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— Je peux vous coincer tous les deux.

Il commanda la même chose.

— Qu’allez-vous décider ? Mon inculpation ?

— Non. Je veux quand même en avoir le cœur net avec ces accidents. Ne me jugez pas plus buté que je n’en ai l’air. Il y a une responsabilité là-dessous, qu’elle soit criminelle ou due à la négligence. Mais vous avez encore bon espoir, au sujet de votre amie ?

— Pourquoi pas ? Morte, on l’aurait trouvée à mes côtés. Vivante, elle a réussi à s’en tirer. Vous ne pensez pas que ces naufrageurs auraient pris la peine de remonter un cadavre ?

L’inspecteur ne répondit pas.

— Me permettez-vous de louer une voiture pour parcourir un peu la région ?

— Bien sûr, déclara le policier.

— Je suppose que vous serez, à tout moment, au courant de mes déplacements ?

— Je ne puis faire autrement. Qu’avez-vous l’intention de faire ?

— Ma petite enquête. Me rendre sur d’autres lieux d’accidents et essayer de questionner les gens. Si je pouvais établir que l’un d’eux est criminel, cela permettrait de supposer que les autres le sont ?

— Dont le vôtre ? Mais que pensez-vous que votre amie peut faire entre les mains de monstres pareils ?

— Je n’en sais rien.

— Pas jaloux ?

Roger haussa les épaules.

— Si vous pensez qu’elle leur sert de distraction… Oui, évidemment, c’est assez désagréable de l’imaginer, mais tout de même…

Vous croyez vos compatriotes capables d’une telle ignominie ?

— Oh ! oui ! Leur violence dépasse en imagination ce que vous pouvez penser. Mais il y a également en eux des réflexes délicats les plus inattendus. Vous n’en croyez rien ?

— Jusqu’à présent, je n’ai pas pu juger sur pièce.

L’autre soupira.

— Señor, je crois que vous ne comprendrez jamais ce pays, et je vous conseille de l’éviter désormais si vous en ressortez.

CHAPITRE XIV

Le lendemain, ils pénétrèrent à Merida en même temps que les maraîchers apportant leurs légumes à la ville. Ils circulaient lentement au milieu des carrioles et des vieilles camionnettes, souvent arrêtés par des attroupements.

— Pourquoi votre ami veut-il pénétrer dans la ville ? demanda Odile à Chiva. Nous aurions pu l’éviter.

Le cul-de-jatte fumait, installé entre les valises qui lui servaient d’accoudoir.

— Il a une course à faire, paraît-il. Je n’en sais pas plus long que vous.

Odile prit un air indifférent.

— Peut-être connaît-il quelqu’un ici ?

— Peut-être, répliqua Chiva sur le même ton en allumant une cigarette. J’espère qu’il nous arrêtera dans un endroit où nous pourrons acheter des rafraîchissements.

— Une fille ?

— Pourquoi pas.

Vergara réussit à garer la camionnette non loin de l’Alcazar, dans une place encore à l’ombre. Il sauta à terre et contourna la camionnette pour venir leur parler.

— Je n’en ai pas pour longtemps, certainement. Une petite demi-heure, trois quarts d’heure au plus.

— Vois-tu une marchande de limonade, dans le coin ? Si oui, va acheter quelques bouteilles fraîches. Nous crevons de soif sous cette toile.

— Bon, un instant.

Il revint avec une demi-douzaine de sodas, et Chiva entreprit de les ouvrir joyeusement. Vergara disparut et Odile, qui regardait par une fente de la bâche, ne sut dire où il avait filé. Elle accepta une bouteille et la but par petites gorgées, les yeux fermés. Brusquement, elle les ouvrit très grands, regarda autour d’elle. Que faisait-elle dans cette camionnette au milieu de ces objets volés, en compagnie de deux assassins. Qu’espérait-elle ? Qu’attendait-elle ? Une rougeur violente monta à ses joues.

— Je vais faire un tour, dit-elle.

