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Pauline eut un petit rire nerveux :

— Vénus ? Est-ce un compliment ? Dans quelle pièce votre Racine parle-t-il de « Vénus tout entière à sa proie attachée ? »

— Phèdre, baronne !… Une femme malheureuse que l’amour mena à sa perte… et à qui vous ne ressemblez absolument pas !

— Voilà ! conclut John-Augustus avec satisfaction. Et maintenant on va dîner j’espère ? Qu’est-ce que Beddoes fabrique avec sa cloche ?

Ledit Beddoes entrait précisément à cet instant portant sur un plateau d’argent une lettre qu’il vint offrir à Morosini :

— Pour Son Excellence !

— Il y a une réponse ?

— Pas que je sache. Le messager est reparti !

Du regard, Aldo interrogea ses hôtes.

— Vous permettez ?

— Mais on vous en prie, cher ami ! fit Belmont. Il y a là un léger parfum de mystère qui me fait griller de curiosité !

Le texte était courtois mais bref. Aloysius C. Ricci invitait le prince Morosini à venir lui rendre visite le lendemain vers trois heures de l’après-midi. Il enverrait sa voiture le chercher…

La réaction de Pauline fut immédiate :

— Vous n’allez pas vous y rendre, j’espère ?

Elle avait presque crié puis, se rendant compte de la surprise des autres, elle ajouta, aussitôt :

— On n’accepte pas une invitation formulée de façon si cavalière. Et sans même attendre de réponse. Cela ressemble trop à une convocation !

— Sur ce point je partagerais son avis, appuya Belmont. C’est d’un sans-gêne !

Aldo en convint avec bonne humeur :

— On ne peut attendre d’un tel homme que le code du Savoir-Vivre soit son livre de chevet. Je me rendrai cependant à son invitation : il y a trop longtemps que j’ai envie de jeter un coup d’œil à son palazzo !

— J’irai avec toi, décida Adalbert. Ce type doit bien savoir que nous sommes inséparables ?

— Il est très capable de refuser de vous recevoir, dit Pauline.

— En ce cas je resterai dehors. J’attendrai ! fit-il avec philosophie. Ne vous tourmentez pas, baronne ! Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait arriver à Morosini après une invitation, peu protocolaire sans doute, mais trop publique pour cacher un piège…

On passa à table avaler un dîner froid servi rapidement à la demande de John-Augustus conscient de la fatigue de ses serviteurs et désireux de les envoyer se coucher de bonne heure. Cynthia était restée invisible… et silencieuse : soucieuse de la perfection de son teint, elle s’octroyait une cure de sommeil de quarante-huit heures.

Pauline remonta chez elle une fois la dernière bouchée avalée laissant les trois hommes prendre leur café sur la terrasse en regardant mourir le jour après un sublime coucher de soleil et en fumant un cigare. C’est alors que reparut Beddoes : il venait annoncer à Morosini qu’une femme demandait à lui parler en privé. En même temps il lui remettait un billet simplement plié mais cacheté qui disait :

« Je vous envoie Brownie, ma femme de chambre. Écoutez-la c’est extrêmement important ! Hilary. »

Le message alla rejoindre celui de Ricci dans la poche d’Aldo qui suivit le maître d’hôtel dans le vestibule. Une femme en effet l’y attendait vêtue et chapeautée de noir comme il convenait à une camériste de bonne maison mais qui devait être une sportive car elle avait les épaules larges pour une femme et semblait vigoureuse. Sous le rebord du chapeau le visage aux traits nets, dégagé des cheveux tirés en chignon dans le cou, n’était pas sans beauté.

— Puis-je parler sans crainte d’être entendue ? demanda-t-elle. Ma maîtresse y tient beaucoup !

De la main, Morosini indiqua le buste romain qui était le plus proche de la porte et le plus loin de l’escalier :

— Voulez-vous ici ?

Elle approuva de la tête puis sans perdre de temps, déclara que Miss Hilary désirait le ren­contrer le lendemain :

— Monsieur Ricci restera toute la journée au Palazzo pour les préparatifs du mariage. Elle a l’intention de se rendre à la Newport Historical Society. Si vous en êtes d’accord, elle vous attendra à trois heures devant la Touro Synagogue qui est en face ? Si vous acceptez, vous devrez être très exact…

— Je suis toujours exact mais trois heures ne m’arrangent pas. J’ai un rendez-vous à cette heure-là !

