Выбрать главу

Se tournant vers Chiva, il chercha son approbation lorsqu’il ajouta :

— Vous pourrez partir lorsque vous le voudrez. Ce trou de mine n’est guère confortable et le régime alimentaire peu varié.

— Écoutez, dit-elle. Vous irez à Cadix. Vous ne provoquerez plus jamais d’accident. Moi, je rentrerai en France et nous ne nous verrons jamais plus, mais nous saturons, les uns et les autres, qu’il y a un trait d’union entre nous.

Vergara ne put s’empêcher de sourire.

— Vous êtes plus sentimentale que vous n’en avez l’air. D’ailleurs, pourquoi ce désir de connaître l’Espagne malheureuse qui crève doucement, écrasée par celle qui croit découvrir l’opulence ? Il fallait que vous ayez beaucoup de pitié au cœur pour le faire.

— Non. Je voulais prouver à mon ami qu’il n’était qu’un salaud, murmura-t-elle. Je voulais le détruire parce qu’il croyait trop à certaines choses qui me paraissaient insupportables.

— No es un hombre ?

— Pas comme je le voudrais. Mais après tout, je n’avais qu’à mieux choisir au départ. Comme si un voyage parmi des malheureux pouvait changer quelque chose.

— Va-t-il vous chercher ?

Elle réfléchit à la question de Chiva quelques instants.

— Oui, certainement.

— Il vous aime ?

— Il est orgueilleux.

— Il sait, lui, qu’il n’a pas manqué le tournant, que la route allait tout droit vers le précipice, dit Chiva. Et peut-être qu’il parviendra à convaincre les policiers.

CHAPITRE XI

José Coloma s’approcha du treuil d’un pas vif, tapota de la main la flèche en fer qui supportait le câble et la caisse. Roger Bouquet suivait en traînant la jambe, regardant autour de lui. Il comprenait mieux les réactions de l’inspecteur, maintenant qu’il découvrait l’endroit par la lumière merveilleuse de ce matin radieux. Il était difficile d’expliquer comment il avait pu manquer le virage, s’engager sur ce terre-plein et basculer dans le vide.

Seul l’abus de boisson aurait pu provoquer un tel accident, ou la vitesse exagérée. Mais on n’avait relevé aucune trace de freinage, juste au bord de l’abîme. Il s’agenouilla pour examiner le terrain. Il ne faisait guère de différence avec la route non goudronnée, et ce n’était pas l’absence du revêtement qui l’aurait alerté, au pire.

Du pied, il fit bouger plusieurs des pierres peintes en blanc qui, déposées en arc de cercle, jalonnaient le virage.

— C’est vous qui les avez ébranlées, dit l’inspecteur en revenant vers lui.

— Je veux bien en avoir ébranlé deux, répliqua Roger, mais plusieurs, ça me paraît difficile.

— Voulez-vous toujours descendre dans le ravin ? Nous pouvons embarquer tous les deux dans la caisse. Mais, pour remonter, il faudra me donner un coup de main pour tourner la manivelle.

Roger embarqua lourdement, tandis que José maintenait l’équilibre de la caisse, puis il sauta à son tour avec beaucoup de légèreté à côté de lui.

— Dès que nous toucherons, j’arrêterai, sinon nous serions déséquilibrés. Il vous faudra sauter d’un demi-mètre environ.

Bientôt, Roger Bouquet découvrit la carcasse de sa Mustang. Aucun autre mot ne pouvait s’appliquer au tas de ferrailles tordues qui s’était écrasé entre les rochers. Tout autour, il découvrait une portière, le capot du moteur, une roue, puis un pneu sans roue un peu plus loin.

— C’est tellement difficile d’accès que les pilleurs d’épaves n’ont encore rien touché, dit le policier, mais ils ne tarderont pas à venir par la vallée. Rien qu’en pneus, il y en a pour une petite fortune. Les fauteuils de cuir et les accessoires sont également prisés. Dans quinze jours, il ne restera plus que le châssis et les montants.

— De beaux charognards, vos compatriotes, si je comprends bien !

Coloma ne dit rien, mais le sang parut se retirer de son visage. Il immobilisa la nacelle, sauta à terre et la maintint durant le temps qu’il fallut à Roger pour s’en extraire. Il souffrait encore de sa jambe et de contusions multiples.

— Nous avons fait remonter tous vos bagages et toutes vos affaires personnelles.

— Je vous en remercie, dit Roger, je les ai découverts dans ma chambre d’hôtel.

— Ce sont des gens qui n’ont qu’un tout petit salaire qui ont tout rassemblé, et j’ose espérer qu’il ne manque rien.

Le Français comprit la leçon.

— Rien. Excusez-moi pour tout à l’heure…

— Ceux de nos compatriotes qui touchent un salaire, pour si modeste qu’il soit, se comportent comme les gens de n’importe quel autre pays civilisé, mais, dans cette région, il y a des milliers de gens sans travail, tristes et affamés. Je n’essaye pas de justifier leurs rapines, mais de les comprendre.

Difficilement, ils s’approchaient de la voiture, et Roger se demandait encore comment il pouvait en être sorti vivant.

— Sur le siège de votre amie, nous n’avons retrouvé aucune goutte de sang. Toujours dans l’hypothèse où elle se trouvait à vos côtés, il semble qu’elle n’ait pas eu à souffrir de cette terrible chute.

Roger se glissa à son siège. Le volant, intact, s’enfonçait dans un tableau de bord saccagé. Le compteur de vitesse indiquait zéro, mais cela ne voulait rien dire. La pendulette marquait l’heure de l’accident. Il regarda derrière les sièges, mais ne découvrit rien d’intéressant. Il se redressa.

— C’est la zone boueuse dont vous me parliez ?

Elle s’étendait tout autour des rochers, et, effectivement, il fallait patauger dedans durant quatre ou cinq mètres pour rejoindre un sol plus ferme. Quant à la falaise, Roger vit, en levant la tête, qu’il n’y avait aucune possibilité de remonter jusqu’à la route, la rivière, en crue, ayant rongé le rocher et le tournant se trouvant en surplomb.

— Heureusement que des poids lourds ne fréquentent guère cette route, sinon il faudrait étayer.

— Vous constatez que votre amie n’a pu remonter par-là, observa le policier d’une voix calme.

— Tout à fait impossible.

— Nous n’avons pas relevé ses traces dans la boue. Donc, elle n’est pas partie droit devant elle, choquée et ne se rendant pas compte de ce qu’elle faisait.

Roger inclina la tête.

— Alors ?

— Je ne sais pas. Odile se trouvait à mes côtés lorsque nous avons fait le grand saut.

— Prouvez-le.

— Personne ne nous a vus au Parador ?

— Pour l’instant, personne. Nous avons interrogé le personnel et les clients demeurant encore là-haut. Nous avons retrouvé certains des clients ayant passé une seule nuit. Actuellement, il ne nous manque plus que trois ou quatre témoignages, mais nous devrons attendre que ces gens soient rentrés en France et en Suisse pour avoir une certitude totale.

Quand ? Je ne peux vous le dire. D’autre part, nous avons la preuve qu’à l’heure où vous passiez sur la route nationale, devant la pancarte indicatrice du Parador, le panneau No hay cuartos se trouvait en place. Un client habituel du Parador nous en a donné l’assurance. Il a poussé plus loin et a trouvé difficilement à se loger dans une auberge de village. Donc vous n’aviez rien à faire en haut.

— Je n’ai pas vu le panneau.

Le policier soupira.

— Vous êtes coriace, señor, mais je le suis aussi. Vous feriez mieux de me dire ce que vous avez fait de votre amie.