Chiva se contenta de la fixer.

— Vous n’y voyez pas d’inconvénients ?

— Aucun.

— Peur peut-être que j’aille à la police ?

Il soupira.

— Faites-le, mais ne le dites plus. Pour la grâce de Dieu, laissez-moi vivre jusqu’au bout. À quoi sert de me torturer ?

Sans répondre, elle sauta à terre, s’éloigna vers le marché. Elle acheta une tranche de pastèque dans laquelle elle mordit à pleines dents. Le jus colla à ses lèvres et à ses doigts, et elle se nettoya plus loin à une fontaine. Un gamin tirant un aveugle par la manche s’approcha d’elle, la main tendue. Elle lui donna quelques pesetas. Plus loin, il y avait d’autres mendiants, et elle aperçut même un vieillard cul-de-jatte qui longeait l’ombre d’un mur dans une caisse à savon, équipée de gros roulements à billes.

Elle le suivit, le vit s’immobiliser près d’une borne d’angle et rouler une cigarette. Longtemps, elle l’observa jusqu’à ce que l’infirme s’en rende compte. Tout de suite, il esquissa le geste de mendier, mais elle glissa dans une autre rue. Il ne lui restait que quelques pièces dans la poche de sa jupe, et elle ne savait même pas par quel miracle puisqu’elle avait tout perdu depuis l’accident. Elle acheta un journal, en parcourut les gros titres avant de le glisser sous son bras.

Dans une rue étroite et très commerçante, elle aperçut Vergara qui revenait, ployant sous le poids d’un énorme carton. Pour le porter, il utilisait une grosse corde qui passait par-dessus son épaule.

— On dirait que c’est lourd, cria-t-elle joyeusement dans son dos.

Il se retourna et la découvrit. Ses sourcils épais se froncèrent.

— Vous n’auriez pas dû…

— Qu’y a-t-il là-dedans.

— Une surprise. Pour Chiva.

— Je vous aide ?

— C’est trop lourd pour vous.

Elle marcha à côté de lui.

— J’ai pensé que vous connaissiez quelqu’un ici ?

— À Merida ? Non… Juste cette commission à faire, mais j’ai trouvé facilement le magasin.

Déjà ils atteignaient la place et, du coin de l’œil, Odile vit que le vieux cul-de-jatte se trouvait toujours au même endroit. Vergara regarda autour de lui avant de marcher vers la camionnette.

— Peur ?

— Sait-on jamais ? Votre signalement a peut-être été donné.

Chiva buvait à une bouteille, l’air très triste. Son visage s’éclaira lorsqu’il les vit entrouvrir la bâche.

— Hé ! Qu’est-ce que c’est ?

— Tire le vers toi. C’est très lourd. On en discutera après. Je vais d’abord sortir de cette ville.

Ils ne se rendirent même pas compte que Vergara manœuvrait difficilement pour se dégager et rouler vers les portes de la ville, tant le gros carton les intriguait.

— Il est très lourd, dit-elle, et Vergara avait du mal à le porter. Surtout parce qu’il est encombrant.

Chiva le souleva.

— En effet, mais il n’y a aucune indication sur le carton. C’est rudement bien fermé.

— Il y a du scotch et de la ficelle partout. Nous n’y arriverons jamais comme ça.

La camionnette roulait dans les faubourgs à une allure insolite. Vergara avait hâte de trouver un endroit pour déballer le colis en toute tranquillité. Il trouva le coin idéal sur la route de Caceres. Il tourna dans un petit chemin, longea une ferme en ruine et pénétra dans l’ancienne cour de la bâtisse sans provoquer une seule réaction. Les lieux étaient abandonnés depuis longtemps, semblait-il. Sautant à terre, il rejoignit ses deux compagnons.

— Je crois qu’on peut y aller ici, dit-il. Poussez le carton vers moi.

Aidé par la jeune femme, Chiva obéit. Vergara chargea le tout sur son épaule.