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Lorsqu’il ne les entendit plus, il décida de descendre rejoindre Chiva. Il ne devait pas être loin de minuit et aucune voiture de sport ne passerait avant le lendemain.

— Que viens-tu faire ici ? dit Chiva.

— C’est fini pour ce soir.

— Remonte.

— Maintenant ?

— Ils arrivent. Je le sens. Un belle voiture de sport dans laquelle nous trouverons des milliers de pesetas.

Vergara sentit les cheveux de sa nuque se soulever. Les bonnes femmes disaient que les infirmes et les estropiés pouvaient pressentir les événements.

— Vite, dépêche-toi. Ils arrivent vite.

Il avait beau écouter, il n’entendait rien. Pourtant, il escalada à nouveau les trois paliers, traversant chaque fois la route en se baissant comme si on risquait de le voir. Et dès qu’il fut en place, il entendit le moteur.

Ce n’était pas un bourdonnement, mais un bruit qui ressemblait au ronronnement d’un fauve satisfait. La nuit elle-même perdit de sa beauté rustique, se fit plus fluide, plus délicate en quelque sorte. Troublé, Vergara crut sentir un parfum luxueux. Il se hissa un peu plus pour ne rien perdre de la voiture qui approchait.

La vitesse à laquelle le pilote prit le dernier virage avant de passer devant lui l’inquiéta. Celui ou celle qui conduisait connaissait son affaire, et ne lui laisserait que bien peu de temps pour redescendre mettre en place son installation.

— Ferrari, dit-il… France.

Puis il se laissa glisser, arriva sur la route alors que les phares inondaient le tournant plus haut.

« Jamais le temps », pensa-t-il avant de glisser comme un fou jusqu’au deuxième palier.

Il avait gagné un peu de temps, ce tournant-ci restant encore sombre. Une dernière plongée, et, sans un regard pour Chiva tapi dans l’ombre du buis, il fonça vers les pancartes, sut qu’il n’aurait pas le temps de placer celle indiquant travaux. Il se contenta des chevalets, des flèches, se rua dans la direction de Chiva pour éviter la grande clarté des phares. La Ferrari arrivait à près de quatre-vingts à l’heure, conduite de main de maître. Lorsque le pilote aperçut les chevalets, il freina légèrement, rétrograda et accéléra à nouveau en suivant les flèches indicatrices.

CHAPITRE V

Chiva lui tapota le bras et il réagit vivement.

— Tu t’endors ?

— Crevé. Si on s’arrêtait un peu ?

— Pas encore. Nous devons avoir parcouru deux cents kilomètres auparavant, et nous sommes loin du compte.

Vergara soupira. Dès qu’ils auraient trouvé un coin, il se jetterait sur sa paillasse et dormirait au moins dix heures. Comme pour lui donner du courage de tenir le coup, Chiva sortit la liasse des billets.

— Combien as-tu dit ?

Le cul-de-jatte se mit à rire.

— Tu le sais bien, mais c’est pour le plaisir de l’entendre encore une fois, hein ?

— Un chiffre pareil ! s’exclama Vergara.

Trente mille pesetas. Il y avait aussi de l’argent français. Des billets marqués cent. Au moins une vingtaine, mais je les ai laissés.

— Tu as aussi laissé des pesetas ?

— Hélas ! oui ! Près de six mille. Mais c’est plus prudent. La prochaine fois, je prendrai aussi de l’argent français. Nous l’échangerons facilement lorsque nous aurons meilleure apparence.

Vergara souriait.

— Bah ! la prochaine fois !… On vit un an avec trente mille pesetas et en ne se refusant rien.

— On vit un an ! Autrefois, nous aurions vécu un an. Maintenant, ce n’est plus la même chose, et nous recommençons dans une semaine. Il faut que d’ici à la fin des vacances, nous ayons récupéré au moins deux cent mille pesetas.

— Deux cent mille, s’étrangla Vergara, mais nous serons trop riches !

