà pris place. La tête dans une armoire, elle répondit :

— C’est simple ! Hier soir, Alice avait mis son collier égyptien afin de se livrer à l’une de ces séances d’inspiration prophétique dont elle a fait sa spécialité. Quand ce fut fini, un peu lasse, elle s’est contentée de le laisser sur sa coiffeuse et à son réveil elle ne l’y a pas retrouvé. Branle-bas de combat naturellement ; la maison retournée dans tous les sens jusqu’à ce que Caroline Ivanov se souvienne avoir vu l’égyptologue sortir à pas de loup de chez Alice dans le petit matin blême. Elle l’a dit. On a fouillé chez lui et on a retrouvé l’objet.

— Ça ne tient pas debout !

— Qu’est-ce que vous dites ? cria Pauline qui du fond d’une armoire n’avait rien entendu.

— Je dis que ça ne tient pas debout ! hurla Aldo. Et pour l’amour du Ciel, laissez mes affaires tranquilles ! Je suis assez grand pour les ranger moi-même.

La baronne reparut l’instant suivant tenant à la main un browning dont elle fit miroiter l’acier bleu dans un rayon de soleil :

— Et de cette chose, qu’est-ce que j’en fais ? Vous voyagez toujours armé ?

— Pas vous ? riposta Aldo en s’emparant de l’arme qu’il fit disparaître dans la poche arrière de son pantalon. J’ai pourtant le reconnaissant souvenir de certaine canne-épée ?

— C’est beaucoup plus méchant, ce truc.

— Et vous en êtes offusquée ? J’ai peine à le croire. Sachez cependant que dans mon métier il faut défendre sa vie plus souvent que vous ne l’imaginez. Cela dit, revenons à Adalbert. Où est-il ?

— Où voulez-vous qu’il soit ? Chez le shérif !

— Alors soyez assez bonne pour m’y faire conduire : je ne sais pas où c’est.

— Vous y faire conduire ? Mais vous rêvez, mon ami. Pourquoi donc croyez-vous que je suis accourue pour vous sortir de votre auberge ? Justement pour éviter que l’on vienne vous y cueillir comme une innocente marguerite ? Ici vous n’avez rien à craindre parce que tout le monde – moi en tête ! – jurera que vous êtes chez nous depuis… depuis…

— Depuis un quart d’heure ! Que croyez-vous que dira Ted Mawes quand on viendra l’interroger ? Si on l’interroge ? Et voulez-vous me dire pour quelle raison je serais tenu complice d’un soi-disant vol – parce que votre histoire sent le coup monté à plein nez ! – alors que j’étais tranquillement à l’auberge…

— … attendant tranquillement que votre complice vous apporte le produit de son larcin avec lequel il ne vous restait plus qu’à prendre le premier ferry en direction de New York !

La stupeur, vite remplacée par une bouffée de colère laissa un instant Aldo sans voix. Il se rendit à son tour dans le dressing-room, sortit l’une de ses malles et commençait à la remplir quand Pauline se jeta entre lui et la penderie à laquelle il s’attaquait :

— Arrêtez voyons ! qu’est-ce qui vous prend ?

— Il me prend que si c’est ce que vous pensez, je n’entends pas rester une minute de plus chez vous… ou plutôt chez votre frère qui n’a aucune raison de couvrir un receleur…

À son tour elle se mit à crier :

— Cessez de faire l’imbécile, Aldo ! Ni moi ni les miens ne le pensons. Je me contente de vous exposer les faits et la raison pour laquelle il vaut mieux que l’on vous sache de « nos » amis. Ce qui n’est pas rien aux yeux d’un Dan Morris !

— Mais enfin comment saurait-il qu’Adalbert et moi sommes des amis de longue date ? Il ne doit pas souvent lire les journaux de la vieille Europe dont nous ne sommes d’ailleurs pas des habitués.

— Il le sait parce qu’on le lui a dit.

— Qui donc ?

— Alice bien sûr à qui votre Adalbert a tout de même dû parler de vous une fois ou deux. Et puis aussi Cyril Ivanov qui, lui, a l’air très au courant de vos exploits communs…

Brusquement Aldo se souvint du « verre » qu’il avait pris en compagnie du jeune homme au bar de l’ Île-de-Francetandis que Caroline dansait dans le grand salon. Ivanov après lui avoir fait savoir qu’il était renseigné sur leur activité commune, lui avait demandé pourquoi en se retrouvant à la table du Commandant Blancart, ils avaient semblé ne pas se connaître. Il lui avait répondu qu’ils étaient en froid mais, apparemment, l’Américano-russe ne l’avait pas cru…

Pendant qu’il réfléchissait ainsi, la pensée de Pauline suivait un autre chemin, voisin d’ailleurs, qu’elle se mit soudain à exprimer tout haut :

— C’est étrange qu’il ait pu en raconter autant. Je me demande si, vous découvrant sur le bateau, l’idée ne lui est pas venue que vous étiez là pour donner un coup de main à votre habituel complice en l’aidant à subtiliser ce sacré collier… En outre, vous venez de parler de ma canne, et moi je revois nettement l’homme qui vous a attaqué. La force, la silhouette, la souplesse, la taille sous le costume de marin fatigué… est-ce que tout ça ne ressemblerait pas au beau Cyril ?…

— … qui usait du Vétiver de Guerlain, la vague odeur que j’ai décelée sous celle de la sueur, de la crasse et du charbon ? Ce serait lui qui m’aurait attaqué ? Mais pourquoi ?

— Pour vous éliminer d’entrée de jeu afin d’isoler plus facilement l’amoureux d’Alice. Ce qui expliquerait aussi comment il a pu disparaître si vite : Caroline devait l’attendre, dissimulée à proximité, avec un cache-poussière, une casquette et une écharpe amplement justifiés par le temps qu’il faisait. Car elle est sa complice n’en doutez pas. Vous ignorez qu’elle tient de son père une véritable passion pour l’Égypte, aussi forte, j’en ai la conviction, que celle d’Alice mais elle n’a pas eu les mêmes occasions d’assouvir cette passion.