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— Vous la reconnaissez ? On vous a vu lui parler…

— En effet mais que fait-elle là ?

— Elle avait découvert l’entrée de notre souterrain alors on le lui a fait visiter de plus près.

— Et que voulez-vous en faire ?

— La tuer évidemment mais plus tard. Le patron pense qu’elle peut nous rendre des services. Comme par exemple vous obliger à faire ce qu’on vous demande.

— Si de toute façon elle est condamnée, que j’accepte ou non n’a pas d’importance…

— Pour elle si ! Parce que si vous ne faites pas ce qu’on vous dit, je lui loge une balle dans le corps. Là où ça fait mal mais ne rétame pas. Dans le ventre par exemple ?… Si vous avez envie de l’entendre gueuler pendant des heures et des heures…

Il n’y avait pas à se tromper sur la détermination du sbire. Il était de ceux qui aiment voir souffrir les autres… Le cœur au bord des lèvres Aldo capitula :

— Que faut-il écrire ?

— On va vous le dire.

Ramené dans sa prison, on lui tendit un papier où il put lire : « Ne vous inquiétez pas. Nous avons vraiment besoin d’aide et je fais un saut à New York pour en chercher. Je reviendrai très vite. A. »

Sans émettre de protestations qui auraient été inutiles, il transcrivit le court texte sur le bloc puis traça sur une enveloppe le nom et l’adresse momentanée d’Adalbert, mit le papier dans l’enveloppe, referma et remit le tout à son geôlier mais celui-ci n’en avait pas encore fini avec ses exigences :

— Maintenant déshabillez-vous !

— Que je…

— Oui et plus vite que ça ! Vous mettrez ça à la place.

« Ça » c’était un bleu de mécanicien qui par chance était propre. Il n’était pas difficile de deviner pourquoi on lui demandait ses vêtements : quelqu’un les revêtirait et coifferait son chapeau resté dans la camionnette pour aller prendre ostensiblement le ferry. Il s’exécuta.

— Vous devriez peut-être donner un coup de fer au pantalon, conseilla-t-il narquois. Le transport l’a un peu froissé et si vous avez besoin de retouches adressez-vous à mon tailleur : Neville Atkins, dans Saville Row à Londres…

— Vous inquiétez pas, on vous rendra vos frusques quand on vous fera passer à l’état de cadavre.

— Ah tant mieux ! Nous autres Morosini avons toujours eu pour habitude de soigner notre apparence.

— Oh ça va ! Fermez-la ! Tâchez de dormir, tiens ! C’est terminé pour aujourd’hui ! Demain on vous apportera à manger.

— Seulement demain ? Votre hôtel n’est vraiment pas à recommander !

— Le pain est frais, l’eau aussi et une diète ne vous fera pas de mal.

Resté seul en compagnie de la lanterne qu’on lui avait laissée, à son soulagement, Aldo alla s’étendre sur son matelas de paille après s’être enveloppé dans la couverture qu’il aurait souhaitée plus épaisse. Depuis son retour de la guerre il était sensible au froid et à l’humidité. Ce caveau était relativement sec mais il y régnait une fraîcheur dont son « bleu » était insuffisant à le protéger. Avec ce morceau de laine usagée cela allait mieux et, roulé en boule sur lui-même il s’efforça de réfléchir en privilégiant autant que possible les pensées positives. Ce qui n’était pas facile, les mesures de l’ennemi étant soigneusement prises. Pourtant il ne perdait pas tout espoir qu’on le sût en difficultés. Adalbert se demanderait sûrement pour quelle raison il ne le tutoyait plus et pourquoi son noble nom de Pellicorne était soudain orthographié par son meilleur ami avec un seul l !…

Médiocrement réchauffé, il mangea son pain, but de l’eau, alla examiner attentivement le système de fermeture de sa grille, une énorme serrure contre laquelle il ne pouvait rien : avec ce qu’on lui avait pris, il y avait son portefeuille, son mouchoir, son couteau suisse et son étui à cigarettes. Au fond c’était ce dernier qu’il regrettait le plus non parce qu’il était en or frappé à ses armes et que sans doute il ne le reverrait jamais mais à cause des petits rouleaux de tabac fin qui, dans les instants de crise, s’ils lui jaunissaient les doigts, savaient aussi l’apaiser et l’aider à penser. Au bout d’un moment n’ayant rien de mieux à faire, il choisit de s’endormir. C’était la seule chose intelligente puisque au moins elle préserverait ses forces…

Il dormit même si profondément que son geôlier dut le secouer pour le réveiller :

— Buvez ! grogna celui-ci en lui tendant un bol de thé.

