Pris d'un besoin pressant, l'adolescent se mit en devoir de baisser son pantalon. Il lui fallut une bonne minute pour extraire complètement sa verge, qu'il contempla d'un air satisfait, avant de murmurer:
- Arbrisseau... mon cul!
Un sourire extatique envahit son visage lorsque le liquide tiède se mit à couler. Il laissa échapper un soupir de satisfaction tandis que, au-dessous de lui, le tueur avait déjà empoigné son épée, prêt à étriper l'inconscient qui lui pissait dessus. L'espace d'une seconde, il songea à lui planter son arme dans le ventre, non sans avoir auparavant coupé un morceau de cet engin ridiculement petit qui s'agitait au-dessus de lui.
Ses oreilles résonnèrent soudain du cri de ses victimes, que sa lame avait traversées par dizaines, et son envie de tuer augmenta encore d'un cran. Il ferma les yeux et imagina la chaleur du sang glissant de sa lame et coulant sur ses doigts. L'odeur de la mort semblait déjà planer dans l'air, tout autour de lui. C'était une odeur moite, mais en même temps fruitée, semblable à celle d'un sous-bois à l'automne.
Il remplit ses poumons de ce parfum et en aspira goulûment les effluves, la bouche grande ouverte. Un mélange complexe de peur et d'excitation s'empara de lui. Son besoin d'assassiner répondait à un instinct vital et essentiel auquel il n'avait pas la force de s'opposer. Il était sur le point de perdre tout contrôle de lui-même.
Il se reprit tout de suite. Il ne fallait pas prendre de risques. Les sommes énormes qu'il réclamait pour ses services étaient justifiées par un taux d'échec absolument nul. Or la mission de ce soir-là ne nécessitait pas de tuer, aussi épargna-t-il le jeune ivrogne. Il serait toujours temps de le retrouver pour lui faire payer son humiliation.
Au bout de quelques secondes, Vettori remit maladroitement son membre dans son pantalon et reprit sa prudente avancée. Il fut bientôt assez loin pour que l'homme puisse enfin sortir de son abri. L'odeur d'urine qui imprégnait ses vêtements remplaça aussitôt le doux parfum de la mort.
Il attendit que la lune fût totalement masquée par les nuages, puis courut jusqu'au pied de l'escalier menant à l'église. Le bruit de la pluie étouffa celui de ses pas lorsqu'il gravit les quelques marches qui le séparaient du lieu consacré. Parvenu en haut, il longea la façade et s'arrêta une dizaine de mètres plus loin, devant une petite porte percée dans le mur.
Il sortit de sa poche un poinçon, l'introduisit dans la serrure et le fit tourner lentement dans un sens, puis dans l'autre. Le mécanisme céda dans un claquement sourd. Retenant son souffle, le tueur s'immobilisa. Lorsqu'il fut certain que le bruit du tonnerre avait couvert celui de la serrure, il ouvrit doucement la porte.
Il se trouvait dans un cloître, protégé de la pluie par l'avancée du toit. Le déambulatoire qui entourait le jardin était plongé dans l'obscurité la plus complète. Les cellules des moines étaient toutes parfaitement silencieuses. L'intrus se plut un instant à imaginer la vie merveilleuse qu'il pourrait mener dans un tel endroit, lorsqu'il serait las d'exécuter ses basses œuvres. N'était-il pas injuste que seuls les moines puissent jouir d'un lieu aussi paisible et, surtout, si bien préservé des dangers du monde extérieur et de la justice des hommes?
La seule réserve qu'il pouvait émettre à l'encontre de ce projet était qu'il serait peut-être difficile d'y introduire alcool et bonne chère en quantité suffisante pour ne pas trop s'y ennuyer. Sans parler des femmes, qui lui coûtaient déjà une bonne partie des sommes que lui rapportaient ses diverses activités, et dont il n'imaginait pas qu'elles lui fissent défaut pour les dernières années de son existence. Il se rassura très vite, car, d'après ce qu'on disait, le réseau d'approvisionnement des moines était aussi fourni que les cales d'un galion espagnol de retour des Indes.
