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Aldo et Adalbert le rejoignirent les premiers. Il leur tendit la lettre et la lampe :

— Tenez, lisez !

Fine, serrée, l’écriture était petite mais bien lisible. On n’eut aucune peine à la déchiffrer :

« Avez-vous vraiment cru pouvoir me prendre à un piège aussi grossier ? Vous me décevez, commissaire ! À présent il ne vous reste plus qu’à vous rendre au bosquet du Rond Vert. Vous y trouverez ma réponse. Le Vengeur de la Reine. »

Morosini eut un sourire de mépris pour la signature grandiloquente à souhait :

— Curieuse cette manie qu’ont les criminels de vouloir parer de romantisme leur cruauté et leur appétit de lucre !

— Moi je dis qu’il se fout de nous ! traduisit sobrement Adalbert.

— Et moi qu’il me paraît étrangement renseigné, ajouta Crawford qui venait de les rejoindre. Quelqu’un a parlé… ou alors les murs du commissariat ont des oreilles !

— C’est ce que je vais faire en sorte d’apprendre ! gronda le policier dont le regard revint se poser comme par hasard sur ses anciennes victimes. Pour l’instant, allons voir ce que c’est au juste que cette réponse…

Le bosquet du Rond Vert faisait suite à celui des Trois Fontaines. Il avait été jadis le théâtre d’eaux, véritable salle de spectacles aquatiques où s’était épanoui l’art de Le Nôtre mais aussi celui des Francine, les fontainiers de Louis XIV. Il n’en restait rien qu’une vaste circonférence de gazon entourée d’arbres centenaires dont les ombrages étaient recherchés par les jours chauds de l’été. On y fut en peu de minutes et, là, point ne fut besoin de chercher : étendu sur le ventre, les bras en croix et bien visible, un cadavre poignardé à travers un masque noir signait tragiquement le grand cercle herbu.

— Veuillez rester dans les allées, messieurs ! intima le commissaire. Personne n’approche, personne ne touche à rien ! Que moi et mes hommes.

Un triple coup de sifflet strident fit accourir l’inspecteur Bon et cinq agents en uniforme.

— Je croyais qu’il ne devait pas y avoir de police ? remarqua Malden avec un rien d’ironie.

— Aussi n’étaient-ils pas dans les jardins mais à côté du théâtre Montansier, prêts à accourir au moindre appel ainsi que vous l’avez pu voir. Vous n’imaginiez pas, monsieur de Malden, que j’allais m’en remettre uniquement à vous et à vos amis ?

— Que c’est agréable à entendre ! nasilla Adalbert qui venait d’éternuer à nouveau. Quand nous serons au fond de nos lits avec la copieuse bronchite récoltée à danser d’un pied sur l’autre pendant des heures dans ces foutus bosquets trempés, on pourra toujours se dire qu’on était là simplement pour le décor ! Merci beaucoup !

— Gardez vos réflexions pour vous ! Si nous avons en face de nous une bande organisée, tout semblant le laisser supposer, une douzaine d’hommes, même inexpérimentées n’eussent pas été de trop ! Je vous remercie donc mais à présent vous pouvez rentrer chez vous !

— Nous direz-vous au moins qui est ce malheureux ? fit sèchement Morosini.

On le sut très vite, la victime n’ayant pas été délestée de son portefeuille. C’était un guide du château qui se nommait Lucien Drouet.

— Comme le maître de poste de Sainte-Menehould qui a reconnu le Roi quand on relayait les chevaux et qui, galopant à travers champs, a prévenu les gens de Varennes et fait arrêter la famille royale ! commenta Malden avec amertume tandis que l’on revenait vers la grille du Dragon. Je m’attendais plus ou moins à quelque chose d’approchant !

— Mais enfin c’est insensé ! fulmina Crawford. J’ai peine à croire que tous les descendants de ceux qui ont joué un rôle déterminant dans le sort tragique de Louis XVI et Marie-Antoinette aient choisi d’habiter Versailles ?

— Ce serait en effet une incroyable coïncidence ! répliqua Morosini. Je me demande si le Vengeur – puisque c’est ainsi qu’il s’annonce ! – ne se contente pas de simples homonymes ?