— Non. Ensuite, nous irons à Cadix et nous achèterons une boutique.

Vergara se gratta la tête.

— Pour vendre quoi ?

— Des oiseaux, des poissons, des petits animaux. Les Américains de la base de Rota nous les achèteront.

— Des animaux ? C’est une bonne idée, ça. Il y aura des tas d’oiseaux dans les volières qui chanteront toute la journée.

— Tu feras les livraisons et, moi, je surveillerai la boutique. Pour moi, on achètera un fauteuil roulant. Avec des roues caoutchoutées et du nickel partout.

À son volant, Vergara, en proie à une excitation joyeuse, trépigna d’impatience.

— On en fait même avec un petit moteur. Tu pourrais aller te promener dans la ville, aller passer une heure ou deux à la terrasse d’un café, et, pendant ce temps, je resterais à la boutique.

— Tu crois que je pourrais conduire une de ces voiturettes ?

— Et comment ! J’en ai vu la réclame sur un journal. Elles sont très pratiques et confortables. Avec une boutique qui communique avec le trottoir, tu peux aller et venir sans difficulté. Puis tu rejoins la rue et tu files. Par exemple, il te faudra faire attention aux feux rouges. Mais tu auras toutes les commandes sous la main. Il y a des places ombragées par les palmiers, à Cadix. Tu seras très bien là-dessous pour boire une bière bien fraîche.

Chiva essuya les larmes qui encombraient ses yeux.

— Nous serons des commerçants très honnêtes, délirait Vergara. On ne vendra pas les oiseaux à des prix excessifs sous prétexte que les Américains sont riches. Non, le juste prix. Nous entretiendrons des relations amicales avec les voisins. Le matin, très tôt, j’arroserai la boutique et le trottoir pour la fraîcheur. Juste en face, il y aura peut-être un petit bar pour aller prendre le café et deux croissants. En sortant, je dirai au garçon : mon associé va arriver. Préparez-lui son café au lait. Autant de lait que de café, c’est son goût. Pendant que je reviendrai au magasin, toi, tu traverseras la rue. Les oiseaux chanteront comme des perdus et Tico encore plus fort.

Chiva alluma deux cigarettes, lui en tendit une. Durant une minute ou deux, ils restèrent silencieux, fixant la nappe jaune de lumière qui flottait devant la camionnette.

— Nous pourrions faire changer le moteur. Le garagiste m’a dit qu’il nous ferait un prix.

— Plus tard. Et même, une fois à Cadix, nous la revendrons, et nous achèterons une petite voiture française plus confortable. Mais auparavant, il nous faut l’argent de la boutique.

— Bien, reconnut Vergara. Et où allons-nous ?

— Vers Linares. Nous ferons quelques achats, puis nous irons dans la montagne. Il y a un Parador dans le coin réservé aux étrangers. Nous n’aurons que l’embarras du choix. Une route difficile, à virages dangereux. Nous ne pouvions pas mieux trouver. Nous étudierons le terrain deux ou trois jours.

Vergara s’étonna :

— Pourquoi attendre si longtemps ?

— Au fur et à mesure, nous devons prendre des précautions de plus en plus grandes. Songes-y. Une voiture de touristes étrangers qui tombe dans un ravin, c’est triste ; deux, c’est encore plus triste ; mais trois cela devient troublant. Surtout si nous nous limitons aux voitures de sport.

— Je comprends. Il faut fignoler.

— Voilà. Trouver mieux. Là-haut, nous aurons tout le temps de réfléchir à nos projets.

— Tu crois que la clientèle des Paradores est très riche ?

— Non, familiale souvent, mais il y a toujours des exceptions, des excentriques. Et pour visiter le coin, il n’y a que ce Parador comme hôtel convenable.

— Dis-moi, dans la Ferrari, ils étaient deux. Un type brun et une fille ?

Chiva pinça ses lèvres.

— Tu ne m’as pas dit…