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— On descendra au frein jusqu’à la route. Ça économisera un peu l’essence, un litre ou deux. Si on tombe en panne, on aura des ennuis avec les flics.

— Peut-être que ceux qui surveillent la nationale en bas sont mieux renseignés sur la route en construction.

Puis il déboutonna son pantalon, se traîna tout au bout de la pierre plate à la force des bras. Vergara regarda ailleurs, vers le bas de la côte. Jamais il n’avait traversé une région aussi désertique et vu si peu de véhicules. Sauf évidemment sur la nationale, là-bas, où la circulation paraissait importante.

— Bon, si tu veux me remettre en place, je suis prêt.

Ils descendirent lentement, pour ne pas échauffer les freins. Puis il y eut une longue ligne droite, et Vergara laissa aller la camionnette. Tout au bout, à un kilomètre, la nationale coupait leur route.

— Si on mangeait avant ? Il commence à se faire tard. Il est au moins huit heures du soir, non ?

— On ne peut pas rouler toute la nuit. Il faudra bien trouver un endroit pour coucher, mais pas sur la grande route. Les flics nous demanderaient constamment nos papiers.

Ils partagèrent le pain et le morceau de saucisse sèche, burent un peu de vin.

— C’est de la purée, dit Chiva, et il monte vite à la tête, celui-là.

Après chaque gorgée, ils devaient avaler deux ou trois fois plus d’eau.

— Je crois qu’il faudra prendre de l’essence. Au moins cent pesetas à la prochaine pompe. Le temps qu’on arrive dans un village où l’on pourra nous renseigner. Une route, ça ne se construit pas en secret tout de même. Il faut du monde. Surtout une route de montagne. Pour les enrochements, par exemple, ils ont besoin de gens comme nous.

— On a nos outils, dit fièrement Chiva. Et je n’ai pas le vertige. Avec une bonne corde, je peux me balancer à plus de cinquante mètres et je n’aurais pas peur si je sais que c’est toi qui tiens l’autre bout.

— Dépêchons-nous, dit Vergara, je suis sûr qu’on va nous renseigner au poste d’essence.

Le crépuscule s’étirait lorsqu’ils roulèrent sur la nationale en direction du nord. Mais les kilomètres s’ajoutèrent sans qu’ils découvrent la moindre pompe.

— Pas croyable, disait Vergara la gorge contractée. On devrait ne plus rouler depuis longtemps.

— Là-bas, cette lueur… Une station-service, non ?

Vergara accéléra et, soudain, ce fut la panne sèche. La lueur rouge se trouvait à un bon kilomètre.

— Je vais avec le jerrycan, dit Vergara.

— C’est plat. Je peux me mettre au volant et tu pousseras.

L’autre n’eut pas le courage de lui refuser. Chiva adorait s’installer au volant et se donner l’illusion de conduire.

— D’accord. Serre bien le talus, sinon on aura des histoires avec les motards.

Il commença à pousser, mais ce n’était pas aussi plat qu’ils l’avaient cru. Bientôt, il dut ôter sa chemise trempée, pour continuer à pousser en direction de la lueur rouge qui ne se rapprochait pas très vite. En fait, il semblait y avoir au moins deux kilomètres. Les mains crispées sur le volant, Chiva l’oubliait, ne se rendait pas compte qu’il s’épuisait.

Lorsque la camionnette roula sur le ciment de la station-service, Vergara n’en pouvait plus. Il fit un dernier effort, et lorsque Chiva eut serré le frein, il s’assit sur le marchepied, haletant et incapable de dire un mot.

— Bonsoir, dit l’homme en blouse bleue. Alors, combien j’en mets dans votre réservoir ?

Vergara sortit un billet de cent et le lui tendit.

— Très bien, monsieur.

— Hé ! dit Chiva depuis son volant, vous n’avez pas entendu parler d’une route en construction dans le coin ?

— Une route ? Je sais qu’on vient d’agrandir la nationale et de la goudronner, mais je n’ai jamais entendu parler de route.