— Déplacez-le ! Ou alors dites que vous serez en retard. Miss Mary prend de gros risques en vous accordant ce rendez-vous qui d’ailleurs sera bref. Elle se sent épiée sinon elle serait venue elle-même.

La femme de chambre semblait réellement inquiète. Aldo la rassura aussitôt :

— Ne vous tourmentez pas et dites à Miss Mary qu’elle peut compter sur moi.

Brownie salua et franchit le seuil de la porte. Aldo l’y suivit et put la voir rejoindre une démocratique bicyclette qu’elle enfourcha sans perdre un pouce de dignité. Du haut des marches, il regarda le petit feu rouge arrière se perdre dans le crépuscule violet.

Quand il retourna sur la terrasse il n’y avait plus personne. Belmont et Adalbert étaient allés faire un tour dans le parc. Grâce à leurs cigares il les aperçut mais renonça à les rejoindre et remonta dans sa chambre où il s’étendit sur son lit sans enlever ses vêtements. Au fond ces deux rendez-vous ne le contrariaient pas. D’abord, il était satisfait qu’Hilary ait enfin décidé de s’entendre avec lui. En outre, il n’était pas mécontent de donner à son fiancé une leçon de politesse. Ou bien la voiture de Ricci attendrait son retour, ou bien on lui donnerait un autre rendez-vous.

Un moment plus tard, quelques coups légers furent frappés à sa porte et Vidal-Pellicorne entra :

— Tu dors tout habillé à présent ?

— Non. J’avais besoin de réfléchir.

— C’est indiscret de te demander qui est venu te voir tout à l’heure ?

— Une certaine Brownie, la femme de chambre d’Hilary ! Elle venait me donner rendez-vous avec sa maîtresse demain à trois heures.

— À trois heures ? Tu as été obligé de refuser ?

— Tu es fou ?

— Mais alors Ricci ?

— La voiture sera priée de m’attendre ou repartira sans moi. Dans un sens je préfère. Sauf à l’armée je n’ai jamais supporté les ordres.

— Tu n’as pas entièrement tort. Allons voir Hilary ! J’avoue que ça m’amusera.

— Désolé j’y vais seul. Brownie a insisté sur ce point. Elle ne veut voir que moi et je t’en demande pardon au cas où cela déplairait à tes souvenirs. Peut-être craint-elle de retomber sous ton charme fatal ?

— Ou elle a peur de constater que je l’ai oubliée ! Les femmes n’aiment pas…

— Comme l’entretien sera court, elle doit plutôt penser qu’on se fait moins remarquer à deux qu’à trois. Mais au fait, l’as-tu vraiment oubliée ?

— En vertu du vieil adage qu’un clou chasse l’autre ? C’est oui. Ce mariage désespérait tellement Théobald.

— Penses-tu qu’un autre l’aurait moins touché ?

— Il n’a jamais été question de mariage entre Alice et moi, sinon sur le plan mystique. Elle est toujours en puissance de mari… et je l’aurais quittée. Sur le plan sentimental, elle ne sait pas ce qu’elle veut.

— Elle avait pourtant l’air de tenir à toi ?

— Oui mais elle tenait encore à Obolensky, son mari russe, quand un nouveau personnage a fait son apparition pendant que nous étions à New York : un écrivain allemand nommé Hofmannsthal…

— Hugo von Hofmannsthal ? Le poète. Il ne doit plus être très frais…

— Non, Raimund, son fils ! Qui a l’art de se servir des œuvres paternelles. Les derniers temps Alice en déclamait à longueur de journée. Seulement moi je continuais à lui être utile à cause de l’Égypte.

Aldo qui s’était assis sur son lit depuis un moment et avait offert à son ami une place auprès de lui, passa autour de ses épaules un bras fraternel :

— Tâche de l’oublier celle-là aussi et dis-toi que tu n’as pas fini de rencontrer de jolies femmes qui te mèneront par le bout du nez !…