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Ricci se figea dardant sur Morosini un regard où celui-ci lut un doute, une hésitation puis lâcha :

— N’importe ! Vous ne vivrez pas assez longtemps pour trahir le secret des Ricci ! Venez !

Négligeant la menace, Aldo le suivit avec empressement.

Une demi-heure plus tard il était de retour dans son cachot et alla s’asseoir sur son matelas, si pâle que l’impassible Crespo qui le ramenait le remarqua :

— Dites donc, vous n’avez pas l’air d’être dans votre assiette ? Qu’est-ce qu’il vous a fait le patron ?

Et comme Morosini ne répondait pas, il ajouta :

— J’vais vous chercher un coup de grappa, ça vous remettra en attendant qu’j’apporte le lunch !

— Je n’ai pas faim !

— J’apporterai ! Le patron veut qu’vous soyez en forme pour ses noces…

Il s’éclipsa un court moment puis revint avec une bouteille enveloppée de roseau tressé et d’un verre qu’il remplit :

— Avalez !

Aldo but d’un trait, rendit le verre que Crespo plaça sur la table avec la bouteille à côté de la lanterne :

— J’vous la laisse en cas de besoin. Une bonne cuite des fois ça soulage !

Du fond de l’espèce de stupeur où il était plongé, Aldo réagit :

— Vous feriez mieux d’en porter à Betty Bascombe. Elle en a besoin plus que moi !… Elle est toujours là au moins ?

— Sûr qu’elle est là ! Elle peut encore servir et elle ne va pas si mal. On lui a même ôté ses cordes et on lui donne à manger. Elle vous intéresse à ce point ?

Aldo se contenta de hausser les épaules. Toutes les femmes que l’on tourmentait avaient droit à sa sollicitude, à sa compassion. Y compris cette Hilary que cependant il détestait. Traîtresse, cupide et sans scrupules, prête à tuer pour assouvir sa passion de richesse, il en venait à éprouver pour elle de la pitié car même si, comme elle l’assurait, ses « dispositions étaient prises », elle ne pouvait pas s’attendre à l’abomination qu’elle allait devoir subir et que nul n’avait le droit d’infliger à une femme !

La journée se passa pour Aldo à essayer d’échafauder un plan pour la tirer de ce pétrin et s’en tirer lui-même puisque leurs destins étaient liés. On le destinait à assumer le rôle qui avait mené Peter Bascombe à la potence : celui de l’assassin sadique… C’était à devenir fou. Et que faire pour en sortir ? Il avait si peu de temps devant lui ! Son esprit se tourna vers Adalbert. Il devait avoir reçu sa lettre mais en avait-il tiré les conséquences espérées ? Était-il en train de préparer quelque chose ?

Pour la paix de son âme il valait mieux qu’il ignore le sort du message : remis à Hilary, celle-ci avait immédiatement décelé les légères anomalies, et étant aussi bonne faussaire que voleuse habile, elle n’avait eu aucune peine à la recopier en imitant parfaitement l’écriture d’Aldo et en rajoutant une ou deux phrases lénitives après quoi sa fidèle Brownie était partie la porter à Belmont Castle…

N’en sachant rien, Aldo cherchait fébrilement des raisons d’espérer. Il était sûr qu’Adalbert remuerait ciel et terre pour le retrouver avec l’aide sans aucun doute de Pauline et même de Belmont… Cette pensée consolante finit par l’emporter sur l’angoisse, et après avoir fait honneur au plateau qu’on lui apportait, il chercha du repos dans le sommeil. À n’importe quel prix il lui fallait conserver ses forces en vue de ce qui allait venir…

Un bruit, léger cependant, l’éveilla.

Instantanément il vint à la grille. Son oreille fine ne l’avait pas trompé quelqu’un approchait. Quelqu’un qui marchait à pas de loup sans doute avec des semelles de caoutchouc mais la terre du souterrain crissait un peu sous ses pieds. Puis il y eut un mince pinceau lumineux : celui d’une lampe de poche qui s’éteignit, se ralluma et, du même coup, fit battre plus vite le cœur d’Aldo. Pour prendre tant de précautions, il ne devait pas s’agir d’un des hommes de Ricci… Et brusquement la lumière fut sur lui, s’y fixa tandis que lui parvenait une exclamation étouffée. Le porteur de la lampe se précipita vers lui :

— Mais qu’est-ce que vous faites là ? chuchota une voix qui lui parut féminine… mais dont l’obscurité ambiante l’empêchait de distinguer la propriétaire.

