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Chiva approuva :

— Mais tu ne devras pas choisir n’importe quelle voiture. Il te faudra écarter celles qui contiennent trop de monde.

— Bien sûr, dit Vergara qui songeait aux enfants.

— Un père de famille risque de ne pas avoir beaucoup d’argent sur lui, et, sur quatre ou cinq personnes, une ou même deux peuvent très bien se sortir indemnes de l’accident. Le mieux sera la voiture de sport. Si le type est seul à bord, parfait. Mais même s’il est accompagné d’une femme, ce sera encore très bien.

Ayant vidé son verre, Vergara éprouva le besoin d’en boire un autre. Il compta l’argent qui lui restait, se décida. De la porte, il fit signe à la serveuse.

— As-tu bien dissimulé tes pancartes ? demanda Chiva à voix basse. Ce garagiste pourrait les trouver.

La serveuse leur apportait leurs deux vins blancs et ils se turent jusqu’à son départ.

— Je les ai dissimulées dans la paillasse. Il ne doit s’occuper que tu moteur.

— Va quand même faire un tour, comme si tu avais oublié quelque chose, et jette un coup d’œil.

Le garagiste était en train de nettoyer les bougies de la camionnette.

— Je révise la distribution et l’alimentation en essence. Ce sera déjà bien. Avec une bonne vidange… Si un jour vous voulez changer le moteur, j’en ai un d’occasion. Impeccable. Un gars du pays qui a eu un accident dans la montagne. Ses freins ont lâché et il est tombé dans le ravin.

— Il est mort ?

— En bouillie. Mais le moteur n’avait pas souffert et tournait encore. Incompréhensible. Je vous l’installe pour trois mille pesetas. Une affaire.

— Nous réfléchirons, dit Vergara.

— Vous restez dans le coin ?

Il se hâta de réparer l’erreur.

— Non, nous allons plus loin vers l’ouest. Mais si jamais on repassait par ici… Nous allons travailler sur une route en construction.

— Votre copain est infirme ? Cul-de-jatte ?

Que peut-il bien faire comme travail sur une route ?

— On travaillait dans les puits. Je le descendais dans un panier. Sur la côte, les puits sont tellement étroits que seul un enfant pouvait s’y glisser ! Et lui avait la place de travailler dans le fond.

— Ses jambes ne le gênaient pas, fit le garagiste gravement. Je comprends maintenant. Il a les bras drôlement musclés.

— Il peut grimper à une corde à la force des poignets. Mais, après quatre heures passées au fond d’un puits, il vaut mieux que je sois là pour le remonter.

Ils continuèrent à bavarder. Vergara regarda ensuite dans la camionnette. Rien ne semblait avoir été touché. Il rejoignit Chiva à l’auberge où ils commandèrent leur repas.

— Ça ne veut pas dire que nous réussirons cette nuit, dit Chiva. Il nous faudra beaucoup de patience. Nous emporterons de l’eau et quelques provisions.

— Avec quel argent paierons-nous ?

— Je suis sûr que le garagiste te fera une petite remise.

— Il a fait le maximum.

Chiva secoua la tête avec obstination.

— On ne peut jamais dire de quelqu’un qu’il a fait le maximum tant qu’on ne l’y a pas obligé. Ce type se laissera convaincre de nous faire une remise de cinquante pesetas. C’est un brave homme.

Ils achevèrent le ragoût fortement épicé, puis demandèrent du café.

— Nous aurons bien trois heures de jour lorsque le mécanicien aura fini. Ce sera largement suffisant. N’oublie pas qu’il nous faut d’autres pancartes. Tu as bien dormi, cette nuit ?

Vergara parut surpris.

— Aussi bien que les autres. Pourquoi ?

— Si nous réussissons, nous devrons rouler jusqu’au jour pour nous éloigner. Que penses-tu de la Sierra Nevada ? C’est beaucoup plus fréquenté que par ici. La vie y est plus chère, mais, d’un autre côté, nous aurons d’autres occasions.

Puis ils n’échangèrent plus que de rares paroles, et Chiva finit par s’endormir sur son siège. La serveuse, qui vint débarrasser la table, le regardait en souriant.

