Выбрать главу

- Et si Ficino s'était trompé? Si cette vieille histoire n'avait rien à voir avec les assassinats?

- Il a vu juste, j'en suis convaincu. Sinon, pourquoi se donneraient-ils la peine d'énucléer leurs victimes? Ils répètent le châtiment de la religieuse, comme s'ils voulaient la venger. Marco et Annalisa sont là.

- Ce couvent est à l'abandon depuis des années! répliqua Guicciardini. Où veux-tu qu'ils se cachent? S'il y avait quelqu'un, nous l'aurions vu depuis longtemps. On a encore le temps de rentrer avant l'aube, on ne va pas rester là toute la nuit!

- Au pire, nous aurons perdu notre temps. Il faut courir le risque. Je prends la première garde, reposez-vous.

Guicciardini se leva péniblement et alla s'allonger contre le tronc d'un chêne. Il détestait dormir à la belle étoile presque autant que de rester sobre. Pourtant, une minute plus tard, ses ronflements venaient rompre la quiétude du soir.

Lui aussi en quête d'une place confortable, Vettori aperçut Boccadoro un peu plus loin. Assise en retrait du groupe, les bras repliés sur ses genoux, elle frissonnait de froid. Il vint s'asseoir à côté d'elle et l'enveloppa dans sa couverture. Elle ouvrit les yeux et lui sourit tristement.

- Merci, c'est très gentil.

- Je t'ai dit que je prendrai soin de toi. A quoi penses-tu?

- À mon pays, à ma famille là-bas, au-delà des mers. Je me demande si je les reverrai ou si mon destin s'arrêtera demain. Vont-ils me tuer, Francesco?

- Pourquoi dis-tu ça? Nous ne te livrerons pas.

- Mais Annalisa et Marco? Je ne veux pas qu'il leur arrive la même chose qu'à Trevi et à Chiara. Je viens juste d'entrer dans vos vies et je n'y ai apporté que la mort et le malheur...

- Tu n'es pas responsable. Tu nous as mis au contraire sur la piste du moine. Si nous nous en sortons, c'est à toi que nous le devrons.

Vettori passa sa main autour de l'épaule de la jeune femme. Il la fixa intensément et constata qu'elle ne cherchait pas à fuir son regard. Ce qui se produisit ensuite échappa à toute logique. Comme dans un rêve, il vit la bouche de Boccadoro s'approcher de la sienne, sentit sa langue glisser entre ses lèvres.

La prostituée le repoussa doucement et l'allongea sur l'herbe. Ses doigts frôlèrent sa joue, longèrent son cou et s'attardèrent sur le torse du jeune homme. Vettori sentit la chaleur de la jeune femme l'envahir d'un coup lorsqu'elle s'étendit sur lui.

Perdant toute perception du monde extérieur, il s'abandonna entièrement au flot des multiples sensations qui l'envahissaient. Quand il ne put plus retenir son plaisir, il serra les dents pour ne pas hurler. Au-dessus de lui, Boccadoro gémit faiblement à son tour, puis son corps se relâcha peu à peu.

- Debout, Francesco! Vite!

Vettori se réveilla d'un coup. Ce n'était pas la main fine et délicate de Boccadoro qui lui secouait l'épaule, mais celle de Guicciardini. Il chercha à tâtons sa maîtresse, sans la trouver à ses côtés. Il préféra taire son aventure nocturne, conscient que son ami ne le croirait sans doute pas.

Le jour ne s'était pas encore tout à fait levé. Vettori s'assit en grelottant.

- Allez, dépêche-toi! chuchota à nouveau Guicciardini. Et ne perds pas de temps à te recoiffer!

- Quoi? Que se passe-t-il?

- Il y a de l'animation en bas, viens vite!

Guicciardini fit mine de s'éloigner, mais se retourna après quelques pas seulement.

- Dis donc, tu n'es pas frileux! On n'a pas idée de dormir nu en cette saison!

Vettori fit une moue dédaigneuse, ramassa les vêtements éparpillés autour de lui, puis rejoignit les autres en courant. Allongés à l'abri d'un buisson, ils observaient la chapelle du couvent.

- Qu'y a-t-il? demanda Vettori. Je ne vois rien.

- Tais-toi et ouvre les yeux.

Vettori scruta la semi-obscurité. Deux formes se mouvaient devant le bâtiment. Un hennissement s'éleva dans le silence du matin.

