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Aldo ne sut jamais comment la bouche de Pauline rencontra la sienne et s’y mêla, comment ses bras à lui se refermèrent sur elle et l’incrustèrent contre lui. Peut-être avait-il trop bu ou bien était-ce le charme de cette apparence exotique mais il eut d’elle, soudain, une envie brutale, violente à la limite de la douleur. Elle le sentit. Son baiser se fit plus profond cependant que son bassin s’appuyait plus étroitement et se mettait à bouger doucement…

L’instant suivant, Aldo et Pauline faisaient l’amour sur le tapis de la bibliothèque. Dans un ultime sursaut de lucidité, Aldo avait pris le temps de refermer les fenêtres et la porte…

TROISIÈME PARTIE

LE MINOTAURE

CHAPITRE XII

UN PALAIS TRUQUÉ

— Pardonnez-moi, murmura Aldo, je me suis conduit comme un soudard !

Il n’osait plus à présent regarder Pauline mais son rire lui parvint, doux, roucoulant comme un chant de tourterelle amoureuse mais avec une pointe de gaieté.

— Peut-être parce que je me suis conduite comme une fille qui a envie d’un homme… Ne faites pas cette tête-là, Aldo ! Croirait-on pas que nous sommes en route pour la damnation éternelle et que vous avez honte ?

— Mais j’ai honte…

Il chercha nerveusement son étui à cigarette dans les basques juponnantes d’une veste de satin dont il n’avait pas l’habitude.

— Pourquoi, mon Dieu ? À cause de… votre femme ?

— Un peu, oui… sans doute mais ce n’est pas le principal. Je pense que c’est surtout à cause de Vauxbrun. Il vous aime et…

— … et moi je l’aime bien mais pas comme ça ! Et je ne suis pas sa propriété…

— Quoi qu’il en soit j’ai trahi sa confiance… et abusé de l’hospitalité de votre frère !

— Je suis chez moi autant que lui et cette baraque en a vu d’autres. Quittez cette mine de naufragé et regardez-moi !

Il obéit et son visage crispé se détendit. Dans la lumière rose du matin elle était magnifique. La somptueuse coiffure d’orchidées, d’améthystes, de perles et d’or gisait sous un meuble comme la balle oubliée d’un chien. Ses cheveux noirs et lustrés glissaient jusqu’à ses reins et, dans sa longue robe chatoyante pudiquement refermée, elle avait l’air très jeune, très vulnérable aussi. Au regard assombri d’Aldo, elle répondit par un sourire et s’appro­cha de lui mais en observant une distance. Puis elle parla et sa voix basse, feutrée, charnelle reconstituait l’intimité interrompue :

— Dis-moi seulement si tu as été heureux ? Moi je l’ai été au-delà de toute espérance. Jamais un homme ne m’a aimée de la sorte et pourtant nous n’avons eu que peu d’instants…

— Moi aussi j’ai été… plus qu’heureux, avoua-t-il encore secoué par la violence de sa jouissance, mais il faudra que cela nous suffise ! Nous avons succombé à la magie d’une nuit de fête, à ces costumes qui ont fait de nous des êtres différents… Il faut réintégrer le XXe siècle !…

— Chasser Don Juan et l’impératrice de Chine ? Refermer le livre des Mille et Une Nuits quand nous n’en avons même pas lu un chapitre ? Dommage !… C’est vous bien sûr qui avez raison mais la raison et nous autres les Belmont n’ont jamais beaucoup cohabité.

Elle alla ramasser la tiare fleurie et se dirigea vers la porte :

— Je vais essayer de dormir un peu dans l’espoir qu’au réveil il me semblera que j’ai rêvé ! Je vous en souhaite autant, mon cher prince !

— J’aimerais y parvenir. Ce sera je le crains difficile.

Elle tourna à peine la tête et il ne vit qu’un profil perdu dont il ne put lire l’expression :

— Merci, dit-elle.