Suivant à la lettre les instructions qu'on lui avait données, le tueur atteignit une seconde porte, sortit une clé de sous son manteau, puis pénétra dans un vestibule obscur. N'osant allumer le lumignon qu'il avait emporté avec lui, il tâtonna jusqu'au moment où il buta contre la première marche de l'escalier, qui s'élevait sur sa gauche en une élégante volute de marbre. Il gravit une quinzaine de marches et entra dans la salle de lecture.
Longue de près de quarante mètres, la pièce se terminait par un mur orné d'une fresque. De chaque côté de l'allée centrale étaient disposés de larges pupitres, sur lesquels se trouvaient encore quelques parchemins. Des livres par centaines, soigneusement rangés sur des étagères de bois précieux, recouvraient les deux parois latérales.
Sûr de son fait, le tueur s'engagea dans l'allée centrale et s'arrêta devant une nouvelle porte, si petite qu'il fallait presque se courber pour la franchir. Il essaya sans succès de tourner la poignée. Soucieux de ne faire aucun bruit, il réfléchit un court instant, puis appuya son épaule contre le bois. Très vite, le gond supérieur commença à plier. Il poursuivit son effort jusqu'à ce que ce dernier cédât, immédiatement suivi par celui du bas.
Il souleva la porte et la posa en silence sur le sol. Sa petite taille lui permit de passer sous le linteau de marbre sans même se baisser. Il pénétra alors dans un réduit aux murs entièrement tapissés de livres. Sans perdre de temps, il s'avança vers un rayonnage situé à mi-hauteur et fit glisser son doigt jusqu'à un manuscrit grossièrement relié, qu'il fit aussitôt disparaître sous son pourpoint.
Parcourant le chemin inverse, il traversa le cloître et s'enfonça dans la nuit.
4
Le lendemain, le soleil se leva tôt. Trop tôt pour tous ceux qui, jusqu'au petit matin, avaient passé la nuit à battre des records d'éthylisme, comme Piero Guicciardini, qui dormait du sommeil du juste, confortablement vautré sur un canapé de la petite maison que son père louait pour lui dans la Via di San Donà.
Profondément plongé dans une douce rêverie érotique, il n'entendit pas les coups sur la porte, pas plus qu'il ne fut réveillé par le grincement des gonds lorsque celle-ci s'ouvrit. Guidé par ses ronflements gras, l'intrus parvint jusqu'au seuil de la pièce où s'était effondré le jeune homme.
Un désordre épouvantable régnait dans ce que Guicciardini avait pompeusement baptisé "salle d'étude", en fait une pièce minuscule noyée sous un indescriptible fatras. L'élément central du lieu, la bibliothèque, semblait avoir été détourné de son rôle premier avec un acharnement obstiné tant les rares livres peinaient à se trouver une place au milieu des reliefs de nourriture et des parchemins maculés d'encre.
Lorsque Guicciardini avait affirmé à son père, inquiet du peu de sérieux avec lequel son fils menait sa scolarité, qu'il passait le plus clair de son temps dans la salle d'étude, il n'avait pas menti. C'était là, en effet, qu'il cuvait son vin jusqu'à une heure avancée de la journée, chaque fois que l'abus d'alcool le dissuadait de tenter la périlleuse escalade des cinq marches qui menaient à sa chambre. C'était encore là qu'il composait les chansons paillardes qui avaient fait sa célébrité dans toutes les tavernes de la ville.
Sans doute pour masquer l'épaisse couche de saleté qui donnait au plancher une couleur uniformément grise, il avait jeté sur le sol les vêtements tachés de vin qu'il portait la veille. Qui le connaissait savait de toute manière que le mot "propreté" n'appartenait pas à son vocabulaire. En désespoir de cause, sa mère avait pris l'habitude d'aller chaque matin dans l'église Santa Felicità déposer un cierge devant l'autel dédié à sainte Rita, la patronne des causes désespérées.
Malgré ce recours quotidien à l'intercession divine, son fils unique n'avait pas encore découvert que l'eau pouvait servir à autre chose qu'à diluer la piquette trop rance pour être ingurgitée telle quelle par un estomac humain.