— C’est possible, répondit Adalbert, mais en ce cas comment savoir s’il y en a d’autres ? Il faudrait consulter le Bottin, les listes électorales et Dieu sait quoi ?

— D’autant, renchérit le général de Vernois, qu’il faudrait aussi une connaissance approfondie de la famille royale. Vous peut-être, sir Quentin ?

— Certainement pas autant que mon ancêtre. Il savait tout. Lui et sa femme étaient des amis d’Axel de Fersen et ils ont contribué à la préparation de la fuite si désastreusement avortée. Le flambeau est venu jusqu’à moi mais j’ai de nombreuses lacunes. Et vous, Malden ?

— Une tradition familiale, des souvenirs, des lettres et un attachement profond à la mémoire de nos malheureux souverains. Mais vous oubliez que nous avons l’homme qu’il nous faut avec ce vieux fou de Ponant-Saint-Germain. Il voue à Marie-Antoinette un véritable culte. Avec fidèles, cérémonies et ce qui s’ensuit, m’a-t-on dit !

— Vous n’y êtes jamais allé voir ? demanda Morosini.

— Non, bien que cela ne manque pas de pittoresque, paraît-il. Si cela vous intéresse, demandez à Mme de La Begassière. C’est elle qui l’a fait admettre au Comité. Justement à cause de ses immenses connaissances. Il nous a été fort utile.

— Il pourrait l’être encore, lança Vidal-Pellicorne qui ajouta plus bas à l’intention d’Aldo : Tâche de savoir où il habite ! J’irais volontiers lui faire une petite visite… pour bavarder entre confrères !

— Marie-Antoinette ne relève pas de l’archéologie !

— Tu n’y connais rien ! Un parallèle entre sa bien-aimée reine et Néfertiti par exemple aurait de grandes chances de le séduire. Surtout présenté par moi !

On se sépara dès la grille franchie. Crawford annonça que le Comité se réunirait le lendemain à midi chez la présidente et demanda à Morosini d’en aviser Mlle du Plan-Crépin.

— La date de la fête nocturne se rapproche, soupira-t-il. Il nous faut prendre une décision. Annuler me paraît difficile mais d’autre part la presse va nous tomber dessus en nous accusant de danser dans le sang.

Une dernière poignée de main et il s’éloignait de son pas lourd appuyé sur sa canne.

— C’est un type sympathique, remarqua Aldo. Mais veux-tu me dire pourquoi je pense à la statue du Commandeur de Don Juan chaque fois que je le vois ?…

— Oh, c’est son côté monolithique ! Et à propos de voir, tu ne saurais pas où est passé Karloff ?

En effet ni lui ni sa voiture n’étaient en vue. Ce qui ne lui ressemblait pas… On eut beau remonter la rue des Réservoirs jusqu’au château, fouiller les alentours du théâtre, on ne trouva rien.

— Il ne « fait » plus la nuit, dit Aldo. Il n’aurait pas pris un client ?

— C’est peut-être la police qui l’a mis en fuite. Lui et Lemercier ne sont pas franchement copains… De toute façon il sait toujours très bien ce qu’il fait. Alors allons nous mettre au sec… et nous humecter le gosier. J’ai une soif de tous les diables !

— D’autant qu’il nous faut aller au rapport. Imaginer Tante Amélie et son fidèle bedeau dormant du sommeil des anges relève de la pure fiction. Et puis Karloff nous rejoindra peut-être.

Mais on ne le revit ni cette nuit-là ni le lendemain matin.

Interrogé, le réceptionniste du Palace s’avoua surpris : il avait eu pour lui un client et non seulement il n’était pas venu stationner comme d’habitude mais il ne répondait pas au téléphone. D’un même mouvement les deux hommes s’élancèrent vers la petite Amilcar rouge et noire…

CHAPITRE V

UN APPEL AU SECOURS

Quelques heures plus tard, le Comité au complet – les Parisiens avaient été appelés par téléphone ! – se rendait en ordre dispersé chez la comtesse de La Begassière pour y tenir une réunion d’urgence que l’aimable dame convertissait en déjeuner, en vertu de ce principe que les pilules les plus difficiles à avaler passent mieux quand on les accompagne d’une cuisine raffinée et de vins choisis avec discernement par un maître d’hôtel que tout Versailles lui enviait.