Aldo dormit cependant et comme une bûche au point de ne pas entendre la cloche du lunch mais il en fut de même pour les autres et la table ne fut desservie que lorsque vint le moment de préparer le thé, le mode de vie à l’anglaise ayant perduré dans les anciennes colonies de la côte nord-est des États-Unis. Encore ne remporta-t-il pas, ce jour-là, un franc succès. Ni Pauline ni sa belle-sœur ne parurent. Seuls John-Augustus et Adalbert qui étaient allés se baigner vinrent y faire honneur. Quant à Aldo, il était allé nager lui aussi pour se remettre les idées en place mais, n’aimant pas le thé, il avait en sortant de l’eau emprunté une bicyclette pour filer à la White Horse Tavern où il avait bu deux ou trois tasses de café accompagnées d’autant de cigarettes mais sans échanger avec Ted autre chose qu’un salut : il y avait un monde fou et le personnel était débordé. Ce qui lui valut une relative tranquillité en vertu du vieil adage proclamant que l’on n’est jamais aussi seul qu’au milieu d’une foule.

Son aventure du matin le laissait perplexe. S’il continuait à se sentir coupable, il n’arrivait pas à la regretter. Même pour lui que bien des femmes avaient aimé et qui, à deux reprises au moins, avait connu la passion. Avec Pauline il avait atteint l’éblouissement absolu et le sentiment d’amitié qu’il lui portait n’avait rien à voir avec l’Amour. Le sien appartenait toujours à Lisa et sans le moindre partage : il l’aimait avec sa chair autant qu’avec son cœur mais le corps de Pauline recelait un charme capiteux dont il fallait apprendre à se méfier. C’était comme un sortilège que n’expliquaient ni la douceur de sa peau ni la splendeur de sa beauté épanouie… ni une science certaine de l’amour. Elle était de ces femmes rares pour qui un homme pouvait tout quitter – même la vie ! – sans éprouver pour elles la moindre tendresse. Or jusque-là il lui avait voué une sorte d’affection fraternelle née de la reconnaissance et de l’estime. Conclusion : il était urgent de rentrer en Europe donc d’en finir avec l’affaire Ricci ! Grâce à Dieu le mariage aurait lieu dans trois jours ! Il devrait posséder suffisamment d’empire sur lui-même pour se tenir convenablement jusque-là…

En la revoyant au dîner, il éprouva une émotion inattendue qui lui fit l’effet d’une sonnette d’alarme. Elle portait une simple robe du soir en crêpe blanc dont la coupe asymétrique dévoilait les jambes pour s’achever derrière en une courte traîne. De même, si le corsage montait jusqu’au cou, retenu par un collier étincelant et restait vague sur la poitrine, il laissait le dos nu jusqu’aux reins.

Aldo eut l’impression désagréable qu’elle ne portait rien sous son crêpe et que si le lien de strass se dénouait Pauline apparaîtrait aussi nue qu’Eve au premier matin. John-Augustus, lui, en resta pantois :

— Chez qui allez-vous danser dans cette tenue ? Vous allez provoquer une révolution !

— Chez personne mais il fait chaud ce soir et j’ai eu envie de porter cette robe que je n’ai pas encore mise pour mon seul plaisir ! Peut-être aussi pour juger de son effet avant de la produire ailleurs.

— Vous êtes… superbe ! lâcha Adalbert sincère.

— Possible ! ronchonna Belmont mais si vous ne voulez pas que la meute des douairières se jette sur vous tous crocs dehors, je vous conseille de la garder pour les veillées au coin du feu… avec peut-être une petite laine par-dessus ? Nous autres les Belmont sommes sensibles des bronches.

— À qui le ferez-vous croire, vous qui trempez dans l’eau froide à longueur de journée ? N’importe, vous n’y connaissez rien. Cette robe est à la dernière mode. Demandez plutôt à Cynthia !…

— On ne la verra pas avant après-demain : elle cuve !

— … ou à nos amis ! Voyons, messieurs, lequel de vous aurait l’audace – puisque apparemment audace il y a ! – de m’accompagner à une soirée quelconque ou au Yacht Club ?

— Moi ! s’écria Adalbert. Et avec le plus vif plaisir !

— Et vous Aldo ? M’emmèneriez-vous danser ?

Son regard souriant le défiait. Il imaginait trop bien comment s’achèverait ce genre de sortie et toussota avant de répondre par crainte de faire entendre une voix enrouée. Cependant son œil en train de virer au vert apprenait à Pauline qu’il goûtait peu son effronterie :

— Adalbert est célibataire, lui, et accompagner une sirène… Vénus en personne serait pour lui un vrai triomphe… qu’un père de famille ne saurait revendiquer.