Du coup il alla chercher sa lanterne et revint à la grille pour découvrir un jeune visage qui avait l’air suspendu dans la nuit parce que le reste du personnage, tout de noir vêtu à la manière d’un rat d’hôtel, se fondait dans l’obscurité. Cependant la boucle qui dépassait de l’étroit camail noir et la petite figure ronde appartenaient bel et bien à Nelly Parker, la journaliste du New-Yorker.

— C’est à vous qu’il faudrait le demander ? Vous êtes la dernière personne que je m’attendais à voir. Vous m’avez suivi jusqu’ici ?

— D’abord, oui. En arrivant à Newport j’ai trouvé une chambre presque en face de la vôtre, j’ai loué une bicyclette et je vous ai suivi à peu près partout.

— Comment avez-vous fait pour que je ne m’en aperçoive pas ? Vous avez le don de vous rendre invisible ?

— Un don plus répandu que vous ne le pensez : il suffit de s’arranger pour ressembler à n’importe qui. Vous pourriez y arriver en vous donnant un peu de mal et en laissant tomber vos grands airs !

— Moi, j’ai des grands airs ?

— Disons que… vous avez grand air naturellement, là ! Même à vélo, ce qui m’a simplifié le travail. C’est en vous suivant que j’ai rencontré Betty Bascombe et que j’ai réussi à devenir son amie.

— Félicitations ! Ce n’est pas donné à tout le monde !

— C’est vrai et ça ne s’est pas fait en cinq minutes mais en la rencontrant je me suis souvenue de l’affaire Bascombe qui avait secoué la région. Faut dire que je suis un peu du pays : j’ai une tante à Narragansett. Ça m’a aidée mais je me suis quand même donné du mal parce que c’est une femme extraordinaire… passionnante. Plus que vous et vos mondanités !

— Si je comprends, vous avez cessé de vous occuper de moi ? fit Aldo un peu vexé.

— Oui ! Le drame quelle a vécu, sa haine pour Ricci, la vengeance qu’elle a jurée, c’est autre chose que des histoires de bijoux. Alors je me suis consacrée à elle et, comme elle a disparu depuis trois jours, je la recherche. J’ai cru d’abord qu’elle était partie avec son bateau et qu’elle était restée sur le continent ainsi qu’elle le fait de temps en temps mais jamais aussi longtemps ! Alors cette nuit j’ai décidé d’explorer le souterrain.

— Vous en avez trouvé l’entrée ?

— Betty m’a montré l’entrée et surtout le mécanisme qui permet de faire glisser un rocher.

— Vous aviez vraiment gagné sa confiance. En tout cas vous avez misé juste : elle est enfermée dans une cage semblable à celle-ci après le coude que fait la galerie. Allez-y ! Vous verrez…

— J’y vais… mais je reviens ! Vous devez avoir des choses à me dire !

— Vous feriez mieux d’essayer de nous tirer de là tous les deux ! Les parlottes je commence à en avoir assez !

— Il y a un temps pour tout ! Je reviens, vous dis-je ! Allez remettre votre lanterne en place…

Les ténèbres l’engloutirent comme un fantôme. Son absence parut durer une éternité à Morosini cramponné à sa grille en priant Dieu pour que la jeune Nelly ne se fasse pas repérer parce qu’elle était leur seule chance, à Betty et à lui, de sortir vivants de ce piège ! Encore faudrait-il trouver un moyen d’ouvrir ces maudites grilles.

Quand elle revint, sa figure s’était assombrie.

— Il lui est arrivé quelque chose ? demanda-t-il inquiet.

— Non. Elle va même plutôt bien. Elle m’a dit ce que vous aviez fait pour elle et elle vous en remercie…

— Bon, eh bien à présent il faudrait peut-être songer à nous tirer d’ici ? Vous n’avez pas apporté de quoi ouvrir cette ferraille ?

Elle haussa les épaules avec un petit rire :

— La traditionnelle lime du prisonnier ? Vous avez vu l’épaisseur des barreaux ? On enfermait les esclaves là-dedans jadis et comme ils étaient parfois nombreux, il fallait s’en protéger. Betty veut que je lui apporte de la dynamite…