— Allons-y.
Il porta le panier jusqu’à l’emplacement repéré à l’avance, saisit la corde et donna une poussée avec le pied, tandis que Chiva s’écartait de la paroi des deux bras.
— Tu peux y aller. Vingt-cinq mètres, environ.
Le silence était revenu. Seules quelques pierres s’égrenaient encore et tintaient beaucoup plus bas contre la carrosserie. La femme ne criait plus.
— Je vois la voiture, cria Chiva.
Vergara laissait filer la corde, les deux jambes écartées, le buste rejeté en arrière. Rien de bien difficile. Il aurait supporté le double de poids. Jusqu’à présent, tout s’était bien passé, et ils n’avaient jamais eu d’ennuis. Le montant de l’argent trouvé dans les portefeuilles et les sacs à main approchait les cent mille pesetas, mais Chiva avait également récupéré quelques bijoux de grande valeur, des bagues et des bracelets, quelques transistors et plusieurs valises de vêtements luxueux qu’ils vendraient facilement dans les quartiers secrets de Grenade ou de Cordoue. Il y en avait pour au moins cent mille pesetas, disait Chiva. Encore un coup ou deux, et ils pourraient partir pour Cadix. Le coupé Mercedes allait rapporter entre trente et cinquante mille pesetas. Il commençait d’évaluer juste.
Une lueur extraordinaire monta soudain du ravin et il laissa filer un bon mètre de corde sous la surprise. En même temps, un ronflement suivit.
— Vergara !
Réalisant immédiatement, il tira frénétiquement sur la corde, ébloui par la clarté et abasourdi par le ronflement de l’incendie. La chaleur lui sauta au visage par bouffées brûlantes.
— Chiva !
— Ça va, mais fais vite. Le panier brûle.
Le réservoir avait dû exploser, et juste au moment où Chiva se trouvait à quelques mètres seulement de la voiture, pendu à son fil comme une araignée. En une seconde, Vergara se revit en train de promener la flamme d’une bougie sous une araignée, riant de la voir grimper à toute vitesse vers le plafond.
— Le fond va céder.
À la force du poignet, Chiva s’était hissé en partie au-dessus du panier. Vergara le saisit à deux mains, mais le panier, accroché aux jambes flottantes du pantalon suivit. Il dut le détacher à coups de pied, puis essayer d’étouffer les flammes.
— Porte moi dans la camionnette d’abord. Tu reviendras récupérer la corde. Pour le panier, tu le jetteras en bas. Nettoie ensuite toutes les traces.
Il insista :
— Le feu a pris en bas, tu comprends ? Il ne faut pas qu’on en découvre des traces en haut.
Vergara obéit, se servit de la lampe électrique pour nettoyer l’endroit.
— J’entends des voix plus haut, lui dit Chiva de la camionnette. Il faut partir.
Tendant l’oreille, il eut la certitude que plusieurs personnes descendaient vers eux par les raccourcis. Il courut à la camionnette, jeta la corde en vrac à l’arrière.
— Desserre les freins, ordonna-t-il à Chiva. Je vais pousser. Il ne faut pas qu’ils entendent le moteur.
Il sauta au volant en marche, colla son visage au pare-brise pour mieux y voir.
— S’agit pas de faire la cabriole à notre tour.
— Quelle poisse ! dit Chiva. Je suis sûr qu’il y en avait pour plus de cinquante mille, dans cette bagnole.
— Ça a pris d’un coup ?
— Je sentais bien une odeur d’essence. Et puis la carrosserie a glissé. Il y a du silex dans le coin. Le frottement a dû produire une étincelle. Tout s’est enflammé d’un coup. Comme si quelqu’un prenait une photographie au flash.
Vergara le regarda en coin.
— Une photo ?
— Ma première pensée… Mais bien sûr que non.
Il se retourna, observa la route.
— Tu peux mettre le moteur en route, si tu veux. Mais pas les phares. Je vois encore la lueur de l’incendie. Dans un kilomètre, tu prendras à gauche.
— À gauche ?
