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Vergara rétrograda avec un soin extrême, mais ne put empêcher les pignons de grincer.

— La mécanique est à bout, dit-il. Savez-vous déjà ce que vous allez dire à votre ami ?

Elle secoua ses cheveux blonds.

— Je n’ai rien préparé. Je n’en ai pas envie. Quand ce sera le moment, je trouverai quelque chose ou bien je ne dirai rien du tout.

— Mais la police ?

— Je ne sais pas.

— Lui, il sera furieux, content, soupçonneux ?

Elle rit.

— Tout cela à la fois, certainement, mais je ne peux pas prévoir. D’ailleurs, ça n’a aucune espèce d’importance.

Ils roulaient dans une campagne aride et sèche que la torpeur de midi figeait encore davantage. Les lointains tremblotaient, escamotaient les sierras. Ce que la jeune femme prenait parfois pour un tas de cailloux se révélait être, lorsqu’on s’en approchait, une ferme isolée et déserte. Peut-être y avait-il quelque part derrière ces pierres sèches des yeux inquiets qui les suivaient d’un regard perplexe.

— Le plus heureux de nous trois est certainement Chiva à l’heure actuelle, dit Odile.

Vergara pâlit, porta la main à la poche de sa chemise et étreignit le portefeuille à travers le tissu léger.

— Ce fauteuil roulant, vous aviez toujours rêvé de le lui offrir un jour, n’est-ce pas ?

— Depuis que je suis gosse.

Il avala difficilement sa salive. Il faisait très chaud et sa gorge était sèche.

— Un jour, dans l’une des grandes propriétés de notre village, j’ai vu un vieux débris qui regardait ses ouvriers arroser ses pelouses. Il se promenait dans un fauteuil semblable fait de bois vernis et d’acier chromé. Un moribond plein de fric, alors que José se traînait dans les rues mal pavées avec sa caisse à savon et ses patins de bois. Vous avez vu ses doigts et les paumes de ses mains ? Pleines d’écailles.

C’est très difficile de se déplacer ainsi… Voilà.

Lorsque deux heures plus tard le village apparut à flanc de colline, ils n’avaient plus échangé un seul mot, chacun plongé dans ses pensées. La camionnette s’engagea dans le chemin mal carrossé et grimpa difficilement la dernière côte, rompit de ses pétarades tout un monde de silence séculaire.

Vergara s’arrêta sur la petite place ombragée, désigna l’auberge en face d’eux.

— Je vais vous donner un peu d’argent. Je pense que vous ne serez pas trop mal là, en attendant l’arrivée de votre ami et de la police. La Guardia Civile s’occupera également de vous.

Il prit quelques billets dans son portefeuille et les lui tendit. Odile saisit sa main et appuya sa joue contre. Puis elle lui tendit ses lèvres, se sépara brusquement de lui.

— Partez, partez vite, maintenant. Dès que je serai descendue, la comédie commencera pour moi.

Elle sauta à terre, glissa à l’arrière, écarta la bâche et vit Chiva sur son fauteuil. Elle lui fit un signe de la main, laissa retomber la bâche.

Vergara recula, fit demi-tour et se lança rapidement dans la rue en pente qui permettait de sortir de ce village. Il roula jusqu’en bas de la côte avant de s’arrêter à l’abri des regards.

Chiva le regardait avec surprise.

— Pourquoi tu t’arrêtes ?

— J’aimerais que tu finisses le voyage à mes côtés. Tu peux laisser le fauteuil. Il ne risque rien.

Il grimpa sur la plate-forme, prit Chiva dans ses bras.

— Tu as l’adresse ?

Sans répondre, il le déposa sur la banquette avant, remonta au volant.

— C’est à Merida qu’on te l’a donnée ?

— Oui.

— Le marchand qui t’a vendu le fauteuil ?

— Il connaissait bien, il y est allé plusieurs fois. D’après lui, les sœurs sont bien gentilles.

— Oh ! Te fais pas de soucis. Un mois et demi, ça passera vite. Et puis, avec mon fauteuil, je pourrai me balader. Nourri, logé et soigné, quoi de mieux ? Et puis le reste du temps pour se balader.

— La messe, les vêpres, les prières du soir ?

— Dans l’ombre fraîche de leur chapelle ? Ça ne doit pas être désagréable.

— Les autres ? Les crétins, les mal-fichus ?

Chiva se mit à rire.

— Ils ne m’impressionnent pas. Et puis, on en a connu, non ?

— Pas en si grand nombre, pas entassés les uns contre les autres. Il te faudra dormir, manger, te promener en leur compagnie. Écoute, José, il est encore temps…

— Nous devons nous séparer. Toi, tu files ensuite vers Cadix, et tu t’arranges pour vendre la marchandise un bon prix. Tu achètes un petit magasin dans une rue commerçante. Quelque chose de modeste. Même s’il n’y a qu’une arrière-boutique sans ouvertures. Que nous puissions y installer un matelas et y faire la cuisine. Tu achèteras des animaux et tu feras les installations.

Vergara n’écoutait pas.

— Cela va t’occuper plusieurs semaines. Lorsque tout sera prêt, tu attendras encore un peu. Puis tu tâcheras de trouver quelqu’un de confiance à qui laisser la boutique un jour ou deux. À propos, il vaudra mieux que tu vendes la camionnette et que tu achètes un autre véhicule. N’oublie pas de faire fabriquer un plan incliné pour que je puisse monter à l’arrière avec mon fauteuil. Tu crois que tu trouveras quelque chose de pas cher ?

— Sans difficulté. Un break, par exemple ?

— Sangre de Dios, un break, ce serait bien, mais ça te coûteras horriblement cher, non ?

— Je me débrouillerai. Une fois la boutique installée, je pourrais emprunter pour la voiture. On ne refuse pas un prêt à un commerçant installé.

Chiva lui tapa sur la cuisse.

— Tu as raison. Habille-toi comme il faut. Tu dois leur montrer que tu es quelqu’un.

CHAPITRE XV

Le Parisien se montra très heureux de la visite de Roger Bouquet. Il se nommait Pierre Grand et se trouvait dans cette clinique de Grenade où il avait été transporté dès que son état s’était amélioré.

— Deux fractures à la jambe droite, plusieurs côtes cassées et la clavicule brisée. On me croyait mort, comme ma femme.

Sa voix trembla.

— D’ailleurs, j’ai compris qu’il valait mieux qu’elle soit morte… Défigurée…

— Vous conduisiez une Ferrari ?

— Oui. J’ai cru apercevoir des flèches indicatrices après une pancarte de travaux. Il paraît que je me suis trompé et que la fatigue m’a donné des hallucinations.

Roger Bouquet se pencha vers lui.

— C’est ce qu’on m’a dit à moi aussi.

Brièvement, il lui raconta dans quelles circonstances sa Mustang avait fait le grand saut. L’autre l’écoutait avec attention en fronçant les sourcils.

— Curieux, reconnut-il.

— Avez-vous des souvenirs plus précis des instants qui ont suivi l’accident ?

Le Parisien se concentra durant quelques secondes. Un peu de transpiration coulait de la racine de ses cheveux très noirs.

— J’ai dû m’évanouir et puis j’ai eu des hallucinations. J’ai cru entendre le bruit d’une respiration, comme si on venait à mon secours. Puis plus rien, sinon le bruit d’un moteur, au-dessus de moi, qui s’éloignait. Le moteur d’un tacot.

— Un moteur de tacot ?

— Toutes les montagnes répercutent ce bruit.