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— Dites-moi, vous a-t-on pris quelque chose ? Il paraît que les épaves sont systématiquement pillées par des bandes de misérables.

— Ils n’ont pas eu le temps, les secours sont venus assez vite, puisque, d’une ferme voisine, on avait entendu le bruit de l’accident. Deux heures après, on m’extrayait de la voiture, mais il me manque de l’argent. Une bonne trentaine de milliers de pesetas.

— Pas autre chose ?

— Non.

— L’avez-vous déclaré ?

Pierre Grand sourit.

— À la police, non. Voyez-vous, ces gens-là m’ont secouru avec tant de dévouement que je n’ai pas voulu leur attirer des ennuis. Ce n’était certainement pas eux, mais…

— Écoutez-moi, mon vieux. D’autres voitures ont eu des accidents et ont été pillées immédiatement après.

— Immédiatement ?

Le Parisien en doutait visiblement.

— Immédiatement, comme si quelqu’un attendait l’accident, l’avait prévu. Et quand je dis prévu… C’est prémédité que je devrais dire.

— Allons donc !

— N’avez-vous pas parlé de flèches indicatrices, de pancartes « travaux » ?

— Si, mais il paraît que c’est par la suite que je me suis forgé cette hypothèse, pour me justifier, en quelque sorte.

Roger Bouquet secouait la tête.

— Non. Moi, j’ai retrouvé les pierres peintes dans le ravin. On dit que ce sont les cantonniers qui les ont lancées en bas, mais rien ne pourra m’en convaincre. Vous, ils vous ont fait le coup des travaux et à deux ou trois autres automobilistes également.

Comme son compatriote ne paraissait pas convaincu, il insista :

— Pouvez-vous me dire pourquoi tant de catastrophes de la route se sont-elles produites ces derniers temps, uniquement dues à l’imprudence des chauffeurs de voiture de sport ? Pas de berline, pas de familiale, pas de poids lourd.

— Curieux, en effet.

— Vous connaissez ma propre histoire ? Les journaux en ont assez parlé.

Pierre Grand parut gêné.

— Votre amie a disparu ?

— Et dans de telles circonstances que la police m’accuse de l’avoir tuée bien avant mon accident. Ce dernier ne serait d’ailleurs qu’une tentative de suicide.

— Vous a-t-on volé quelque chose ?

— Non. C’est la preuve qu’il s’est produit un fait insolite.

— Vous avez une hypothèse ?

— Mon amie a dû sortir vivante de ce terrible accident, se précipiter vers ces naufrageurs alors qu’ils descendaient vers l’épave. La présence de cette femme rescapée a dû les affoler.

Mais devant l’air trop poli de Pierre Grand, il ne put continuer.

— Vous ne me croyez pas ?

— C’est-à-dire qu’à partir d’une hypothèse, vous en bâtissez une autre, et ainsi de suite.

— Ne désirez-vous pas venger votre femme ?

— Écoutez, mon vieux, vous allez trop loin.

Roger Bouquet se fit plus conciliant.

— Tenons-nous-en aux faits certains. Vous avez vu des flèches et on vous a pris de l’argent.

— Attendez. Je n’ai pas seulement vu des flèches, mais également de ces tréteaux munis de cataphotes… Cela m’a étonné, car, sur les routes secondaires, les cantonniers ne prennent pas tant de précautions, en général.

Cette dernière phrase fit plaisir à Roger Bouquet.

— Vous voyez que tout cela est étrange.

— À condition que je n’aie pas eu d’hallucinations.

— Je vais vous laisser. Essayez de vous concentrer là-dessus, et si quelque fait nouveau revient à votre mémoire, téléphonez à mon hôtel. Je vous laisse ma carte.

*

Un peu avant midi, Roger Bouquet engagea sa Seat 600 de location dans le chemin conduisant à une petite ferme, non loin de la route du Parador. Les gens qui habitaient là, un couple avec leurs trois enfants, élevaient uniquement des poulets, car leurs terres n’étaient pas suffisamment fertiles.

Roger Bouquet leur parla de la route du Parador, leur expliqua qu’il avait eu un accident dans la partie la plus difficile où les virages devenaient dangereux. Il se montra prudent, poli et attentif, en fut récompensé.

— Durant plusieurs jours, on a vu passer une camionnette très ancienne. Il y a des tacots en Espagne, dit l’éleveur, mais je n’en avais pas vu un pareil depuis longtemps. Il y avait deux hommes dans la cabine. Ils montaient vers le Parador, mais y restaient suffisamment longtemps pour qu’on pense qu’ils y passaient la nuit. Peut-être des peintres ou des maçons qui avaient un chantier à l’hôtel.

— Une camionnette ?

L’éleveur ne put lui en donner une description exacte. Bouquet le remercia et décida d’aller déjeuner au Parador. Il apprit au cours du repas, en discutant avec la serveuse, qu’aucune réparation n’était en cours dans l’hôtel.

— Surtout pendant les mois d’été, dit la jeune femme. On attend l’hiver, pour cela.

— Vous n’avez jamais vu une camionnette très ancienne avec une bâche rapiécée ?

Elle secoua la tête, et il n’insista pas.

Du Parador, il essaya de savoir où pouvait aller la camionnette lorsqu’elle s’engageait sur la petite route, mais jusqu’à la nationale, il ne découvrit aucune explication.

L’inspecteur Coloma l’attendait au bar, devant un verre de cognac espagnol. Bouquet le rejoignit en essuyant son visage. La chaleur devenait horrible, en ce début d’après-midi.

— La route n’a pas été refaite depuis un ans, et les cantonniers n’ont jamais balancé de pierres peintes dans le ravin, dit Coloma. J’en ai eu la certitude ce matin.

Bouquet commanda un jus d’orange en souriant.

— Moi aussi, j’ai du neuf.

Pour l’instant, il ne lui parla que de la camionnette.

— Que faisait-elle sur cette route, puisqu’elle ne conduit qu’au Parador ?

Le policier quitta le bar et revint avec une carte d’état-major qu’il avait prise dans sa voiture.

— Les cartes routières sont bien utiles, mais rien ne vaut le détail de celles-ci.

Ils ne trouvèrent rien, sinon l’entrée d’une mine abandonnée depuis quelques années.

— On peut quand même aller y faire un tour, non ?

— Attendez, gémit Coloma, que la chaleur soit moins forte. Le soleil se couche tard, et nous aurons tout le temps de faire nos recherches vers six heures.

Cette partie de la montagne se trouvait dans l’ombre lorsque les deux hommes descendirent de la voiture du policier, devant les buissons qui cachaient l’entrée de la mine. Bouquet y pénétra le premier et découvrit une boîte de conserves vide.

— Elle est récente.

Le policier regarda autour de lui. Il y avait quelques bouteilles vides, d’autres boîtes de conserves et des traces de roues.

— Pneus usés. Des gens ont vécu ici un certain temps, mais ça ne signifie pas grand-chose.

Puis il ramassa une petite clé nickelée et l’examina avec soin.

— Clé de valise.

— Ils entreposaient leur butin ici, dit le Français avec une excitation de plus en plus grande.

Ce fut Coloma qui découvrit les graines et les petites crottes.

— Un oiseau. Et en cage, certainement. Je crois même qu’il était accroché ici à ce clou, et que, parfois, en prenant son bain, il projetait tout cela hors de sa cage.

Il paraissait amusé.

— Des bandits sans pitié qui se promènent avec un oiseau. Vous avez déjà vu ça, señor ?

Le Français furetait dans tous les coins, et il découvrit un film de photographies oublié dans un coin obscur, le rapporta triomphalement à Coloma.