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— Il y a encore de l’eau pour le café ?

— Je pense.

Vergara alla placer une casserole sur le petit réchaud de camping en jetant un coup d’œil à la bâche de la camionnette. La jeune femme dormait encore et cela le surprit. D’habitude, elle quittait sa paillasse lorsqu’elle les entendait, allait s’asseoir à l’entrée de la mine en sautillant sur un pied.

Il prépara le café, espérant que l’odeur pénétrerait sous la bâche, en apporta un verre à Chiva. Ce dernier le sirota avec un plaisir évident.

— J’ai réfléchi cette nuit, dit-il. Il faut qu’on file.

— Et elle ? chuchota Vergara.

— Nous l’emmenons le plus loin possible. Nous l’abandonnerons ensuite dans un endroit suffisamment désert, où elle ne puisse alerter personne avant plusieurs heures.

Vergara approuva :

— Bonne idée.

— Il n’y a rien d’autre à faire, hein ? demanda Chiva.

Ils se regardèrent.

— Rien d’autre.

— Nous serons obligés de nous séparer peut-être. Tu pourrais me conduire à ce couvent d’Estramadure durant quelque temps. On recherchera deux hommes dont un infirme, mais jamais on ne pensera que me suis réfugié chez les sœurs. Toi, tu pourras modifier ton aspect physique. Laisser pousser ta moustache, par exemple. Tu prendras tout l’argent.

— Écoute…

— Tout l’argent. Tu iras acheter le magasin et tu t’en occuperas quelque temps. Puis un jour tu reviendras me chercher au couvent. Je crois que c’est encore la meilleure solution.

Vergara baissait la tête avec une obstination qui fit sourire Chiva.

— Tu n’es pas d’accord ?

— On ne devrait pas se séparer.

— Si. Sans moi, tout est possible. Tu peux changer d’apparence. Pas moi, tu comprends ? Je ne vais pas bourrer mes jambes de pantalon de paille et me coller des godasses au bout ? La ruse ne tromperait personne bien longtemps. Tandis que là-bas, en Estramadure, ils ne penseront jamais que j’aie pu être l’infirme qui a participé à… ces accidents de la Sierra Nevada. Et la police n’aura jamais l’idée de venir m’y chercher.

— Nous ne nous sommes jamais séparés depuis l’enfance. Ça ne nous portera pas bonheur.

— Que val porter malheur… Tu ne penses pas rester toute la vie avec moi tout de même ? Un jour, il faudra que tu te maries, que tu aies des gosses. Ta femme, elle, ne pourra pas me supporter longtemps, tu sais. Alors ? Aujourd’hui ? Demain ? Quelle importance ! Et puis, tu reviendras me chercher. Ça, il faut me le promettre, car le temps me semblera très long dans ce couvent… Tu attendras, un mois, deux mois au maximum, mais tu reviendras. Tu me le promets ? Je sais que, là-bas, ils ne laissent plus sortir un infirme à moins qu’une personne adulte et en bonne santé ne leur signe une décharge. Tu signeras la décharge et nous partirons. Par la suite, si tu veux qu’on se sépare, je comprendrai, mais tu ne me laisseras pas dans ce couvent.

— Je ne veux même pas t’y conduire, lâcha Vergara avec une sorte de rage. Non mais, tu te vois là-bas avec des débiles mentaux, de ceux qui bavent et font sur eux, des goitreux et des monstres venus des hautes vallées ? Pas fou, non ?

Chiva jeta sa cigarette :

— Où veux-tu que j’aille pendant les deux mois nécessaires pour que les choses se tassent ? Où veux-tu que j’aille, hein ? Non, écoute. On embarque tous les trois. Nous allons vers l’Estramadure. Nous laissons la fille en route, puis moi au couvent. Toi, tu files vers le Sud avec la cargaison. Tu la vends discrètement et puis tu cherches un magasin. Tu l’installes et, un dimanche, tu viens me chercher.

— Tu parles trop. Et elle nous écoute, peut-être.

Il passa à l’arrière.

