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Tranquillement, il put atteindre un deuxième platane et se rapprocher d’une dizaine de mètres. La camionnette n’était plus qu’à deux arbres de lui. Plus loin, les hommes du village le regardaient faire tout en feignant de discuter entre eux. Il ne savait pas s’il pouvait compter sur leur silence. Dans certains pays, on détestait la guardia civil ; dans d’autres, elle était toujours bien accueillie. Surtout chez les paysans riches, mais ceux-là n’avaient pas l’air de nager dans l’opulence.

Il n’attendit pas aussi longtemps pour se risquer vers un troisième platane. Le tronc n’en était pas très gros, comme si la présence des autres l’avait empêché de prospérer. Il se mit de profil et examina sa camionnette. De temps en temps, apparaissait sur la gauche la manche d’un des policiers. Il regarda plus loin et aperçut la jeep qui les avait conduits jusqu’ici. Jusqu’à présent, il ne l’avait pas remarquée et elle lui posait un problème. Même s’il les désarmait, ils pourraient le poursuivre. Peut-être arriverait-il à crever les pneus d’un coup de couteau ou, au pire, en tirant dedans.

Encore un arbre à atteindre puis il se démasquerait, serait sur eux avant qu’ils ne puissent prendre leur carabine. Seul le chef devait porter un pistolet plus facile à dégainer. Il respira plusieurs fois profondément, avant de se décider. Les trois hommes murmuraient sans arrêt, certainement au sujet du butin qu’ils inventoriaient.

L’un des gardes l’avait aperçu alors qu’il quittait le premier platane, à travers l’un des trous de la bâche. Son chef leur avait recommandé le calme.

— Il est armé.

— Laisse-le approcher. Cet homme est dangereux et je tirerai sur lui lorsqu’il sera suffisamment proche.

— S’il tire à travers la bâche, il risque de nous avoir tous les trois.

— Non, répondit le chef. Je le tuerai avant. Grenade nous a prévenus qu’il était dangereux. Des forces de police arrivent vers ici. Il n’a aucune chance de s’en tirer.

Ils parlaient comme dans un confessionnal, sans que leurs lèvres bougent.

— Il va quitter le platane.

— Je vois, dit le chef en prenant son pistolet.

Lorsque Vergara se lança en avant, le policier tira deux fois, crut qu’il avait manqué sa cible. L’homme continua sur sa lancée et atteignit le platane qu’il étreignit à pleins bras. Les trois gardes voyaient ses mains de chaque côté.

— Il a laissé tomber son fusil, dit l’un d’eux.

— Regardez. Les mains glissent le long du tronc.

— Je crois que vous l’avez eu, chef.

Le chef garda son pistolet à la main et quitta l’abri de la camionnette pour s’approcher de Vergara. Ce dernier était tassé au pied de l’arbre, et même dans la mort ses mains se cramponnaient aux énormes bourgeons du platane.

Un des gardes civils le tira en arrière avec beaucoup de peine pour lui faire lâcher prise. Le grand corps retomba sur le côté.

— C’était un assassin et un voleur. Mais où se trouve son complice ? Peut-être dans l’auberge ?

— Il va prendre la Française pour otage.

— Non, la voilà !

Odile venait de fendre le rideau de perles.

— Vous n’avez rien à craindre, señora, il est mort. Votre mari est prévenu et vient vous chercher. Nous venions vous l’annoncer lorsque nous avons vu la camionnette.

— Est-ce que le complice est dans l’auberge ? demanda un des deux gardes.

Mais la grosse femme apparaissait à son tour, le visage encore décomposé par la peur.

— Il était seul.

— C’est curieux, ça, dit le chef. Pourquoi est-il revenu, alors ?

Il se dirigea vers Odile pour lui poser la question, mais elle fit demi-tour et remonta dans sa chambre.

— Je ne comprends pas, dit la grosse femme. Il est monté là-haut, y est resté près d’une demi-heure. J’avais peur qu’il ne la tue.

— Il voulait certainement l’intimider, dit le chef, l’empêcher de parler, mais c’était trop tard. Lui et son complice sont recherchés dans toute l’Espagne depuis hier. Nous avions son signalement précis, ainsi que celui de la camionnette.

Puis, de son mouchoir, il essuya son front.

— Il y en a pour des centaines de milliers de pesetas, dans la camionnette. Et certainement aussi dans son portefeuille.

CHAPITRE XVII

Chiva glissa la cigarette entre les lèvres de son compagnon, lui donna du feu. L’homme avait eu les deux bras broyés par une machine agricole, dans un vaste domaine du Sud. Il y avait six ans qu’il séjournait au couvent.

— Tu veux que je pousse ton fauteuil à l’ombre ?

— Non, dit Chiva, je me débrouille seul.

Il roula jusqu’à l’ombre de la terrasse d’où l’on découvrait le tout petit village.

— Et tu crois que ton copain reviendra te chercher au mois d’août ? dit-il brusquement.

— On se connaît depuis toujours, et il n’a jamais manqué une seule promesse.

— Moi, c’est mon frère qui devait venir me chercher, et je l’attends encore. Ils ne viennent jamais me rendre visite. Juste une lettre pour la Noël et un petit mandat.

Dans la cour intérieure, les débiles mentaux hurlaient sans arrêt. Ils n’étaient jamais admis sur la terrasse trop dangereuse.

— Pourquoi reviendrait-il, puisqu’il t’a conduit ici ? attaqua à nouveau le manchot. S’il t’aime tant, il n’avait pas besoin de se débarrasser de toi, même pour quelques semaines.

— Je l’aurais gêné. Il va régler une affaire et, lorsque tout sera prêt, il reviendra me chercher. Une petite signature et, hop, il m’embarquera dans son break.

— Quelle marque ?

— Ça, je ne n’en sais encore rien, mais ce sera une belle voiture, tu peux lui faire confiance.

— Et cette affaire importante, qu’est-ce que c’est ? fit l’autre en avançant son menton mal rasé.

Chiva trouvait qu’il se négligeait un peu trop. Il lui avait proposé de le raser aussi souvent qu’il le voudrait, mais le manchot semblait se complaire dans la crasse.

— Une affaire de gros sous.

— Pas de femme ?

Chiva rit.

— Certainement pas.

— Qu’en sais-tu ?

— Dernièrement, il en a connu une belle. Mais c’était une étrangère fortunée. Entre eux, c’était pas possible, tu comprends ?

— Je comprends.

— Alors, il n’est pas près de l’oublier. Moi, je suis en quelque sorte sa seule famille.

Le manchot ricana :

— Moi aussi, je suis la seule famille de mon frère, mais tu vois ce qu’il en fait de sa famille. Il la laisse pourrir ici, dans ce putain de couvent.

— On n’y est pas si mal.

— Attends que le fric que tu as laissé à l’entrée soit épuisé, et tu m’en donneras des nouvelles. J’ai pas un rond pour le tabac, pour rien. Le dimanche, je rôde autour des familles qui viennent visiter leurs infirmes comme un affamé. Les sœurs me surveillent pour me faire partir. Elles disent que je gêne.

Puis il s’éloigna, les manches de sa chemise coincées sous la ceinture de son pantalon, allant certainement mendier une cigarette ailleurs. Chiva haussa les épaules et ferma à demi les yeux. Tonio avait certainement vendu toute la marchandise et était à la recherche d’une petite boutique. Peut-être l’avait-il déjà trouvée.

— Discute le prix, mon vieux. Dix mille pesetas de gagnées seulement, c’est déjà beaucoup.

Il sourit. Vergara ne s’emballerait pas. Il réfléchissait, ne cédait jamais à un coup de tête.