- Des chevaux! Ils n'étaient pas là hier soir. Qui les a amenés?

- Le nain. Il est arrivé il y a un quart d'heure.

- Mais où est-il passé?

- Il a disparu sous l'autel de la chapelle. Il doit y avoir un passage.

Gagné par une soudaine bouffée d'héroïsme, Vettori commença à s'agiter.

- Qu'est-ce qu'on attend? Si Annalisa et Marco sont là-bas, il faut aller les chercher tout de suite!

- Reste calme, Francesco. Le nain est venu avec deux chevaux. Il n'est pas seul à l'intérieur. Attendons encore un peu, ils vont bien finir par se découvrir.

La prédiction de Machiavel se réalisa plus vite encore qu'il ne l'avait imaginé. À peine eut-il fini sa phrase que deux silhouettes surgirent de la chapelle.

- Je ne vois pas le nain. Qui sont ces deux-là, alors?

- Regardez celui de droite! Quel colosse! Et moi qui pensais que Deogratias était un exemplaire unique dans toute la Création!

- Allez-vous enfin vous taire! ordonna Machiavel d'un ton ulcéré. Ils vont finir par vous entendre.

- C'est bon, ne t'énerve pas... Que font-ils à ton avis?

- Ils détachent les chevaux. Ils ont l'air de vouloir s'en aller. Vous distinguez le deuxième?

- Pas très bien, il fait encore trop sombre.

À cet instant, un mince rayon de soleil monta lentement de la ligne d'horizon et vint frapper la façade de la chapelle. Boccadoro et les trois garçons poussèrent en chœur une exclamation de surprise lorsqu'ils reconnurent la robe blanche et noire des dominicains.

- Le moine! Il est là, devant nous! Il faut l'arrêter, allons-y!

- Tu as vraiment envie de mourir aujourd'hui, Francesco! tenta de le raisonner Guicciardini. Ils ont laissé les otages. Ces bandits n'ont jamais eu l'intention de les libérer.

- Les voilà partis. Prenez vos armes.

Guicciardini tira deux dagues de sa ceinture. Il en

tendit une à Machiavel et offrit l'autre à Boccadoro, qui la refusa d'un signe de tête.

- Pourquoi n'en veux-tu pas? Tu en auras peut-être besoin.

- Non, je préfère ça, dit-elle en tirant de sa robe le couteau qui ne la quittait jamais.

- Allons-y! ordonna Machiavel. Et en silence!

Attentifs à ne pas faire d'autre bruit que celui produit par le frôlement de leurs chaussures sur le sol, ils descendirent prudemment jusqu'au seuil de la chapelle.

- Que fait-on maintenant? chuchota Guicciardini.

- J'y vais seul, dit Machiavel. Vous me rejoindrez si tout va bien.

Il disparut dans le bâtiment et réapparut une minute plus tard.

- La voie est libre, articula-t-il à voix basse. L'autel est ouvert sur l'arrière. Je vais descendre avec Ciccio. Francesco, il vaut mieux que tu restes ici avec Boccadoro.

- Les vies d'Annalisa et Marco sont en danger par ma faute, murmura la jeune femme. Il est hors de question que je vous attende dehors.

- Quelqu'un doit surveiller la sortie du souterrain. Le nain ne doit surtout pas nous échapper.

La mine fermée, Boccadoro fit disparaître le couteau dans un repli de sa robe.

- Puisque tout le monde semble d'accord... À vous l'honneur, messieurs.

Machiavel s'engagea le premier dans l'escalier obscur. Derrière lui, le souffle court, Guicciardini faisait de son mieux pour garder l'équilibre. Ils atteignirent un long corridor éclairé par des flambeaux. Après de longues minutes de cheminement, ils pénétrèrent dans une petite pièce voûtée.

Au centre, une grande table occupait presque tout l'espace. Le bois luisait sous la lumière des torches comme s'il avait été recouvert d'un vernis sombre. De larges bracelets d'acier étaient fixés aux quatre coins. Posés à même le sol, divers instruments pointaient leurs griffes menaçantes vers les intrus.

- La salle de torture...

- Pas étonnant que personne ne vienne les déranger! Reste à savoir si...

- Chut!

Machiavel posa sa main sur les lèvres de son ami. Un bruit de pas s'éleva des entrailles du souterrain.