— Señora, le café ?

Puis, pris d’un doute, il entrouvrit la bâche et resta si silencieux que Chiva s’inquiéta.

— Alors ?

— Elle est partie.

Il revint vers son ami, le visage décomposé.

— Nous sommes cuits, cette fois. Elle a filé dans la nuit et, à cette heure, la route doit être surveillée. La seule route. Nous n’aurions jamais dû nous installer ici.

— Va voir au-dehors.

Vergara écarta les buissons, avança prudemment sur le terre-plein où évoluaient autrefois les camions venant charger le minerai. De l’extrémité de cette plate-forme, il pouvait découvrir une bonne partie de la route en dessous de lui vers la nationale, et au-dessus vers le Parador complètement invisible, caché dans les restes d’une importante forêt qui couvrait ces montagnes autrefois.

La route paraissait parfaitement déserte ; pourtant, lorsqu’il approcha du bord, il se plaqua brusquement au sol. En dessous de lui, quelques tournants plus bas, il y avait le tournant qu’ils avaient masqué pour envoyer la Mustang dans le vide. Depuis, les sauveteurs avaient installé un treuil, et il s’était étonné qu’ils le laissent ainsi à demeure. Aujourd’hui, deux hommes achevaient de remonter dans la nacelle qui fonctionnait comme un échafaudage mobile de peintre ou de maçon.

Les deux hommes sortirent de la nacelle, puis se dirigèrent vers une Seat 600 garée plus loin. L’un était indiscutablement espagnol, mais l’autre paraissait français. Vergara l’observa longuement, autant qu’il le put, jusqu’à ce que la voiture se mette en route.

— Bon, ils s’en vont.

Mais la 600 entreprit l’escalade de la route et il se mit à courir vers la mine.

— Que se passe-t-il ? demanda Chiva.

— Tout à l’heure.

La voiture passa en ronflant fortement et sans marquer la moindre hésitation.

— Ils montent au Parador.

Deux types qui viennent de descendre jusqu’à l’épave de la Mustang. Un Espagnol et un étranger. Je me demande s’il ne s’agit pas du Français. Mais pourquoi ne sont-ils pas venus ici ? Ne les a-t-elle pas rejoints et avertis ?

— Vous me cherchez ? fit la voix moqueuse d’Odile.

Vergara se précipita vers elle, tandis que Chiva se penchait exagérément par la portière.

— D’où sortez-vous ?

— De là.

Elle désignait le puits de mine qui descendait rejoindre une autre galerie.

— Ce matin, de bonne heure, j’ai décidé d’aller explorer le coin. Je suis descendue par l’échelle de fer.

— Votre jambe ?

— Elle va beaucoup mieux.

— Vous auriez pu vous blesser.

— C’est assez facile. Une fois au bas du puits, j’ai vu la lumière du jour au bout de l’autre galerie. On débouche à flanc de montagne. Autrefois, il devait y avoir un téléphérique pour le transport du minerai. Mais il y a un sentier par lequel on pourrait rejoindre la vallée. J’ai fumé une cigarette et je suis remontée. Vous étiez inquiets ?

— Nous pensions que vous étiez allée chercher la police.

— Et vous attendiez placidement qu’on vienne vous arrêter ?

Vergara haussa les épaules.

— En fait, il n’y a qu’une route et il suffit de la barrer pour nous coincer ici. Que vouliez-vous que nous fassions d’autre ? Nous attendions, tout simplement.

— Ça sent bon le café.

— Il va être froid. Je vais en faire d’autre.

— Non, ça ira comme ça.

Elle but dans le gobelet d’argent trouvé dans une trousse de toilette.

— Est-ce que votre ami porte une veste-chemise d’un bleu très clair sur un pantalon beige ?

— Sable. Oui, pourquoi ?

— Il est assez grand, un peu gras et chauve ?

Elle pâlit.

— Oui. Vous l’avez vu ?

— Il y a un instant. En compagnie d’un Espagnol, un policier, certainement. Ils sont descendus visiter l’épave. Puis ils sont remontés.