Aldo n’aimait ni le thé ni cette manie anglaise implantée aux U. S. A. qui consistait à vous en faire avaler quasiment de force l’œil à peine ouvert, mais c’était chaud, sucré et tout compte fait réconfortant. Après quoi on lui remit les menottes et on l’emmena, sans lui bander les yeux. Il en fut satisfait parce que cela lui permit de découvrir l’ampleur du souterrain qui devait s’étendre en long et en large sur une vaste superficie. Tous les dix mètres environ il y avait des intersections, des pièces obscures dans lesquelles s’entassaient des caisses, des tonneaux, des paquets divers attestant que c’était là le centre d’un important trafic de contrebande. D’alcool bien sûr mais aussi de tabac, d’armes et de drogue. À certains passages l’odeur de l’opium s’imposait dominant les autres. Parfois une silhouette apparaissait coiffée d’un casque muni d’une lampe électrique semblable à ce qui coiffait son guide.

On marcha ainsi pendant plusieurs minutes jusqu’à ce que l’on parvienne à un escalier de fer en colimaçon grimpant à l’intérieur d’une sorte de puits rond éclairé de loin en loin celui-là par quelques lampes électriques. En haut le guide d’Aldo fit pivoter un morceau de muraille et Morosini stupéfait se crut revenu à Florence, au premier étage – en réduction ! – du Palais Pitti dans le vestibule commandant l’enfilade des salons précédant les appartements royaux. Salles de l’Iliade, de Saturne, de Jupiter, de Mars, d’Apollon et de Vénus décorées de tapisseries et de tableaux qu’il se souvenait y avoir vus et qu’il retrouvait dans cette île américaine ? C’était à n’y pas croire, c’était à devenir fou et cet étalage de richesses ne pouvait tromper longtemps son œil d’expert : tout ici était faux ! Les tapisseries de Sustermans n’étaient que des toiles peintes et les tableaux de simples copies mais à moins que Ricci n’eût à son service une armée d’esclaves, cela avait dû coûter une fortune. Même si certaines reproductions n’étaient pas fameuses. C’était saisissant, fastueux et l’illusion acceptable. D’autant plus que l’ensemble était meublé et le sol couvert d’une infinité de tapis venus des pays d’Orient et eux parfaitement authentiques. Morosini eut l’impression d’être dans un théâtre voulu par un mégalomane forcené pour y jouer de sanglantes tragédies.

Il découvrit Ricci dans la Salle des Perroquets assis devant une assez bonne copie de la duchesse d’Urbino par le Titien. À côté de lui une table de petit déjeuner était servie et l’odeur familière du café italien vint chatouiller agréablement ses narines cependant que son hôte forcé se levait pour l’accueillir :

— Sincèrement heureux de vous voir, mon cher prince ! Croyez que je regrette profondément d’avoir employé un moyen un peu radical pour avoir la joie de votre présence mais j’étais certain que vous n’accepteriez pas une invitation régulière. Les faits m’ont donné raison puisque vous aviez choisi de rejoindre ma fiancée de préférence à moi.

— C’est à votre demande qu’elle m’a donné ce rendez-vous en forme de piège ?

— Non je dirais même que c’est le contraire. L’idée vient d’elle. Mais asseyez-vous et prenons ensemble ce petit déjeuner.

Aldo s’assit et faillit refuser la seconde proposition mais ayant mangé la veille le pain de son ennemi, refuser son café eût été ridicule. Et il en avait besoin. Il accepta donc une tasse de son breuvage préféré puis une autre accompagnée de toasts beurrés tandis que Ricci, sans plus sonner mot, entreprenait de faire disparaître ce qu’il y avait sur la table. Il dévora littéralement sous l’œil vaguement dégoûté de son invité forcé qui à cet instant aurait vendu son âme pour une cigarette. Mais soudain, Ricci fouilla dans sa poche et lui tendit par dessus la table l’étui d’or dont il était en train de rêver :