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— En route pour Martos, maintenant. Nous déjeunerons dans le coin, resterons tranquillement à la terrasse jusqu’au soir avant de rentrer.

Il prit un poste à transistor volé dans une voiture et l’alluma. Grenade donnait les informations locales. Ils les écoutaient tout en roulant dans la fraîcheur agréable du petit matin, lorsqu’un commentaire les impressionna. Le speaker parlait des accidents nombreux dus à l’afflux des touristes dans cette partie du pays.

« Hier soir, une voiture de sport, encore une, est tombée dans un ravin après avoir manqué un virage. De la Mercedes qui a entièrement brûlé, on a retiré les corps complètement calcinés de deux personnes. Nous rappelons qu’en moins de quinze jours c’est le quatrième accident du genre dont ont été victimes des étrangers, et toujours à bord de voiture de sport. Les précédentes étaient une Ferrari, une Fiat, une Alpine et, cette nuit, une Mercedes. Une telle série noire est assez incroyable, et l’on se demande si on doit uniquement l’attribuer à l’imprudence des chauffeurs étrangers qui ne connaissent qu’imparfaitement nos routes. »

Ce fut tout. Le speaker parla d’autre chose, et les deux hommes restèrent silencieux jusqu’à ce que les informations locales soient terminées.

— Tu crois qu’ils se doutent de quelque chose ? demanda Vergara.

— Ce type-là n’exprimait certainement qu’une opinion personnelle, mais la police a bien à faire en ce moment pour se livrer à une enquête serrée.

— Hier soir, tu parlais d’un dernier coup. Est-ce bien indispensable ?

— Oui. Indispensable pour ce que nous voulons faire. Mais ce sera le dernier. Seulement nous n’allons pas attendre une semaine. Il faut l’exécuter puis filer.

— Aujourd’hui ? Mais nous n’avons rien préparé. Nous avons épuisé les endroits dangereux et…

— Tu oublies la route que nous empruntons pour rentrer chez nous dans le trou de mine.

Vergara leva le pied de l’accélérateur.

— Mais n’est-ce pas dangereux ?

— Non. Tu as remarqué l’écriteau en bas de la route, au croisement qui mène au Parador ? Certains soirs, on y accroche un panneau sur lequel est écrit « No hay cuartos ». Les types du Parador téléphonent à un gars qui habite dans le bas, et qui va accrocher le panneau quand l’hôtel est au complet, ce qui, ces jours-ci, arrive vers les six ou sept heures.

Son ami comprenait vite.

— On fait disparaître le panneau ?

— Voilà. Il montera plusieurs voitures. Nous aurons peut-être notre chance.

— Plusieurs voitures ? C’est dangereux.

— Non. Nous allons attendre près de la pancarte. Dès qu’une voiture de sport aura pris le chemin du Parador, nous remettrons le panneau.

— Et si c’est une voiture de fauchés ?

— Tu interviendras avant le panneau.

— Ils vont me voir.

— Pour les étrangers, tous les Espagnols se ressemblent. Tu laisses monter la voiture de sport, puis tu accroches le panneau. Là-haut, on leur dira que c’est une erreur, qu’il n’y a plus de place.

— S’ils les logeaient quand même ?

Chiva haussa les épaules.

— Admettons que non. C’est au retour que nous agirons. Tu vas acheter de la peinture. Nous ne rentrerons pas à la nuit, mais pendant la sieste. On peindra des pierres, on jalonnera la route. Avec des buissons coupés, tu barreras la vraie.

— Et puis nous partirons ?

— Tout de suite après.

— Les marchandises ?

— Nous allons remplir la camionnette.

Vergara secoua la tête.

— On ne peut pas tout faire cet après-midi. Si je dois encore te descendre en bout de corde… Je serai fatigué.

Son ami battit des paupières. L’argument avait son poids.

— Nous attendrons, mais cela risque de durer trois jours. Ils ne les trouveront que demain et il y aura des allées et venues. Espérons qu’ils ne découvriront pas notre cachette.

— Les pierres ?

— Tu les jetteras dans le ravin. Ils n’y attacheront pas, d’importance et, de toute façon, tu les jetteras aussi loin que possible du véhicule.

— Si j’ai le temps.

Chiva alluma deux cigarettes, lui en passa une.

— Ça ne te plaît pas ?

— Trop rapide, grogna Vergara. Jusque-là, nous avons été de vrais renards et personne ne se doute de ce que nous faisons. Ce soir, ce sera rapide, très rapide.

— Nous n’avons pas le choix.

— Si aucune voiture intéressante ne se présente ?

— Nous attendrons demain.

Puis Vergara jura.

— Les pancartes-travaux, nous n’en aurons plus besoin ? Il vaudrait mieux nous en débarrasser.

— Arrête-toi, et jettes-en deux dans le fossé. Plus loin, tu recommenceras, mais jamais plus de deux à la fois. On pensera qu’un cantonnier a bien mal fait son travail.

L’après-midi passa rapidement. Vergara peignit une quinzaine de grosses pierres rondes, du genre de celles qui jalonnaient la route escarpée et dangereuse jusqu’au Parador. Il les regroupa dans un seul endroit, alla dégager celles qui se trouvaient en place. Dans un temps aussi bref, il n’avait pas le temps d’utiliser les mêmes. Il suffirait de donner un coup de pied à chacune pour les faire rouler dans le ravin.

Chiva, soudain perplexe, chercha son regard.

— En agissant ainsi, nous prouvons que l’accident a été voulu. Il faudra remettre les pierres en place.

— Tu t’imagines…

— Parfaitement. Tu redescendras de la mine pour le faire. Même si des voitures passent, on ne te verra pas. Nous ne pouvons pas agir autrement.

— Ce sera très long.

— Non. Cette fois, je pourrai participer au travail. Pendant que tu guetteras en haut, j’enlèverai les pierres. Tu n’auras plus qu’à mettre les autres en place. Ne t’inquiète pas, tout ira parfaitement bien, comme les autres fois.

Vers neuf heures du soir, ils descendirent jusqu’au croisement.

— Le panneau est déjà en place, dit Chiva. Cache la camionnette et va l’enlever. Si tu vois une voiture ordinaire, tu te précipites pour l’accrocher et empêcher qu’elle ne monte.

Vergara alluma une cigarette et s’approcha d’un air nonchalant de la pancarte indiquant la route du Parador. Il décrocha le petit panneau : « No hay cuartos », et s’éloigna.

Pendant une demi-heure, plusieurs voitures passèrent sans même ralentir. Puis il aperçut une grosse voiture américaine qui ralentissait, et il se précipita pour accrocher le panneau. Un gros homme jura en anglais et appuya rageusement sur l’accélérateur.

Il dut faire deux fois l’opération et commençait de maudire Chiva lorsqu’il aperçut la voiture de sport qui approchait. Il s’aplatit dans le fossé en n’osant pas regarder. Lorsqu’il aperçut les feux arrière dans le petit chemin étroit, il n’en crut pas ses yeux. Il raccrocha en vitesse le panneau, fonça vers la camionnette.

— Ça y est ? demanda Chiva. Un client ?

— Un poisson dans le filet, mais j’ai bien cru devenir fou. Maintenant, il faut grimper jusque là-bas et nous n’avons pas beaucoup de temps, même s’il se dispute avec le directeur du Parador.

— Il va redescendre fou furieux, dit Chiva avec un sourire ravi, ne se rendra même pas compte que la route a changé depuis l’aller. Au fait, qu’est-ce comme voiture ?

— Une Mustang, répondit distraitement Vergara.