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Les arrivées se succédaient à un rythme qui allait s’accélérant. Robes à paniers et costumes de cour emplissaient peu à peu les salons de leurs fulgurances. Certains hommes avaient opté pour des uniformes plus sobres et quelques femmes pour des toilettes rappelant leurs ancêtres américaines avec des bonnets de mousseline ou de dentelles mais toutes ruisselaient plus ou moins de diamants et de perles. Le bruit des conversations et des rires étouffait souvent la musique. Soudain l’attention un peu flottante des deux observateurs jouissant simplement du coup d’œil se fixa. On venait d’annoncer Mr et Mrs Schwob, Miss Mary Forsythe et Mr Aloysius Ricci.

Leurs regards négligèrent les deux premiers pour accrocher les seconds et ne plus les lâcher. En bonne Anglaise – peut-être l’était-elle réellement ! – « Mary » s’était inspirée d’un portrait de Gainsborough et sa fine silhouette s’enveloppait de mousseline blanche et de taffetas rose pâle assortis aux plumes d’autruche qui moussaient à son grand chapeau de velours noir. Son compagnon avait eu le bon esprit d’adopter ce dernier tissu pour son habit à boutons de diamants et le tricorne qu’il portait sous le bras. En revanche, sa figure couperosée, ses traits durs et son double menton s’accommodaient mal de sa perruque blanche un peu juste qui laissait dépasser des cheveux gris. Il devait s’en rendre compte car le sourire de commande plaqué sur sa face, les yeux sans cesse en mouvement, disaient assez qu’il ne se sentait pas au mieux.

— Quel couple ! marmotta Adalbert. Avec ce chapeau elle a l’air d’être deux fois plus grande que lui. En outre il est franchement affreux. Qu’est-ce qui lui prend de vouloir épouser ce gnome ?

Au mécontentement qui pointait dans la voix de son ami, Aldo se demanda s’il ne lui restait pas un reste de l’ancien penchant. Il est certain que se voir remplacé par ce type n’avait rien de flatteur !

— Il est très, très riche, murmura-t-il en manière de consolation.

— Il n’est pas le seul ici. Des milliardaires on en ramasse à la pelle dans cette île.

— Quoi qu’il en soit c’est celui-là qu’elle a choisi et j’aimerais faire en sorte qu’elle renonce à ce projet. C’est selon moi la meilleure façon de lui sauver la vie.

Deux apparitions simultanées accaparèrent alors les attentions. Cynthia – Pompadour bleu Nattier et dentelles blanches appuyée sur une haute canne au pommeau endiamanté – descendait majestueusement l’escalier dont sa robe occupait toute la largeur au moment même où lady Ribblesdale – Marie-Antoinette en bergère de Trianon du même bleu mais avec une immense perruque surmontée d’un chapeau fleuri et une gigantesque canne enrubannée – franchissait le vaste vestibule. Pauline et Belmont se précipitèrent au-devant de celle-ci tandis que Cynthia achevait sa descente au milieu des applaudissements. On entendit alors la voix perchée d’Ava déclarer :

— Depuis quand se préoccupe-t-on d’une vulgaire favorite quand la Reine arrive ?

John-Augustus bafouilla quelque chose que l’on n’entendit pas : les applaudissements se retournaient de son côté et force était à la Pompadour de faire un saut dans l’Histoire en venant saluer une souveraine qu’elle n’avait pas eu l’honneur de connaître ; on est maîtresse de maison ou on ne l’est pas… Ces dames gagnèrent ensemble le grand salon où sur une tribune l’orchestre attaquait la première danse. Tandis que Belmont – politesse oblige ! – ouvrait le bal avec Ava, Aldo s’inclina devant Pauline :

— Me ferez-vous l’honneur, baronne ?

— Volontiers, mon cher prince…

C’était un plaisir que s’accordait Aldo dans un bal qui l’ennuyait plutôt. Sur le bateau Pauline et lui avaient dansé plusieurs fois ensemble et leurs pas s’accordaient bien. Elle était souple et légère à la fois tout en dégageant un charme auquel, ce soir, il s’avouait sensible. C’était peut-être ce costume ou ce parfum discrètement ambré qu’il ne lui connaissait pas… D’habitude elle usait d’un parfum qui lui était connu, « Arpège » de Lanvin que Lisa avait porté un moment mais ce soir c’était différent. Plus oriental ? Diablement sensuel en tout cas et il lui en fit compliment :

— Je pourrai avoir envie de vous séduire ce soir ? murmura-t-elle en se serrant un peu plus contre lui. Et ne me parlez pas de Vauxbrun ! C’est ainsi ! ajouta-t-elle avec irritation.