Vergara se leva et prit la bouteille d’eau. S’il ne buvait pas, il ne pourrait jamais parler.

— Il y a un village près d’ici ? demandait encore Chiva.

— À une vingtaine de kilomètres, tout de suite après le col. La route a été déviée et, de nuit, il ne faut pas louper la bifurcation. Voilà cent pesetas. Huile, eau ?

— Merci, dit Vergara. Tout va bien.

Il n’avait plus assez d’argent pour l’huile et ne voulait pas donner un pourboire pour l’eau.

— Mais de quelle route vouliez-vous parler ? demanda le pompiste qui aurait bien voulu prolonger la conversation.

Depuis la tombée de la nuit, les voitures se faisaient rares et il s’ennuyait.

— On la construirait dans la Sierra.

— Jamais entendu dire une chose pareille. Vous venez de loin ?

— De la côte.

— Pour vous embaucher ?

Chiva glissa à sa place habituelle en s’efforçant de ne pas attirer l’attention du pompiste.

— Voilà, dit Vergara. On n’a rien de touristes, pas vrai ?

— Il commence d’y en avoir, répondit l’autre. Début juillet, c’est quand même l’époque. Des Français, des Allemands et tous les autres.

La camionnette démarra au moment où il voulait donner un conseil aux deux hommes. Plus loin, dans les lacets, la route était en réparation et il fallait faire attention, sinon on risquait de se retrouver dans le précipice.

— Comment veux-tu que ce type, qui vit tout seul sur le bord de la route, sache quelque chose ? disait Chiva. Je suis sûr qu’au village on nous renseignera. Il n’y a pas de raison pour que don Pedro nous ait menti au sujet de cette route.

— Aucune, reconnut son ami, mais il s’est peut-être trompé de Sierra. Et, pour lui, ça n’avait aucune espèce d’importance. Au contraire, il était très satisfait de nous donner son tuyau, même s’il n’était pas tout à fait certain.

— Tu crois ?

— Les gens riches sont ainsi. Désinvoltes. C’est très bien porté. On n’attache aucune importance aux choses.

Les deux motards se trouvaient arrêtés sur le bord de la route et les regardèrent passer.

— Ils vont s’amuser à nous rattraper, dit Chiva. Dans un moment, ils monteront sur leur belle moto et se taperont quelques kilomètres à fond de train pour le plaisir de nous rejoindre et de nous faire signe.

Il se retourna longuement, puis tapa sur le bras de son compagnon.

— Gagné ! Ils arrivent.

Vergara se rangea soigneusement sur le bord de la route, et les deux hommes sortirent leurs papiers.

— Puisatiers, s’étonna le motard qui avait abandonné sa moto tandis que l’autre surveillait la circulation. Que venez-vous faire dans la région ?

— Travailler à une route. On nous a dit qu’il se construisait une route dans la Sierra de Segura. On demande partout et personne ne peut nous renseigner. Le pompiste de la station-service plus haut n’en savait rien.

— Hé ! Pablo, tu as, entendu parler d’une route en construction dans la Sierra, toi ?

— Non, fit l’autre en se rapprochant. On vient de réparer celle-ci qui en avait bien besoin. Sur quatre-vingts kilomètres.

Les deux amis se regardèrent.

— Don Pedro a peut-être confondu, dit Chiva.

— Et il n’y a pas de puits à creuser, dit le motard. Si vous cherchez du travail, ce n’est pas ici que vous en trouverez. Allez, vous pouvez continuer.

Les deux motards rebroussèrent chemin et s’enfoncèrent dans la nuit. Vergara démarra doucement et roula de même. À quoi bon dépenser de l’essence, maintenant ?

— On pourra toujours vendre la camionnette, dit Chiva. On nous en donnera bien cinq mille pesetas, non ?

— Peut-être, répondit Vergara en pensant à autre chose.

— J’ai toujours ma caisse à roulettes et mes patins en bois. Je me débrouillerai toujours, tu sais ?