— Quel bel homme il aurait fait ! murmura-t-elle à l’adresse de Vergara. C’est un grand malheur pour ses parents.

— Surtout pour lui, dit Vergara. Ses parents sont morts maintenant, et lui est resté.

Vers cinq heures, alors que le village s’ébrouait à peine de la sieste, Vergara reprit le chemin du garage. La camionnette était prête. Tico chantait à plein gosier, sa cage étant restée suspendue dans la cabine.

— Je lui ai donné de l’eau et des miettes, dit le mécanicien.

— Je vous dois combien ? demanda Vergara.

— Cinq cents pesetas, comme entendu. Je ne compte presque pas mon travail et j’ai remplacé les bougies.

Lorsque Vergara revint à l’auberge, Chiva lui demanda tout de suite s’il avait obtenu la ristourne de cinquante pesetas.

— Non. Le garagiste est aussi pauvre que nous. Je n’ai pas pu lui demander ça.

L’infirme sourit.

— Tu as raison. Nous n’avons pas le droit de nous en prendre aux nôtres. N’oublie pas que nous avons des pancartes à prendre.

— Nous en trouverons peut-être vers Alcaraz.

— Inutile de courir ce risque puisque nous savons où en trouver. Maintenant, le travail est terminé et les cantonniers sont rentrés chez eux. Dépêchons-nous.

Un quart d’heure plus tard, ils arrivaient dans la zone des travaux. Vergara, émerveillé par la transformation de son véhicule qui roulait beaucoup mieux et sans bruit, avait oublié pourquoi ils revenaient là.

— Il y a un chevalet oublié dans le fossé là-bas, et un autre qui ne sert pas à grand-chose à cent mètres. Tu vas aller faire demi-tour, puis tu les chargeras en vitesse.

Ils durent attendre quelques instants pour que le tronçon de route soit parfaitement désert.

— Maintenant, tout droit jusqu’à Alcaraz. Tu prendras ensuite à droite la comarcale 415. Il faut faire vite pour arriver de jour.

— La nourriture et l’eau ?

— Le prochain village, mais celui où nous avons passé la journée.

Vergara acheta du pain, de la charcuterie de montagne dont du chorizo et quelques boîtes de conserves. Il remplit d’eau tous les récipients disponibles.

— Il faudra que j’achète un jour des graines spéciales pour canari. Je suis sûr que Tico appréciera.

Il faisait encore jour lorsque la vieille Renault attaqua les premiers lacets. Penché à la portière, de telle façon que Vergara craignait qu’il ne bascule, Chiva étudiait le terrain. Au bout d’un moment, il se rejeta à l’intérieur, fit claquer sa langue avec satisfaction.

— Arrête-toi là-bas. Il y a une plate-forme suffisante pour nous garer. Peut-être de quoi cacher la camionnette.

Comme toujours, il avait vu juste. Vergara put dissimuler la Renault dans l’ouverture d’un chemin qui se terminait en sentier courant à flanc de montagne.

— Ce sera ce tournant, dit Chiva. Nous n’aurons même pas à aller bien loin.

Vergara alla jeter un coup d’œil au ravin et recula, pris de vertige.

— Il y a au moins trente mètres.

— Et alors ! lui cria Chiva. La corde est bien assez longue, non ? Tu peux fixer la corde à la camionnette pour plus de sécurité.

— S’il faut me tenir au bord de ce gouffre en pleine nuit, j’ai peur d’avoir le vertige.

Son ami alluma une cigarette pour réfléchir à la situation.

— Il nous faudrait une sorte de flèche à l’arrière de la camionnette, sur laquelle on fixerait la poulie. Mais, pour cette fois, il faudra nous en passer. Allons étudier ça de plus près.

Chiva sur son dos, il s’approcha du précipice.

— Marche le long. Je crois que j’ai trouvé. Tu vois ce gros buis ? Il va nous servir. Tu passeras la corde autour du tronc et tu pourras tirer à deux mètres du bord. Tu ne risqueras rien.