— Pourquoi ce soir ?

— Parce que je regrette d’avoir invité Ricci et compagnie pour vous faire plaisir. Ils… ils me font peur !

— Peur à vous qui ne craignez ni Dieu ni Diable ?

— Où avez-vous pris ça ? Je crains Dieu et je redoute le Diable. Or j’ai l’impression qu’il vient d’entrer dans cette maison. Peut-être en double exemplaire parce que la douce fiancée ne me plaît guère plus que ce vilain prédateur. Qu’avez-vous l’intention de faire ?

— Dans l’immédiat ? Inviter Miss Forsythe à danser. Elle ne m’a pas encore aperçu et je compte d’abord sur l’effet de surprise. En outre il faut que j’essaie de la détourner de ce mariage…

— Si elle ne vaut pas plus cher que lui, laissez-les donc s’entretuer ! Vous y tenez à ce point ?

— C’est Adalbert qui y tenait et vous dites des sottises ! Je suis venu pour régler un compte avec Ricci et mettre un terme à ses méfaits. Il se trouve qu’il s’agit de cette fille mais j’en ferais autant pour n’importe quelle autre !

— Elle est trop belle pour ma paix intérieure !

— Pas pour la mienne ! Ne vous tourmentez pas !

Rapprochant leurs visages, il posa un baiser léger sur la tempe de Pauline. La danse s’achevait. Il prit sa main pour l’emmener vers l’un des buffets où le champagne coulait à flots.

— Venez boire une coupe ! Cela sera salutaire à tous les deux…

Elle le quitta ensuite, entraînée par une imposante copie de Louis XIV – « Encore un, pensa Aldo, qui ne sait pas lire les chiffres romains ! » – qui prétendait l’entretenir d’une affaire importante. Aldo regarda autour de lui, cherchant Ricci et sa compagne. Ce n’était pas facile. La fête démarrait agréablement. Entre les pauses de l’orchestre, le brouhaha des conversations s’élevait coupé de rires et de l’entrechoquement cristallin des verres. Il finit par les apercevoir assis sous une cascade de roses au milieu d’un groupe formé par les Schwob et trois autres personnes dont il ignorait tout puisque à Newport il ne connaissait pas grand monde. Ricci parlait d’abondance en faisant beaucoup de gestes mais la fiancée donnait l’impression de s’ennuyer à mourir. Elle concentrait son attention sur le gros diamant qu’elle portait à l’annulaire et qui devait être sa bague de fiançailles. L’orchestre entamait un boston quand Aldo fonça droit sur le groupe, s’inclina :

— Puis-je avoir la faveur de cette danse, Mademoiselle ?… Vous permettez, Monsieur ? ajouta-t-il en se détournant à peine vers Aloysius Cesare.

Ce disant, il tendait une main gantée pour que « Mary » y mît la sienne. Ce qu’elle fit presque sans hésiter. La surprise la fit rougir et arrondit ses beaux yeux. Elle se levait quand Ricci, l’œil mauvais, intervint :

— Qui êtes-vous, Monsieur ?

Aldo lui offrit son sourire le plus impertinent :

— Nous nous connaissons voyons ! Le déjeuner place Vendôme avec Boldini et votre…

— Ah oui ! s’écria-t-il en plaquant un vague rictus sur son visage et, soudain volubile : Je ne vous ai pas oublié mais quand on ne s’attend pas à quelqu’un ? Ainsi vous voilà de l’autre côté de l’Atlantique ? Puis sans attendre une réponse évidente, il ajouta « Mary dear, je vous présente le prince Mosorini, de… Venise. Je crois même l’avoir invité à visiter mes collections. »

— Morosini ! rectifia l’intéressé persuadé que l’autre l’avait fait exprès. Et j’ai eu alors le regret de refuser. Quant à Miss Forsythe, je me souviens de l’avoir croisée, à Londres, il y a trois ou quatre ans. C’était au British Museum.