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— Alors, on rêve ?

Le manchot était revenu avec une cigarette roulée à la main entre les lèvres. Certainement, l’un des gnomes qui la lui avait faite. Ils se regroupaient tous les cinq derrière la statue de la madone, tout au bout de la terrasse.

— Ton copain, où est-il parti ? Dans le Sud ?

— Cadix.

— Chouette ville ! Avec les Américains, on y fait de bonnes affaires, paraît-il. Mais les filles y sont garces, toujours à cause d’eux. Ton copain va y bouffer tout son pognon.

— Ça risque pas.

— T’es bien sûr de lui, hein ?

— Comme d’avoir cinq doigts à chaque main. Tonio, c’est un frère. Depuis que nous sommes tout petits, il s’occupe de moi. On a travaillé ensemble, tous les deux.

— Tu travaillais, toi ?

— On curait des puits. Il me descendait au fond. Il aurait pu aller travailler dans la construction sur la côte… On a préféré foutre le camp.

Le manchot fit changer sa cigarette d’un coin de bouche à l’autre d’un coup de langue habile.

— Et vous aviez une combine ?

— T’es bien curieux, manchot.

— Que veux-tu que je fasse, sinon discuter ? C’est ton copain qui t’a payé ce fauteuil ? Il n’est pas fauché. Ça vaut au moins sept mille pesetas, un truc pareil.

— Plus tard, j’y ferai adapter un petit moteur pour me balader.

— Te balader ? Dans le couvent ?

Chiva ne répondit pas. Il comprenait que l’autre fût mauvais, aigri par l’abandon et par son infirmité. Le manchot n’avait plus aucune sorte d’espoir en l’avenir.

— Ton copain, pourquoi il l’a acheté avant, le fauteuil ? Pour mieux faire passer la pilule, non ?

— Pour que je puisse me déplacer dans le couvent.

— C’est mieux que les boîtes à savon et le fer à repasser. Il va t’écrire, ton copain ?

— Je ne sais pas, dit Chiva. Il n’aura peut-être pas le temps.

— N’ont jamais le temps… Et puis, un beau jour, ils oublient jusqu’à votre existence, s’étonnent presque lorsqu’on leur annonce votre mort…

Chiva continuait de sourire. Comme si Vergara pouvait l’oublier un jour.

FIN