— Un chemin qui rejoint la route de Cordoue. Il faut éviter le patelin. Les secours vont monter et nous les croiserions.
Une fois dans le chemin, Vergara voulut allumer les phares.
— Pas encore. Sur la grande route, seulement.
— Nous rentrons chez nous ?
Depuis une semaine, ils vivaient dans leur trou de mine avec le butin ramassé dans les voitures. Lorsqu’ils déménageraient, la camionnette serait remplie à ras bord.
— Nous attendrons la fin juillet, disait Chiva. La circulation sera si importante qu’on ne fera pas attention à nous. On vendra une partie à Grenade et l’autre à Cordoue.
Ils rentrèrent sans encombre, et les buissons se refermèrent derrière la camionnette, masquant l’entrée de la mine. De la route, on ne pouvait se douter de leur présence et ils pouvaient même faire de la lumière.
— J’ai soif, dit Chiva.
Vergara alla chercher une bouteille d’apéritif et de l’eau fraîche. Il plaçait les bouteilles dans une vasque naturelle qui recevait les eaux d’écoulement. Tout au fond se trouvait le puits, communiquant avec une autre galerie qui ouvrait de l’autre côté de la montagne sur la vallée du rio Jandula.
— À la rigueur, si on nous attaquait, nous pourrions filer par-là, avait expliqué Vergara après une longue exploration jusqu’à l’autre extrémité. On peut descendre dans la vallée et se cacher parfaitement durant des semaines.
Chiva haussait les épaules.
— Pourquoi veux-tu qu’on nous traque ? Tu te crois encore à l’âge où nous jouions aux gendarmes et aux voleurs ?
Ils burent la liqueur tout en réfléchissant.
— Le premier coup dur, dit Chiva en examinant les jambes de son pantalon que les flammes avaient léché. J’ai bien failli y rester, et si tu ne m’avais pas remonté à toute vitesse… Dommage. C’est peut-être un avertissement, mais, sur les quatre voitures que nous avons envoyées dans le décor, il est normal que l’une flambe. C’est même extraordinaire qu’il n’y en ait pas eu d’autres. Et je me demande…
Vergara tirait doucement sur sa cigarette.
— On devrait peut-être y flanquer le feu une fois qu’on a fini. Ainsi on pourrait les vider complètement, comme un œuf. Il ne resterait que la coquille qu’on ferait brûler. Je crois qu’on pourrait doubler le rapport, en faisant ainsi.
— Il nous faudra faire plusieurs voyages alors, pour aller vendre toute la marchandise.
— Tu as raison, reconnut Chiva. Ce serait imprudent.
Prenant la lampe, il éclaira la cage de Tico accrochée à la paroi. Le canari s’ébroua un peu, mais se rendormit lorsque la nuit revint. Ils préféraient le laisser lorsqu’ils partaient en expédition.
— Demain, nous allons descendre au ravitaillement, dit Chiva. Nous partirons de bonne heure, achèterons en plusieurs endroits et ne rentrerons qu’à la nuit. Nous allons nous tenir tranquilles pendant une bonne semaine et sans bouger d’ici.
Vergara soupira :
— Ce sera long.
— Prudent aussi. Notre dernier coup devra être le meilleur et nous avons besoin de l’étudier.
— Le dernier ! s’exclama Vergara.
— Le dernier. Nous aurons suffisamment d’argent pour partir à Cadix.
— Acheter la boutique et les oiseaux ?
— Nous devons nous contenter du minimum. Aller plus loin serait tenter le diable. Et puis, si les affaires ne marchent pas… Rien ne nous empêche, depuis Cadix, de partir en vacances. Pour nos voisins, nous serons allés nous promener une semaine ou deux.
— Tu veux continuer ?
— Une fois par an… Un joli petit coup, de quoi récupérer le petit supplément qui nous permettra de vivre largement.
Au lever du jour, ils descendaient vers Andujar où ils feraient leurs premiers achats. Jamais ils ne retourneraient deux fois chez le même commerçant, et Chiva notait soigneusement les endroits où ils avaient déjà acheté.